Les partis politiques appartiennent-ils au patrimoine ?
Pas de doute en ce qui concerne quelques uns de leurs lieux de réunions : Versailles, Palais du Luxembourg, Palais Bourbon qui seront visités les 19 & 20 septembre à l'occasion des journées du patrimoine.
Quant aux partis politiques eux-mêmes, acteurs d'un spectacle devenu répétitif et éprouvant, il se pourrait bien qu'ils soient enfin «revisités» comme le souhaitait la philosophe Simone Weil (1909‑1943), dans sa «Note sur la suppression générale des partis politiques» écrite en 1940.
Argumentaire en dix points résumés de la philosophe :
- Critère du bien : "en premier lieu, la vérité et la justice ; en second lieu, l'utilité publique". (p.25)
- "La démocratie, le pouvoir du plus grand nombre, n'est pas le bien. C'est un moyen, pour satisfaire vérité, justice et utilité publique". (p.25)
- "Il y a plusieurs conditions pour pouvoir appliquer la notion de volonté générale. Deux retiennent l'attention (p.30) : absence de passion collective d'une part ; que le peuple ait à exprimer son vouloir à l'égard des problèmes de la vie publique et non pas de faire des choix de personnes. Encore moins un choix de collectivités irresponsables", d'autre part. (...) "Le seul énoncé de ces deux conditions montre que nous n'avons jamais rien connu qui ressemble même de loin à une démocratie." (p.32-33)
- "Pour apprécier les partis politiques selon les critères de vérité, de justice et d'utilité publique, il convient d'en discerner les caractères essentiels. On peut en énumérer trois (p35) : Un parti politique est une machine à fabriquer de la passion collective".
- "Un parti politique est une organisation construite de manière à exercer une pression collective sur la pensée de chacun des êtres humains qui en sont membres".
- "L'unique fin de tout parti politique est sa propre croissance, et cela sans aucune limite".
- "Par ce triple caractère, tout parti est totalitaire en germe et en aspiration (...)" (p.35)
- "Aucune quantité de pouvoir ne peut jamais être regardée comme suffisante (...) Le parti se trouve (...) dans un état continuel d'impuissance qu'il attribue toujours à l'insuffisance du pouvoir dont il dispose. Serait-il maître absolu du pays, les nécessités internationales imposent des limites étroites." (p40)
- "Un homme qui adhère à un parti a vraisemblablement aperçu dans l'action et la propagande de ce parti des choses qui lui ont paru justes et bonnes. Mais il n'a jamais étudié la position du parti relativement à tous les problèmes de la vie publique. En entrant dans le parti, il accepte des positions qu'il ignore (...) Quand peu à peu, il connaîtra ces positions, il les admettra sans examen". (p59)
- A moins de renoncer à lui-même, aucun homme ne peut servir deux maîtres à la fois, un idéal collectif et un intérêt individuel, encore moins une idéologie relevant de la pensée unique et des convictions personnelles librement assumées.
Pour éclairantes que soient ces réflexions, il faut bien s'avouer que les partis restent pour l'instant un mal nécessaire. Il serait pourtant possible, d'en rétablir la crédibilité et d'en atténuer le coté négatif au moins partiellement en :
- établissant la validité du « vote blanc » pour qu'il soit comptabilisé
- organisant la gratuité totale des adhésions aux partis politiques
- alignant le salaire des élus sur celui des fonctionnaires
Quant à leur aspect « patrimoine », à l'instar de la gastronomie, les partis politiques pourraient in extremis être sauvés de leur actuelle déconfiture s'ils devaient bénéficier d'une mesure de protection opportunément concoctée par convention de l'UNESCO, ratifiée par 78 Etats le 20 juin 2007. Et ce, au même titre que « L'isopolyphonie populaire albanaise », « Le muqam ouïgour du Xinjiang » ou « Les dessins sur le sable de Vanuatu ».
En effet, selon cette convention,
« On entend par Patrimoine Culturel Immatériel les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire (...) que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu (...), leur procure un sentiment d'identité et de continuité (...). Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d'un développement durable. »
Ayant une part de responsabilité (trop souvent malheureuse) dans notre histoire et notre culture, « revisités » ou pas, pourquoi les partis politiques n'entreraient-ils pas au Patrimoine Culturel Immatériel de l'Humanité ?