Les chansons survoltées de Joe Cocker, l’hymne américain interprété par Hendrix, une foule démesurée en liesse, les glissades dans la boue, la drogue, les hippies sont des images généralement associées au Concert de Woodstock depuis des lustres. Ces représentations d’Epinal, issues principalement du documentaire de Michael Wadleigh (assistant : Martin Scorsese), peuplent l’imaginaire collectif (et le mien) mais sont peu satisfaisantes quand on s’intéresse de près à l’événement planétaire qui a marqué l’apogée de la contre-culture américaine à la fin des sixties.
Car je me suis rendu compte que je savais très peu de choses sur ces journées d’août 1969 (15->18) du "Woodstock Music and Art Fair" qui a imprégné une génération entière de jeunes gens des Etats-Unis et du monde entier. Les initiateurs du projet, les conditions de déroulement du festival et bien d’autres questions demeuraient jusqu’il y a peu une véritable énigme.
"Hôtel Woodstock" (encore un titre VF racoleur au possible comparé à "Taking Woodstock" en VO bien plus satisfaisant), le nouveau long métrage d’Ang Lee m’a permis à la fois de répondre à la plupart de ces interrogations et surtout de me divertir. A la base le film est une œuvre humainement riche, distrayante et surtout bien foutue. Ang Lee demeure véritablement un magicien du 7ème art.
Elliot Tiber né Teichberg (Demetri Martin), jeune décorateur à Greenwich Village, retourne aider ses parents Sonia (Imelda Staunton) et Jake (Henry Goodman), tenanciers d’un modeste (pour ne pas dire minable) hôtel dans le nord de l’état de New York, pour la fin de la saison estivale.
La situation financière de ses parents étant catastrophique (l’hôtel est menacé de saisie), Elliot apprend que la bourgade voisine a annulé la tenue d’un festival de musique hippie. Il contacte les promoteurs et réussit à les convaincre que l’événement doit se tenir près de chez lui dans la ville de Woodstock.
Elliot ne mesure pas l’ampleur que prend Le phénomène au fil des jours. La jeunesse du pays entier afflue vers une petite bourgade de quelques milliers d’âmes. Le jeune homme doit lutter contre les inimitiés locales et l’hostilité de sa mère.
L’intérêt premier du film est qu’il soit mis en scène par un cinéaste étranger. Je me suis fait la réflexion avant de rentrer dans la salle et la suite a confirmé ma première impression. Ang Lee a un regard neuf sur ce phénomène, un angle d’attaque inédit.
On se rend compte dès les premières secondes que son film ne va pas s’intéresser aux multiples concerts et prestations scéniques qui sont entrés dans la légende mais à l’ambiance et l’atmosphère qui ont régné autour. Autant vous le dire tout de suite, la musique de Woodstock reste une toile de fond pendant les deux heures que durent le film. La piste aux étoiles si j'ose dire demeure un arrière plan que l’on devine au loin, un lieu inaccessible.
Woostock, en tant que fait culturel historique, peut s’envisager d’au moins deux manières différentes. Les mélomanes ont des vidéos, des dizaines d’heures de bandes audio à leur disposition pour se replonger au cœur de l’événement musicalement parlant.
Nous sommes côté scène.
Pour les cinéphiles la démarche est tout autre. Dans "Hôtel Woodstock", le cinéaste Taiwanais a pris le parti pris de mettre en lumière une formidable galerie de personnages hauts en couleur qui ont vécu Woodstock chacun à leur manière. Nous évoluons au milieu d’hommes et de femmes dont la vie a radicalement changé en quelques semaines.
Nous sommes dans les coulisses.
L’histoire passionne car elle propose enfin (en ces mois, années ? où l’originalité a définitivement fui Hollywood) un sujet novateur, frais, débarrassé de nombreuses inhibitions. Ang Lee n’hésite pas à trancher dans le vif et aborde toutes les questions. Le cinéaste, déjà coutumier du fait par le passé, installe la thématique de la liberté au centre de son film. Le jeune Elliot va au bout d’un projet insensé pour sauver ses parents de la ruine. Il se découvre aussi lui-même (sexuellement parlant).
Le long métrage aborde l’homosexualité et la transsexualité de front sans charger la note outre mesure. Ang Lee donne de l’humanité à ces personnages qui se révèlent. Il n’y pas de défi et de manifestations ostentatoires. Woodstock nous est montré comme un catalyseur de libération sexuelle, pas comme un défi stérile aux bonnes mœurs et à la morale.
Pendant deux heures le spectateur oscille d’une émotion à l’autre. L’histoire, étayée par un scénario brillant et fouillé, nous fascine, nous émeut. Le rire et les larmes jaillissent de concert. La plus grande réussite de l’œuvre est avant tout de nous toucher profondément. Il n’y a rien de pire qu’un long métrage parfaitement lisse et déshumanisé.
"Hôtel Woodstock" est un film qui donne du bonheur pendant deux heures. Le film cultive une bienheureuse nostalgie. Cette apologie de la liberté et de l'amitié où tous les excès sont permis (alcool, drogue et sexe) résonne comme une leçon de vie, un Eden perdu pour toute une génération d’hommes et de femmes. Il y a eu un avant et un après Woodstock.
