Quelques affiches électorales trainent encore, la tête de Yusuf Bayrak ne fait même pas la gueule de n'avoir raflé qu'1,5% des voix à Neukölln, et Merkel affiche un sourire empreint de (fausse) modestie à Charlottenburg sûre désormais d'avoir le Kraft pour quelques années encore. Voilà, les élections c'est fait, rien de glorieux, mais on ne s'attendait pas vraiment à autre chose, non? Dimanche soir, le Deutsches Theater annonçait sobrement les scores sur un tableau de fortune sur les marches, pendant que je m'engouffrais dans la Kammerspiele. Herz der Finsternis au programme, adaptation du roman de Conrad, Au cœur des ténèbres, par le tout nouveau "Hauptregisseur" de la vénérable institution berlinoise Andreas Kriegenburg. C'est cette pièce qui a ouvert la saison du DT, c'est cette pièce qui devait marquer la nouvelle Hamburg touch, puisque Kriegenburg est venu sous la houlette de l'ancien directeur du Thalia Ulrich Khuon, aujourd'hui Intendant du Deutsches Theater. Autant dire que l'accueil berlinois a été froid. Le mien également. Après le mythologique récit de Conrad, après le colossal Apocalypse Now, il fallait tenir la route. Ce fut plutôt une dé-route. Comme celle du SPD. Mais Berlin se reprend, et étire son week-end pour cause de fête nationale le 3 octobre, ou plus exactement de fête de la réunification. Et alors quoi? Vendredi chômé = week-end prolongé = trois matinées grasses = surplus de sorties, culture & co, nuits prolongées et brunchs tardifs. Mon GPS à bons plans a repéré de quoi suroccuper les quatre jours à venir : une fête géante avec le Royal de Luxe, Shannon Wright au Magnet, la première du Woyzeck de Robert Wilson/Tom Waits/Kathleen Brennan mis en scène par la jeune Jorinde Dröse au Deutsches Theater, le décapant Dritte Generation pour grincer des dents à la Schaubühne, Le wall de Pink Floyd transformé en road-theater dans Berlin aux Sophiensaele, René Pollesch et sa Ruhr Trilogie à la Volksbühne, le Vent du nord qui souffle sur le Hebbel am Ufer, Prejlocaj qui revisite Blanche Neige au Deutsche Oper, l'ouverture avec Rachid Taha du Francophonic Festival à la Kesselhaus, l'expo Modell Bauhaus qui ferme ses portes dimanche, Pélléas et Mélisande de Debussy joué au Neuköllner Oper. N'en jetez plus, et pourtant.... Il y a tellement d'autres choses. Voilà ce que j'ai déjà vu les jours derniers, et que je conseille, ou non.. J'ai revu le Dritte Generation de Yael Ronen, metteure en scène israélienne, et je ne le regrette pas. Courez voir cette thérapie de groupe judéo-palestino-allemande, qui ne laisse pas le public de côté. Ca dérange, ça grince, ça soulage. Mais j'en avais déjà parlé là. C'est jusqu'au 4 octobre tous les soirs à 21h, à la Schaubühne.
Hier soir, Angelin Prejlocaj m'a émerveillée avec son Blanche Neige (Schneewitchen en allemand) donné au deutsche Oper. Pourtant le premier quart d'heure m'a fait craindre le pire. Il a voulu se frotter au ballet classique, et malgré une introduction envelopée de sobre noirceur, les scènes de cour avec roi/princesse, courtisans et pirouettes semblait ramener à une époque révolue. Mais heureusement pour le conte, Blanche Neige quitte le chateau, et Prejlocaj les convenances.Les décors imaginés sont à couper le souffle, cette forêt sombre où filtrent quelques rais de lumière, ce tronc d'arbre dont les cavités autorisent à la plus époustouflante des scènes aériennes.Il travaille avec des danseurs classiques et respecte ça, tout en apportant sa touche, et en profitant des budgets faramineux pour nous éblouir à coups d'illusions, de décors magnifiques. Les costumes signés Jean-paul Gaultier sont à la hauteur à part cette pauvre Blanche Neige qui se retrouve drapée dans un string-pagne sans grâce. Prejlocaj respecte aussi à la lettre le conte des frères Grimm, c'est narratif, on se rend compte que finalement on connait l'histoire par coeur. Mais pour parler danse, les danseurs sortent de leur carcans, les pirouettes s'effrondrent par terre. Ce pas de deux avec une morte entre le prince et Blanche Neige est le point d'orgue de cette alliance entre la virtuosité des danseurs et l'identité forte de Prejlocaj. Il y a cependant cette musique souvent trop forte, mal équilibrée, dont on comprend mal pourquoi elle n'a pas été jouée en direct par un orchestre. Beatrice Knop qui danse la mârâtre set fabuleuse sculptée dans la robe sexy de Gaultier. C'est elle qui rompt magnifiquement le charme dans un dernier solo endiablé. A voir le 2 octobre au Deutsche Oper, 19h30.
