Magazine Cinéma
Julia Child est une légende à elle toute seule. En un demi siècle de dur labeur et de vulgarisation, elle a initié le peuple américain à la gastronomie française. Elle est en grande partie responsable de l’attrait et le rayonnement qu’à notre cuisine aux Etats-Unis depuis des lustres. En 1946, grâce à son Paul en poste à Paris, Julia Child découvrit les 1001 recettes de notre patrimoine culinaire.
Après bien des années de travail en compagnie de Simone Beck et Louisette Bertholle, le livre "Mastering the Art of French Cooking" fut publié en 1963 et devint rapidement un best seller de l’édition. L’ouvrage est à ce jour considéré comme l’une des bibles de la gastronomie de notre temps. Pendant dix ans, Julia Child prolongea l’expérience avec une émission intitulée "The French Chef" qui culmina en tête des meilleures audiences télévisées très régulièrement.
Julia Child séduisait son auditoire par son enthousiasme de tous les instants, une voix inimitable et une manière de présenter les recettes les plus difficiles de manière la plus simple possible.
En 2006 est parue "Ma vie en France", l'autobiographie posthume de Julia Child (décédée en 2004 à 91 ans) co-écrit par son petit-neveu, le journaliste américain Alex Prud'homme.
En 2002 Julie Powell était une obscure fonctionnaire gouvernementale (chargée de traiter les dossiers d'indemnisation des victimes du 9/11 WTC) qui cherchait un sens à sa vie. Se considérant comme un écrivain raté, la jeune femme se lança un incroyable défi : réaliser en 365 jours an les 524 recettes de Julia Child et en rendre compte au quotidien de cette expérience par le biais d’un blog (The Julie/Julia Project) créé pour la circonstance. Le site devint rapidement populaire. En 2005 Julie Powell a publié "Julie and Julia: 365 Days, 524 Recipes, 1 Tiny Apartment Kitchen".
Les américains ont le don de nous bassiner avec la sempiternelle expression "Inspiré de faits réels ou d’une histoire vraie". La relation entre l’histoire et le film est très souvent artificielle ou bien mince. Dans la cas de "Julie et Julia" réalisé par Nora Ephron, l’emprise du fictionnel dans le réel est patente et très bien maîtrisée. C’est une comédie familiale, équilibrée, fédératrice qui a le mérite de nous proposer deux histoires qui s’entremêlent de manière opportune.
Les deux récits (les personnages ne se rencontreront jamais, l’écueil du "cross-over happy endien" est évité avec maestria) sont passionnants car ils nous proposent chacun des événements différents, des personnages appartenant à des univers diamétralement opposés. Le sujet est original à plus d’un titre. Le propos est de nous démontrer que la cuisine a changé la vie de ces deux femmes.
Le long métrage a du rythme et ne perd jamais son tempo dynamique. L’action rebondit comme les échanges d’une partie de tennis. Nous faisons de fréquents allers-retours entre passé et présent. Ces va-et-vient ne gène en rien la dramaturgie de l’ensemble, bien au contraire. Julie et Julia connaissent toutes deux des difficultés dans leur vie de tous les jours. Une sorte de lien informel se tisse à distance. L’énergie de l’une nourrit l’existence de l’autre.
L’intérêt de "Julie et Julia" est de aussi de créer une tension née d’un incroyable pari à réaliser. Julie Powell (Amy Adams) cherche sa place dans un monde troublé par les événements du 11 septembre alors que Julia Child (Meryl Streep) est une épouse comblée qui cherche un sens à sa vie. La cuisine, milieu hostile fermé par excellence à la présence du beau sexe supposé "faible", devient sa planche de salut.
Nous avons droit à un enchaînement de séquences à la fois drôles et émouvantes. Comme tout bon long métrage américain nous avons le droit à notre lot d’émotions et de larmes. Le procédé est parfois usé jusqu’à la corde mais dans le cas de "Julie et Julia", ces instants où le trouble prend le pas sont mis en scène avec savoir faire et délicatesse.
La reconstitution des années 40 et 50 est vraiment très soignée. Même si le Paris de 1946 fait très carte postale, le spectateur est ravi d’évoluer au milieu de prestigieux restaurants, de petits bistrots typiques du 5ème et 6ème arrondissements et des plus beaux monuments de la capitale. Des images qui traduisent de façon concrète les sentiments profonds de Julia Child : un amour profond et sans retenue pour un cadre idyllique. A Paris l’américaine de souche se sent "chez elle".
Quel plaisir aussi pour le gourmet que je suis de plonger dans cet océan de mets raffinés, de produits du terroir si appétissants. Notre odorat sent les effluves délicates, nos yeux sont ébahis par un déchaînement de couleurs et de formes, notre palais salive à l'avance à la vue de plats si tentants. Le film se déguste comme la carte d'un restaurant gastronomique.
Amy Adams est en train de devenir l’une des comédiennes sur lesquelles il fait résolument compter. Dans le rôle de Julie Powell, la jeune actrice étonne par la fraîcheur et le naturel de son interprétation. Une composition qui lui va comme un gant dans laquelle elle ne donne pas l’impression de se forcer.
A personnage historique de légende, il fallait une interprète de génie. Une nouvelle fois Meryl Streep est phénoménale. Meryl Streep se lâche véritablement et donne sa pleine mesure pendant deux heures. La comédienne réussit à capter les intonations de voix si particulières, la gestuelle et les expressions de visage si caractéristiques. Au final sa Julia Child est plus vraie que son modèle.
Un conseil : le long métrage s’apprécie pleinement en version originale. Les "bon appétit" si remarquables de Julia Child, sorte de marque de fabrique, témoignent du respect et de l’amour de la citoyenne américaine pour notre patrimoine linguistique et culturel. Les initiateurs du projet "Julie et Julia" et Nora Ephron ont respecté à la lettre cet aspect des choses et le français surgit, parfois de manière impromptue, avec bonheur.
Stanley Tucci est une fois impeccable dans le rôle de Paul Child. Chris Messina et Mary Lynn Rajskub nous offrent une intéressante alternative aux éternels seconds rôles que nous nous coltinons depuis une décennie.
"Julie et Julia" est un long métrage divertissant à la tonalité légère. Le but du film n’est pas de révolutionner le 7ème art mais de nous divertir avant tout. Le sujet de base est novateur et son traitement bénéficie d’un scénario inventif et d’une mise en scène appliquée. Mais l’avantage de l’œuvre est surtout de profiter de la présence de deux actrices que tout sépare (âge, renommé, consécration, filmographie) mais qui brillent chacune de leur côté.
Même si le long métrage comporte son lot de clichés, de moments prévisibles et de bons sentiments, le travail de Nora Ephron est à voir et à consommer sans restriction.
Et puis…
..."Bon appétit".