Ce Printemps de Septembre (jusqu’au 18 octobre) est particulièrement réussi. Non qu’un discours thématique fort unisse les œuvres présentées (que signifie donc ‘Là où je suis n’existe pas’, sinon un pied de nez à la logique un peu attrape-tout), et le commissaire Christian Bernard n’y prétend nullement, mais parce que la trentaine de lieux concernés (un peu trop dispersés pour le visiteur de passage, je n’en ai vu que 18, et l’Espace Saint-Cyprien était stupidement et bureaucratiquement fermé le week-end d’ouverture) présentent pour beaucoup des travaux de qualité appuyés par un excellent discours curatorial. Mon seul reproche sur l’ensemble est dû au fait que le directeur du MAMCO a amené dans ses valises un tiers ou presque d’artistes suisses : certains sont excellents (ainsi les dessins de Didier Rittener à la Galerie Sollertis), mais pour beaucoup, on se demande un peu ce qu’ils font là : Christian Floquet (galerie Jacques Girard) peint comme dans les années 50, Patrick Weidmann s’est reconverti comme expert en bimbos, Pierre Vadi fait dans la grandiloquence creuse et les vidéos de voyage de Marianne Müller sur écran dédoublé lassent au bout de quelques minutes. Ce passage obligé ne convainc pas.
Venons en donc aux réussites. La plus grande est sans contexte le travail curatorial fait aux Abattoirs dans « Sept pièces faciles » ; il faut regarder avec dérision le sempiternel squelette d’Abdessemed, plagié sur Brian Jungen, témoignage triste d’un artiste incapable de se renouveler, passer vite devant la structure de Tobias Putrih où la projection de films est inconfortable au possible, et passer tout le temps nécessaire dans les salles latérales. Trop souvent, les commissaires d’exposition font des rapprochements hasardeux, ésotériques, tirés par les cheveux entre des œuvres qu’ils tentent désespérément de relier entre elles. Ici, au contraire, les rapprochements sont simples, ‘faciles’ et lumineux. Une des alcôves met face à face l’atelier de Rauschenberg et celui de Pascal Pinaud, deux images de création en miroir dévoilant l’ordinaire, le matériel, le technique, et aussi les images qui habit(ai)ent l’un et l’autre. Une autre, à partir d’un On Kawara de 1966, montre d’autres œuvres de cette année là (Dan Flavin, Philippe Thomas, Rémy Zaugg et bien d’autres) et interroge sur la temporalité de la création, son actualité et sa permanence. Une troisième établit des correspondances souterraines autour d’un Cézanne absent, La Maison du Pendu. Gabriele di Matteo est présent dans deux salles, l’une avec une série de portraits dramatiques de Borges face à un mur de miroirs agrémentée d’une fillette nue (Gertsch, je crois), allégorie du désir regardant ; l’autre est un mur de tableaux du ‘Maître des vagues’, personnage réel ou fictif qui recopie soigneusement des clairs de lune maritimes, composant ainsi une ‘meta-œuvre’ face aux puzzles artistiques de Colin-Thiébaut. Et la salle la plus splendide est sous le thème des constellations, avec une photographie céleste de Thomas Ruff (18h24) dominant un jeu de dés de Robert Filliou, dés dont toutes les faces portent le chiffre 1 (Eins, Un, One) et qui jamais n’aboliront le hasard. Mon seul regret est qu’un mini catalogue n’ait pas été édité juste pour ces sept exercices d’accrochage afin que nous puissions jouir longtemps de ces appariements et des textes fins et séduisants qui les accompagnent.
Plus bas, on est, ou non, attiré par le travail de Cosima von Bonin, puis on découvre l’installation de Jim Shaw face au rideau de Picasso (La dépouille du Minotaure en costume d’Arlequin) et à un autre rideau, inédit paraît-il, de Dali, The Three-Cornered Hat. La pièce de Shaw, titrée Labyrinth : I dreamed I was taller than Jonathan Borofsky, est un assemblage baroque de décors en bois, plutôt baroque et grand-guignolesque. Il y a des sacs de dollars au sol, des foules aspirées, dominées, écrasées. Je ne sais pas trop comment était le travail de Borofsky et je crois que j’aurais préféré découvrir le Dali tranquillement, plutôt que d’avoir à naviguer dans ce labyrinthe. Sans doute les salles du rez-de-chaussée ont-elles mis la barre trop haut pour que j’apprécie ensuite ce brouhaha dont je ne suis pas certain de percevoir la cohérence avec l’un ou l’autre rideau ; mais il y a de jolis détails, comme cet homme au fagot en feu sur un fond de papier peint décrépit, voisinant avec Kilroy, le signe des soldats de l’armée de Pershing (en haut).
A l’étage, dans les collections permanentes, une étonnante installation poétique, graphique et murale de Serge Pey sur la Vénus Hottentote fait pendant aux photos d’adolescents au corps peint des peuples de l’Omo, par Hans Silvester : notre regard sur l’exotisme a-t-il vraiment changé en deux siècles ? Sur le corps de ces jeunes hommes, les motifs le plus souvent géométriques et répétitifs se marient parfois aux scarifications ; j’ai aimé celui où ils font écho aux cannelures du chargeur de Kalach et un autre où la bande claire allant du bras au sexe dessine une étrange carte sur le corps.
Voilà pour les Abattoirs ; il reste bien d’autres lieux à voir. Une mention rapide de deux spectacles qui n’ont eu lieu que le premier week-end : ‘Not about Everything’, où le jeune danseur / performeur Daniel Linehan tourne inlassablement sur lui-même pendant plus de 30 minutes en récitant un texte (en anglais) qui exprime bien la perplexité du spectateur : sommes-nous surtout fascinés par l’exploit physique et mémoriel ? que retirons-nous de cette performance ? de quoi s’agit-il ? L’autre spectacle, ‘Parlement’, de Joris Lacoste, met en scène pendant une heure, une comédienne, Emmanuelle Lafon, qui enchaîne des tons de parole typés et divers : le répondeur téléphonique, la météo marine, le commissaire-priseur, le prêche, etc. C’est d’une grande virtuosité, et c’est surtout un travail sur le langage, sur la manière dont la voix l’exprime, qui est fascinant et dont on ne se lasse pas.
Photos de l’auteur.