Dans la démarche du réalisateur il y a pas la volonté de justifier quoi que se soit. L’intention parfaitement claire au fil des minutes est de mettre en relief le plus fidèlement possible, même si le film reste dans l’absolu une création de fiction, la "réalité" de ces journées qui ont changé le monde.
La construction du long métrage peut faire penser à une pièce de théâtre en deux actes. La première partie s’attache à nous présenter les conditions d’organisation du festival alors que dans un second temps nous évoluons dans les environs immédiats de Woodstock.
Pendant la première heure du film l’événement demeure un vague projet qui se construit peu à peu, Ang Lee a le temps de poser ses caméras, de nous présenter les personnages emblématiques puis de dérouler bien tranquillement son intrigue.
Puis la tempête succède au calme
Dans la seconde moitié de l’œuvre nous sommes happés par le tourbillon de l’Histoire. Woodstock devient un fait concret, gigantesque, démesuré, excessif. Les personnages sont aspirés par un tourbillon d’individus qui renverse des montagnes. Les êtres changent à jamais, les consciences aussi.
Woodstock devient un fait avéré, l’Histoire est en marche.
Ce second moment se caractérise par certaines séquences inoubliables. Le cinéaste utilise l’écran partagé sur le plan formel par moments, il filme les glissades dans la boue comme en son temps Michael Wadleigh dans son documentaire. La mise en scène relève de l’hommage appuyé, du clin d’œil cinématographique d’un professionnel à son aîné. L’une des scènes les plus étonnantes est le trip hallucinatoire du héros en compagnie de deux hippies (Paul Dano et Kelli Garner) dans une camionnette VW.
Ang Lee n’éprouve pas le besoin de s’appesantir sur la consommation excessive de drogue. Le spectateur sait très bien à quoi s’en tenir à ce niveau là et l’astuce de la mise en scène est de se focaliser sur deux ou trois moments bien précis et de ne plus y revenir. On ne peut absolument pas taxer le metteur en scène de faire l’apologie de la toxicomanie. Nous sommes aux antipodes de toute idée dénonciation ou de justification.
Woodstock fut ainsi. Point.
Dans la dernière demi-heure heure de "Hôtel Woodstock" les personnages nagent en pleine liesse collective, les chevaux sont lâchés et nous en prenons plein les yeux et les oreilles.
La musique de Danny Elfman a aussi ses effets euphorisants.
L’intérêt du long métrage est de mettre l’accent, comme je l’ai dit plus haut, sur les personnages décalés, entiers et humainement riches. Nous croisons sur notre chemin la mère d’Eliott qui est une véritable pingre et méchante bonne femme, un ancien combattant du Vietnam à la masse mais au combien attachant (Emile Hirsch) et un ex-marine transsexuel (Liev Schreiber) et nous faisons la connaissance d’une troupe de théâtre expérimental sympathique. Plus généralement ces êtres sont drôles, émouvants, captivants. Ils ne nous laissent pas indifférent.
Dans son propos Ang Lee insiste beaucoup sur ces rencontres d’un jour, sur ces morceaux d’(H)histoire(s) qui ont fait Woodstock.
Souvent je me répète et c’est en quelque sorte devenu mon credo mais point de grand film sans grands interprètes. Demetri Martin, quasi inconnu du grand public français, est étonnant. A lui tout seul il porte une grande partie du film sur ses épaules. Imelda Staunton est LA révélation du film. Sa composition de mère acariâtre fait mouche et on a par moments envie de l’étrangler. Henry Goodman est le contrepoids idéal. Sa composition de père plein de tolérance, d’amour et d’humanité captive le spectateur.
Emile Hirsch est brillant une nouvelle fois. En quelques séquences l’image typique du vétéran US vietnamien surgit devant nous de manière éclatante. La prestation de Liev Schreiber est superbe. "Son" transsexuel est crédible sans être risible.
Et je ne vous parle pas de tous ces seconds rôles qui accrochent l’image par un regard, un sourire, une réplique ou un geste.
"Hôtel Woodstock" est un long métrage réussi à plus d’un titre. Ang Lee nous ravit par la qualité de sa mise en scène et son soin du détail. La reconstitution historique est brillante. Le spectateur est émerveillé par la douce nostalgie qui s’installe tout au long du film et le cinéaste arrive à nous faire regretter de ne pas avoir participé à l’événement.
Chapeau bas Monsieur Ang Lee.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 19 novembre à 16:13
J'aime beaucoup la manière dont vous avez présenté le film. Votre article aborde bel et bien les thèmes majeurs et on voit tout de suite que vous maitrisez votre sujet; vous vous êtes senti immédiatement fasciné et impliqué. C'est pourquoi j'espère que vous m'aiderez. Je ne me souviens pas du nom de la compagnie de théâtre ( assez farfelue je pense ) qui occupe la grange de l'hôtel. J'espère que vous me répondrez dès que possible, je n'arrive pas à le trouver et je présente un oral sur ce film. Merci