Ce rapport de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises est le fruit d’un travail collectif dans le cadre d’un groupe de travail rassemblant DRH et syndicalistes, animé par le DRH de Peugeot-Citroën et celui d’AREVA. Nous l’avons lu attentivement.
« La notion de responsabilité sociétale des entreprises, qui place l’équilibre entre l’entrepreneur, l’actionnaire et le salarié au coeur de ses préoccupations, s’affirme plus que jamais comme un enjeu capital et comme un levier de changement », affirme le rapport. On nous permettra de considérer qu’il s’agit lŕ d’une vision partielle de la RSE, car la caractéristique de celle-ci est bien de s’ouvrir, au-delŕ des acteurs internes que sont les trois précités, sur d’autres parties prenantes, externes ŕ l’entreprise mais auxquelles on reconnaît une légitimité ŕ d’adresser ŕ l’entreprise dont l’action les concerne. La conception de la RSE développée dans le rapport est celle du traitement des externalités par les seuls acteurs internes ; restons donc sur cet aspect qui, pour n’ętre pas le seul, est cependant fondamental.
« La RSE permet en effet aux entreprises, sur une base volontaire, de transformer ce qui, a priori, peut apparaître comme des coűts (les contraintes sociales ou environnementales), en autant d’opportunités d’améliorer leur performance et, par conséquent, les conditions de leur pérennité. La recherche par les entreprises d’un modčle de développement soucieux d’assurer ces nouvelles responsabilités sociétales constitue pour les partenaires sociaux une opportunité de transformation du dialogue social. Mettre en place une démarche de RSE crée en effet les conditions d’un dialogue rénové, en s’appuyant sur une démarche volontaire des acteurs oů peuvent ętre valorisées des innovations, en débattant dans les entreprises des sujets de société (droits de l’homme, changements climatiques, équilibre travail et vie privée...), en cherchant ŕ intégrer de nouvelles formes d’engagement militant et des préoccupations différentes portées par les nouvelles générations. »
L’entreprise est au centre de nouvelles exigences de la société, et le périmčtre des thčmes du dialogue social s’élargit : protection de l’environnement, défense des droits humains fondamentaux, respect de l’éthique et lutte contre la corruption, partage des exigences sociales avec les fournisseurs et les sous-traitants, prévention des risques professionnels et action en faveur de la santé publique, promotion de la diversité, égalité des chances et égalité professionnelle entre hommes et femmes, équilibre entre travail et vie personnelle. « Les entreprises doivent s’interroger sur les conditions de leur positionnement pour assurer le bien-ętre de leurs salariés dans une logique de motivation, de fidélisation et pas conséquent de performance de l’entreprise, sans pour autant se substituer aux responsabilités publiques ». On retrouve ici la vision interne et utilitariste de la RSE qui doit servir ŕ d’attirer les meilleurs ressources humaines, laissant le tout-venant au entreprises moins performantes ou moins riches, voire au service public de l’emploi. Et sur un autre aspect, on nous permettra de faire remarquer que le mode de gestion des ressources humaines caractérisé par la motivation et la fidélisation des salariés peut présenter des effets pervers particuličrement graves pour les entreprises et parfois le territoire. En effet, ce sont les salariés les plus motivés, les plus fidélisés, qui ont accepté des sacrifices pour la performance de l’entreprise, ce sont eux qui se lancent dans les actions les plus dures en cas de fermeture de site ou de réduction d’effectifs, trčs au-delŕ parfois de ce que les responsables syndicaux souhaitent voire admettent – menace de sabotage, voies de faits, saccage de locaux administratifs, par exemple - . Le vassal abandonné par son seigneur se révolte, bien plus que le mercenaire dont on ne demande plus les services et qui va les offrir ailleurs.
L’internationalisation des entreprises et l’organisation des groupes selon le modčle holding plus filiales pose problčme de l’articulation des différents niveaux de dialogue social, et met en évidence les difficultés des organisations syndicales ŕ se coordonner ou męme simplement ŕ dialoguer entre elles. Le rapport note que « les échanges entre syndicalistes de différentes nationalités sont peu nombreux et, lorsqu’ils existent, le sont souvent ŕ l’initiative de la direction. » Le constat n’est pas faux mais il ne faut pas oublier que, si les grandes entreprises adhérentes de l’ORSE souhaitent un dialogue social européen ou international, bien des groupes le refusent et s’efforcent d’empęcher l’activité syndicale.
L’émergence de nouveaux acteurs ou l’action nouvelle d’acteurs anciens devient de plus en plus importante. Le rapport cite les organisations paritaires de protection sociale, excluant ou oubliant les autres acteurs de la protection sociale complémentaire (mutuelles, compagnies d’assurance et caisses de sécurité sociale), les agences de notation extra financičre, les cabinets de certification, les associations de salariés ŕ but particulier, notamment anti-discrimination, les organisations non gouvernementales et les instances productrices de normes sociales (CNIL, Halde). La liste ne comprend pas les experts qui travaillent pour le comité d’entreprise ou le CHSCT, qui ont cependant dans les faits un rôle important.
Le rapport rappelle ŕ juste titre que les IRP ont vocation ŕ appréhender l’ensemble des thématiques qui impactent les relations de travail et qu’il ne s’agit pas pour les entreprises de négocier avec d’autres acteurs que les partenaires sociaux. Mais ne pas négocier ne veut pas nécessairement dire refuser de rencontrer.
« Comment réformer le dialogue social pour prendre en compte les évolutions sociétales ? » Le rapport répond que l’élargissement des thčmes du dialogue social, l’internationalisation croissante des entreprises et l’arrivée de nouveaux acteurs externes ŕ l’entreprise « obligent ŕ professionnaliser encore plus le dialogue social ». Affirmant haut et fort que les entreprises et les organisations syndicales forment un couple indissociable, il souligne que les IRP sont les acteurs légitimes de la négociation/ sociale et que le dialogue social est une prérogative des partenaires sociaux.
« La distinction des compétences entre des acteurs du dialogue social et des acteurs externes sera d’autant plus claire si les entreprises et les représentants syndicaux ont débattu du recours ŕ des tiers pour une intervention en amont (diagnostic par exemple) ou en aval (contrôle des engagements). » Pour que le dialogue social se déroule bien, il convient de valoriser l’activité syndicale au sein des organisations, de créer les conditions d’un dialogue de qualité, de gérer les situations imprévues et les conflits, et de professionnaliser les représentants des salariés, en facilitant la prise de mandat des représentants syndicaux ou du personnel, en maintenant les acquis professionnels pendant la durée du mandat et en prenant en compte les compétences liées ŕ l’exercice d’un mandat syndical ou de représentation du personnel. L’heure n’est plus au dialogue social reposant « sur un nombre limité de militants syndicaux investis ŕ temps plein pendant une grande partie de leur carričre », il faut favoriser le renouvellement des acteurs, leur permettre de garder une activité professionnelle, réintégrer les militants en les reconvertissant, éventuellement dans une autre entreprise.
Assez curieusement, la conclusion du rapport ne porte gučre que sur le dialogue social et sa « professionnalisation », notamment la réintégration professionnelle des représentants du personnel qu’il convient de prévoir en amont. Ce sont des choses nécessaires mais peut-ętre pas suffisantes…
Et, comme d’habitude, les acteurs concernés sont les grandes entreprises ŕ visage humain. C’est dire que cela ne concerne pas la majorité des salariés français, sans męme parler de l’ensemble des travailleurs européens.