trange femme : elle n’est ni noire, ni blanche, à la fois très ancienne et très moderne, tribale, urbaine, … on pourrait en ajouter des tonnes. Aucune illustration ne pourrait mieux refléter l’article en page 20 de Philosophie Magazine de ce mois (Raphaël Enthoven, n°32) : la métaphore, en s’éloignant de la réalité, permet de surprendre, d’illustrer l’étrange d’une pensée, d’un concept. Et cette étrange vision, par son étrangeté même, de nous surprendre.
Cette étrangeté, l’auteur la définit comme se trouvant « dans l’oeil de celui qui découvre ce qu’il regarde, c’est à dire, le déshabille« . C’est dire si cet article m’interpelle : l’étrangeté est à l’origine de la recherche scientifique. C’est elle qui permet les questions : Pourquoi est-ce ainsi ? Comment est-ce ainsi ? Combien est-ce ainsi ? À tel point que Richard Feynman nomma en son temps un quark « strange » : il était étrange parce que par sa singularité, il était. C’est alors que le chercheur déshabille cette singularité : l’étrange cesse de l’être.
Vient alors une science confortable dans laquelle il est facile de siester sainement devant sa découverte : ce qui était étrange devient décrit et expliqué. Du sens est né. Pourquoi revenir vers l’étrange, j’en viens !! Le repos de l’aventurier expérimental est là, l’affinage de la pensée, la description fine des éléments, j’y participe comme les autres, et j’invite les autres chercheurs à participer à cette aventure, petite ou grande, dont j’ai ouvert la porte. La science normale selon Kuhn.
La métaphore, elle, suit le chemin inverse. Toujours selon Raphaël Enthoven, c’est « l’art d’indiquer une chose par une autre et d’établir une relation inédite entre les composants de la vie. La contorsion du langage qui fait passer les mots de la généralité à la générosité en les ouvrant sur le singulier qui, d’ordinaire, leur est étranger« . Si le chercheur ne fait pas le chemin inverse, celui qui va de la découverte à l’étrange, au singulier, il devient alors perdu dans le sommeil du juste.
La métaphore est paraît-il indispensable à la vulgarisation : elle permet d’exprimer dans un langage imagé, en utilisant une chose par une autre, une découverte scientifique, une représentation de la nature, une notion … J’ai longtemps pensé que cette pratique de la métaphore était une mauvaise idée, car dans mon esprit, elle infantilise le public : « alors, les globules rouges c’est comme des petits bateaux ». Et puis, précisément, il m’arrive d’écouter « Les p’tits bateaux« . Et parfois, cette méthaphore fait mouche, j’en comprends le sens plus général, et même pourquoi ce serait cette métaphore qui serait utilisée. Au mot près. Et l’étrange arrive, et les questions affluent.
La métaphore la plus célèbre, c’est bien sur le fameux chat de Schrödinger qui ne pouvait passer à la casserole tant qu’il était dans sa boite et qu’on en avait pas ouvert la porte : il était à la fois vivant et mort. Schrödinger a utilisé cette contorsion du langage qui fait passer les mots de la généralité à la générosité en les ouvrant sur le singulier. Encore aujourd’hui, on édite des numéros spéciaux concernant cette métaphore incroyable. Ces métaphores font fonctionner l’imaginaire et donc la recherche, personnelle ou scientifique.
Les séries de Mandelbrot ont eu également leur métaphore, qui a permis de créer des images elles-mêmes métaphoriques de ces séries. Toutes les formes de chou y sont passées, l’explication en devenait tellement simple. Il arrive que la métaphore soit trop proche, trop évidente pour qu’elle ouvre véritablement les portes de l’étrange.
En créant une métaphore, le chercheur s’engage dans la vulgarisation scientifique et permet au public ignorant de comprendre son travail, et de là son point de vue. Mais la vulgarisation a également un autre rôle : par les métaphores qu’elle fournit, elle révèle l’étrange dans le connu, la nouveauté dans l’ancien, la généralité dans la générosité. Elle reste indissociable de la recherche scientifique elle-même.