L'économie Chinoise est vue par certains observateurs comme le moteur possible de la reprise mondiale, tirant l'occident dans son sillage. D'autres, au contraire, estiment que les théories du "découplage", entre une Chine qui poursuivrait sa marche en avant, alors que le reste du monde serait en crise, ne tiennent pas la route. Comme d'habitude, il y a autant de scénarios que d'économistes. Essayons d'y voir plus clair.
D'abord, les bonnes nouvelles
Dans une interview, ou plutôt une "conversation à bâtons rompus", pour l'institut Turgot, avec Henri Lepage, Charles Gave, financier établi à Hong Kong, se montre optimiste pour l'avenir à long terme de la Chine (vidéo - la partie sur la Chine ne commence qu'après 13 minutes).
Selon lui, la Chine a compris que son rebond passerait par un développement des échanges intérieurs et avec la zone commerciale de l'extrême orient, la plus peuplée du monde, avec 3 milliards d'individus dont la marge de progression en terme de richesse est considérable. Elle met donc tout en oeuvre pour parvenir à former une sorte de marché économique commun asiatique, utilisant ses réserves de changes pour aider ses voisins les plus pauvres à développer leurs infrastructures d'échange avec elle. Et surtout, elle se prépare à un changement monétaire majeur: la convertibilité du Renminbi (RMB, la monnaie chinoise, parfois aussi appelée Yuan, selon les auteurs, et officiellement Yuan Renminbi, littéralement "la monnaie du peuple"). Nous verrons plus loin pourquoi la convertibilité du Renminbi peut être extrêmement bénéfique pour l'économie chinoise, contrairement à ce que dit la presse mainstream qui n'y voit qu'une menace pour les entreprises exportatrices.
Ajoutons que, selon M. Gave, la Chine utilisera la mutualisation des forces régionales pour en maximiser les fruits par l'échange, ce qui éloigne le spectre de tout conflit avec Taïwan, par exemple. Taïwan dispose d'une classe managériale formée qui manque à la Chine. Depuis la normalisation croissante des relations entre les deux pays, de nombreux taiwanais travaillent à shanghaï pour les entreprises chinoises, qui ne s'en portent pas plus mal. La Chine normalise également ses relations avec le Japon, en vue, entre autres, de développer les échanges technologiques avec leur voisin. Un commerce développé est le meilleur garant de la paix, les adversaires de la mondialisation et autres protectionnistes de chez nous feraient mieux de s'en rappeler...
Enfin, les chinois disposent d'une épargne considérable (50% du PIB), qui va nécessairement être dérégulée avec la convertibilité du RMB. Cela fera de Hong Kong, à moyen terme, l'épicentre de la finance mondiale, devant Londres sûrement, dans un axe conjoint avec Wall Street.
Toutes ces informations sont évidemment de nature à rendre très optimiste pour l'économie de l'Asie orientale à moyen et long terme. Mais à court terme, l'économie chinoise ne risque-t-elle pas de traverser des turbulences ? Seront elles modérées ou sévères ?
Maintenant, les mauvaises nouvelles
A long terme, l'évolution positive de l'économie Chinoise évoquée par Charles Gave fait sens. Toutefois, à court et moyen terme, de nombreux autres observateurs de l'économie chinoise observent que cette économie avance aujourd'hui sur le fil du rasoir, car elle est plombée par de nombreux déséquilibres conjoncturels et structurels.
Or, comme aux USA, des politiques économiques et monétaires inopportunes sont la cause de ces déséquilibres, même si ces politiques furent différentes. Les deux leçons sont les mêmes : On ne soumet pas impunément la monnaie, le crédit, et les contrats, à l’arbitraire politique.
Les chinois inquiétés par la FED (mais ils l’ont bien cherché)
Les dernières déclarations d’un officiel chinois, Cheng Siwei, ancien vice président du parti, aujourd’hui ambassadeur itinérant de l’économie chinoise, montrent à quel point les politiques chinois, au moins hors de leurs propres frontières, se montrent à la fois lucides, pragmatiques, mais aussi très embarrassés.
M. Chieng a déclaré, lors d’un symposium au lac de Côme, apparemment sans langue de bois:
que: "l’or était tout à fait une alternative au dollar, mais que les Chinois ne pouvaient faire que des achats mesurés pour ne pas déséquilibrer les cours",
que "Si la Fed continuait à créer des dollars à partir de rien pour racheter des bons du trésor, alors le dollar chuterait et l’inflation aux USA réapparaitrait sous une à deux années",
que "la Chine ne pouvait se désengager brutalement, mais que désormais, les recettes de changes supplémentaires seraient diversifiées en Yen, en euro, autres devises et or",
et que "le flot d’excédents commerciaux chinois avait aussi provoqué des bulles d’actifs, et notamment immobiliers, en Chine, et que cette bulle menaçait d’éclater, avec des conséquences imprévisibles".
