Dans une période où quelques commentateurs à Moscou discutent de la possibilité de s'emparer de certaines parties de l'Ukraine, leurs homologues de Kyiv se demandent si Moscou pourra conserver l'Extrême-Orient russe, mettant ainsi en lumière les liens anciens tissés entre l'Ukraine et cette région et remettant au goût du jour des spéculations formulées à l'époque de la rupture sino-soviétique à la fin des années 60.
Pour les Ukrainiens, cette zone entre Vladivostok, Nakhodka et Khabarovsk est connue en tant que "Triangle vert" ("Зелений клин" en ukrainien, "Зеленый Клин" en russe) parce c'est une région dans laquelle des milliers d'Ukrainiens se sont installés au cours des décennies précédant la première guerre mondiale pour échapper à des situations de famine chez eux, étancher leur soif de terres et aider l'empire russe à consolider ses conquêtes dans ces territoires.
Les Ukrainiens ethniques de cette région ont depuis toujours joué un rôle important, non seulement en fournissant la majeure partie de la main d'œuvre agricole, mais aussi en attirant l'attention des puissances extérieures. Au cours du conflit sino-soviétique de la fin des années 60 (combats sur l'Ossouri en 1969 notamment, NDT), Pékin a cherché à les gagner à sa cause, ainsi que l'Ukraine elle-même, ou du moins a été notoirement critiquée par Moscou d'agir dans ce sens.
Récemment, Vitaliy Koulik, directeur du Kyiv Center for Research on Problems on Civil Society, a présenté un rapport dans la capitale ukrainienne intitulé "Est-ce que la Russie conservera l'Extrême-Orient ?"
Dans ses remarques, Koulik a souligné la complexité des attitudes développées par les résidents de l'Extrême-Orient russe à l'égard de Moscou, le rôle croissant de la Chine et d'autres puissance extérieures à cet égard, et les dimensions spécifiquement ukrainiennes des développements sociaux, économiques et politiques locaux.
Selon Koulik, qui a récemment visité la région, les ressortissants de l'Extrême-Orient russe sont de plus en plus déconnectés du reste de la Russie tout en se liant davantage avec d'autres pays. "Une génération entière de jeunes ressortissants née ici n'a jamais été à Moscou, mais souvent à Pékin, Séoul et Tokyo".
Pour ces personnes, il affirme que "Moscou ne signifie plus rien" et que même "le mot rouskiy (russe ethnique NDT) et l'identification en tant que rouskiy sont conditionnelles". Par voie de conséquence, presque un tiers de la population de l'Extrême-Orient russe voudrait envoyer ses enfants au-delà des frontières de la Russie, de manière à ce qu'ils puissent plus tard gagner assez d'argent pour permettre à leurs parents de les rejoindre.
Peu d'entre eux font part d'un quelconque intérêt pour aller en Russie d'Europe ; beaucoup plus sont intrigués par la perspective d'aller vivre en Chine. Et les Chinois exploitent cette tendance, insistant, par l'entremise d'un de leurs écrivains, sur le fait que "l'instabilité en Russie contrastant avec la stabilité de Pékin pousseront la population locale à faire un choix en faveur de cette dernière".
De plus, en dépit de ce qui est fréquemment rapporté dans les médias russes, Koulik insiste sur le fait que peu d'habitants de ce qui constitue maintenant l'Extrême-Orient russe manifestent beaucoup de xénophobie à l'égard des Chinois, la plupart de ces derniers travaillant dans les zones rurales où la population est en déclin rapide plutôt que dans les villes.
"La population du krai (subdivision administrative russe, NDT) de Primorski, affirme-t-il, est plus tolérante dans ses relations avec les autres nationalités », une des raisons étant que "si l'on gratte derrière un habitant de Vladivostok, on trouve un Ukrainien, puis un deuxième ou un troisième qui a des parents ou des liens familiaux avec l'Ukraine ou des Ukrainiens."
Pour eux, comme pour les autres habitants de l'Extrême-Orient, "le problème principal aujourd'hui", ainsi que l'ont affirmé à Koulik plusieurs officiels locaux, n'est pas posé par les Chinois, mais plutôt par les Tadjiks et les Azéris. Les Chinois ne présentent pas de difficultés sérieuses, mais les derniers sont perçus par la plupart des gens comme étant à l'origine du trafic de drogues et du crime organisé.
A cause de la pression assimilatrice du pouvoir soviétique, la plupart des gens de l'Extrême-Orient russe qui ont des racines ukrainiennes s'identifient maintenant comme Russes ou comme Slaves, mais "si à Moscou, une telle assimilation a eu lieu rapidement et est presque complète à la deuxième génération, en Extrême-Orient, on se souvient que son grand-père venait d'Ukraine."
