«On raconte que jadis, dans une cour mineure du Nord de la France, pour une assez longue période, des brodeuses expertes se rassemblèrent.» De toutes les régions de France, elles accoururent, n’emportant pour tout bagage qu’un dé à coudre et des aiguilles de tailles différentes. Elles partirent solitaires et se retrouvèrent bientôttrois centsautour d’une jeune reine, pas amoureuse mais dévouée à son mari pour lequel elle avait beaucoup tremblé lors de la grande bataille d’Hastings en 1066. Elle décida alors de célébrer ses exploitsen écrivant un livre«lisible pour tous, universel, parfait, dont aucune langue ne fût exclue, auquel aucune oreille ne pût rester sourde». Elle se procura du lin, se fit confectionnersoixante-dix mètres de toile blancheet fit venir les meilleuresbrodeuses du royaume. C’est ainsi qu’assise au milieu d’elle, brodeuse parmi les autres femmes, silencieuse comme elles, tous les jours, pendant deux ans, la reine Mathilde raconta la conquête de l’Angleterre par son époux Guillaume le Conquérant.
Ainsi la romancière italienne imagine-t-elle la création de la fameuse Tapisserie de Bayeux, inscrite depuis 2007 au registre de la Mémoire du monde par l’Unesco.
Est-ce un roman historiqueou n’est-ce que l’invention de la vérité ? Le titre est explicite. En effet on ignore encore beaucoup de choses sur la création de ce chef d’œuvre médiéval. Peu importe! Le récit est beau, dans son alternance systématique (trop systématique ?) entre les chapitres consacrés à la broderie avec la rivalité respectueuse du travail de la reine et de celui de sa voisine, une jeune amiennoise très talentueuse etles chapitres consacrésjustement à la cathédrale d’Amiens pour laquelle fut créée cette tapisserie et qui fut tant aimée, visitée, encensée par Ruskin, l’un des artistes favoris de Marcel Proust
L’œuvre est donc ambitieuse sous des dehors en apparence très simple. C’est un tout petit livre aux chapitres très courts, avec peu de rebondissements dans l’histoire elle-même mais la lecture en est très plaisante et stimulante pour qui aime l’art en général et les destinées d'artistes en particulier.
C’est mon cas et j’ai beaucoup aimé ce récit, surtout, je dois le dire, les chapitres concernant la tapisserie, les dernières visites de l’auteur de La Bible d’Amiens à sa cathédrale chérie me semblant parfois superflues !
L’auteur : Marta Morazzoniest née à Milan en 1950. Professeur de lettres et d’histoire, critique littéraire, elle a été traduite en neuf langues, a reçu le prestigieux prix Campiello 1997, en Italie, pour son roman : L’Affaire Alphonse Courrier, (Actes Sud), de même que pour ce roman-ci : L’Invention de la vérité.(Actes Sud)
En a parlé également: Dominique,(Ivredelivres),
L’invention de la vérité de Marta Morazzoni ( Actes Sud, mai 2009, 152 pages) Traduit de l’italien par Marguerite Pozzuoli