J'en reviens à ma petite déception de la semaine : Herz der Finsternis. Andreas Kriegenburg fait le choix de laisser parler le texte, l'adaptation comporte très peu de dialogue, beaucoup de récitations, de préférence en chorale. Un dire-ensemble qui s'avère poussif, artificiel. On perd alors de vue la chair du roman, son incroyable noirceur, son aura mythologique. Il y a pourtant de très belles images façonnées là, comme ces six marionnettes géantes, squelettes noirs faméliques, symboles d'une Afrique pillée, ou ces trois murs blancs "psychiatriques" où la raison n'a plus cours. Mais la troupe des sept acteurs semble engluée dans le texte presque autant qu'elle est dans la glaise qui recouvre corps et visages. Le personnage de Kurtz n'a pas assez de charisme ni de mystère, Marlow demeure désespérément seul malgré les six voix qui le portent dans son voyage au bout de l'enfer. Au Deutsches Theater, c'est plutôt la première de Woyzeck demain soir qui retient mon attention. Le concept est de Robert Wilson, les chansons ont été écrites et composées par Tom Waits et sa compagne Kathleen Brennan et la pièce montée en 2000 au Berliner Ensemble. Aujourd'hui c'est la jeune Jorinde Dröse qui s'y frotte pour sa première pièce au Deutsches Theater. Le rock trouble de Tom Waits pour revoir la pièce inachevée de Büchner. Ca devrait valoir le coup. J'allais oublier, le DT ouvre ses portes, ses coulisses, ses salles de répétition aux visiteurs le 4 octobre à partir de 14h. On devrait pouvoir y croiser comédiens, metteurs en scène et techniciens. Woyzeck première le 2 octobre au DT, Herz der Finsternis, le 7, le 13 et le 17 octobre.
Découverte réjouissante la semaine dernière au Heimathafen de Neukölln, un tout jeune théâtre géré par une troupe qui a décidé de faire une scène locale, innovante et en même temps attachée à son quartier. Samedi soir la salle était encore pleine à craquer pour la pièce à succès de cette petite scène, Arabboy. Une adaptation du roman-docu de Güner Balci, travailleuse sociale de Neukölln. Dans ce scarface à la sauce berlinoise, un petit malfrat d'origine kurdo-palestinienne, y traine son désoeuvrement avant de basculer du côté sombre : proxénétisme, viol, vols, trafic, prison. La trame en elle-même n'a rien de très original, penche parfois même dans le cliché même si elle a le mérite de poser un regard froid et sans psychologie sur cette histoire personnelle dramatique. La metteure en scène Nicole Oder s'en tire avec intelligence, choisit d'accélérer toujours plus le rythme, sans jamais qu'on reprenne son souffle. Cela aurait été impossible sans la prestation époustouflante des acteurs. Un trio explosif : le héros joué par le tout jeune Hüseyin Ekici, 18 ans, tout en énergie et en puissance, et deux électrons sensationnels qui endossent pas moins de 17 rôles annexes. Inka Löwendorf et Sinan Al-Kuri font de cette pièce un moment exceptionnel, où jamais la tension ne retombe malgré un décor réduit au strict minimum et aucune sortie de scène. Inka Löwendorf joue les caméléons sans transition entre un petit malfrat qui vit dans l'ombre du copain grande gueule, une mère voilée dépassée par la violence de son fils, une juge pour mineurs à mille lieux des réalités du quartier, une jeune fille violée, une midinette fleur bleue, un vieux réparateur de chaises au parler berlinois. Dans ce jeu de métamorphose elle nous étourdit, gardant elle toujours le cap. Ce week-end pas de représentations d'Arabboy, le Heimat Hafen se consacre à un festival de slam, et Inka Löwendorf, entrée dans la troupe de la Volksbühne, joue dans Der Bauch, de Kurt Bartsch, une comédie familiale made in DDR que je n'ai pas encore vue mais qui semble faire le régal des critiques (et ça n'est pas si fréquent à la Volksbühne). Pour René Pollesch et sa Ruhr Trilogie, dont la Teil 2 est à voir en ce moment dans le théâtre de Castorf, on y reviendra plus tard, mais à conseiller aux passionnés de cabaret post-industriel.
Pour ce que je n'ai pas vu, mais que je conseille : la balade en bus sur les traces du mur et de Pink Floyd au nom interminable 400asa Sektion Nord Der Sumpf. Europa Stunde Null programmée jusqu'à samedi par la Sophiensaele, le Nordwind festival accueilli par le Hebbel am Ufer où théâtre, danse, installations, performances, concerts venus des pays du Nord se déclineront à la Hau 1, 2 et 3 jusqu'au 9 octobre. Rachid Taha vient ouvrir le Francophonic Festival avec un concert ce soir à la Kesselhaus. Jusqu'au 18 octobre on y verra aussi Peter Van Poehl, Oshen, Mansfield Tya, Sebastien Schuller ou Stuck in the Sound.
S'il reste du coeur et de l'énergie dimanche soir la sombre Shannon Wright sera au Magnet pour un concert intime. Je ne garde pas un souvenir indélébile de son passage à Bordeaux il y a deux ans, trop timide, trop effacée derrière sa grande frange mais la voix ferait frissonner n'importe qui. Pas non plus encore écouté son dernier album Honeybee girls qui vient de sortir, mais Flight safety et Let in the light sont des petits bijoux.