Cela aide à donner un certain essor à des "attitude séparatiste latentes", non exactement définies comme un désir de créer une République d'Extrême-Orient,de tels appels ont plus ou moins disparus souligne Koulik, mais plutôt dans le sens d'une opposition croissante à Moscou de la part de Vladivostok qui amène cette dernière à « saboter » tout ce que le gouvernement russe essaie de promouvoir.
Cela explique pourquoi, dit monsieur Koulik, Moscou a du faire intervenir des unités d'OMON (troupes anti-émeute du Ministère de l'intérieur, NDT) venues d'ailleurs pour faire face à des manifestations concernant les tarifs sur l'importation des voitures étrangères. La police locale n'était tout simplement pas disposée ou prête à s'en prendre à des personnes de sa propre communauté, continue-t-il.
De telles attitudes, à la fois "anti-Moscou" et "anti-Kremlin", non seulement "existent", mais sont "renforcées depuis l'introduction par le gouvernement central russe de ces interdictions et la destruction du business gris". Avec pour résultat que l'identité russe a "déjà perdue de son importance pour les habitants de l'Extrême-Orient".
Moscou a tenté de réagir à cela en "agitant le fouet", avec pour seul résultat, insiste Koulik, d'éloigner davantage les habitants de son orbite et de les rendre plus disposés à coopérer avec la Chine, les deux Corées, le Japon et les Etats-Unis, un résultat bien différent de celui clairement espéré par le gouvernement central russe.
Et il conclu que « bien qu'il n'ait plus d'accents ukrainiens » dans la langue parlée en Extrême-Orient russe, il ya beaucoup de personnes là-bas qui demeurent vivement intéressées par l'Ukraine et aussi par le développement de liens avec la Chine au point qu'elles sont prêtes à faire figurer les noms de rues aussi bien en chinois qu'en russe.
Ce modèle pourrait se passer de la dramaturgie des déclarations de naguère au sujet d'une République d'Extrême-Orient, laisse entendre Koulik, mais cette échappée loin de Moscou pourrait s'accélérer et aller beaucoup plus loin en cas de poussées belliqueuses de la Russie contre l'Ukraine ou simplement comme le résultat de trajectoires divergentes entre les états russes et chinois.
Paul GOBLE
Source du texte : GEORGIAN DAILY
28 septembre 2009
Traduit de l'Anglais par Pascal LASSALLE pour THEATRUM BELLI
République ukrainienne d'Extrême-Orient ou Ukraine verte (Зелений клин) :
Langue officielle : Ukrainien
Capitale : Nikolaievsk-sur-Amour
Chronologie sommaire :
24 juin 1917 : Le premier congrès pan-ukrainien d'Extrême-Orient à Nikolsk-Ossouriyski constitua le Conseil (Rada) du Krai d'Extrême-Orient
Janvier 1918 : Deuxième congrès pan-ukrainien d'Extrême-Orient à Khabarovsk. L'Ukraine verte fut proclamée comme partie intégrante de l'état ukrainien (UNR), malgré l'absence de continuité géographique.
Avril 1918 : Troisième congrès pan-ukrainien d'Extrême-Orient qui appela à la création d'un état ukrainien indépendant avec une façade sur l'océan Pacifique.
1918 : Création de l'armée ukrainienne d'Extrême-Orient qui compta plus de 5000 hommes par l'otaman Borys Khrechtchatytskiy (Борис Хрещатицький).
11 avril 1920 : Naissance officielle de la république ukrainienne d'Extrême-Orient ou « Ukraine verte », tentative de créer un état sécessionniste dans la zone d'occupation japonaise correspondant au district d'Ayan-Maiski, dans le krai de Khabarovsk.
Précédemment emprisonné par les autorités de l'amiral « blanc » Koltchak pour activisme ukrainien, Iouriy Hlouchko-Mova (Юрій Глушко-Мова) assura la direction du secrétariat de la Rada.
Une ordonnance de l'hetman « blanc » Grigoriy Mihkhailovitch Semenov confèra aux Ukrainiens d'Extrême-Orient, le droit à l'auto-détermination et à l'autonomie dans les limites de l'Etat unifié de Transbaikalie, Bouriatie et Ukraine.
22 octobre 1922 : Dissolution de la République après l'invasion bolchevique, mais une zone située autour d'Ayan (Pepeliaievchtchina) poursuivit les combats jusqu'en juin 1923, joignant ses forces à celle de la révolte yakoute.