Rien que cela.
Il conviendra de décrypter plus avant les propos de M. Cheng, plus loin dans l'article.
Dollar Trap
La presse économique évoque fréquemment le "piège", le "dollar trap", dans lequel s’est jeté la Chine ces 10 dernières années. En convertissant massivement ses excédents commerciaux en bons du trésor américain, la Chine se retrouve aujourd’hui piégée par la politique de surendettement menée par l’administration Obama et soutenue par la FED par une politique officielle et rampante de "Quantitative Easing".
Si la Chine, selon les termes de M. Cheng, arrête d’augmenter ses encours de dette du trésor US, alors le trésor US perdra un peu plus de capacité à trouver des clients pour financer l'augmentation de ses dettes, du moins à un taux d’intérêt compatible avec la remise en forme d’une économie malade de surendettement. La FED devra donc poursuivre sa politique de Quantitative Easing, et de répurgation des dettes du système financier américain par création monétaire, ce qui pourrait finir par créer une inflation forte (pronostic controversé, mais partagé par M. Cheng Siwei), et donc faire tomber la valeur des bons du trésor à des niveaux abyssaux.
Mais si elle continue d’en acheter, rien ne dit que ce sera suffisant, tant les besoins du trésor US en nouveaux acheteurs de dette américaine sont immenses. Les réserves de bons de la chine ne représentent "que" 2000 milliards sur un encours circulant qui va atteindre prochainement 12 000 milliards et plus : les achats chinois ne sauraient donc à eux seuls garantir la solvabilité de l’état américain, ne feront pas disparaître le spectre d’un recours au Quantitative easing, et de tensions sur la valeur de la monnaie… Par conséquent, se surexposer en obligations du trésor US aujourd’hui paraît suicidaire, surtout que 2 000 milliards de dollars représentent tout de même, aujourd'hui, près de 50% du PIB Chinois.
Ceci dit, la banque de Chine peut elle réellement cesser de se renforcer en dette libellée en dollars ? Nous y reviendrons plus tard.
Zugzwang
La Chine n’a pas de bonne décision à prendre, elle s’est mise dans une situation où elle devra choisir, entre deux maux, le moyen de réduire ses pertes.
Ce que la presse dit peu, c’est que les politiques monétaires du gouvernement chinois, fondée sur une parité artificiellement maintenue fixe entre le RMB et le Dollar, ont grandement contribué à le mettre dans cet embarras, prouvant une fois de plus que la monnaie est une chose trop sérieuse pour être gérée sous la contrainte du pouvoir politique. Voyons pourquoi.
Réécrivons l'histoire: Si le RMB avait flotté ?
Dans un régime de monnaies à cours flottant, c'est à dire
fluctuant sur
un marché international de devises au gré de l'offre et de la demande
de RMB, jamais la Chine n’aurait pu accumuler de tels excédents, et ce
n'aurait pas été plus mal.
En effet, imaginons qu’un fabricant d’ordinateurs de Shanghai vende
pour 200$ de produits à un revendeur américain. Avec ces 200$, il doit
payer des salaires, des amortissements d’investissement, des taxes, des
intérêts de prêts, le tout libellé en RMB.
Si le RMB était une devise de marché, il proposerait ses dollars (lui
ou sa banque) sur ledit marché mondial, et demanderait des RMBs en
échange. Or, comme la Chine exporte beaucoup plus vers les USA que
l’inverse, une telle politique conduirait à un excès d’offre de dollar
et de demande de RMB : le cours du RMB par rapport au dollar
s’inscrirait à la hausse. La perte de compétitivité monétaire des
produits chinois par rapport aux concurrents payant leurs frais en
dollars serait largement compensée par, d’une part, la baisse du coût
d’achat des matières premières achetées hors de Chine, libellées en
dollars le plus souvent, et d’autre part par la baisse du coût des
investissements nécessaires pour augmenter la productivité des salariés
chinois, sous réserve que des contraintes politiques et fiscales
n’obèrent pas ces investissements. Nous y reviendrons.
Autrement dit, la hausse du RMB sur les marchés mondiaux des devises
forcerait les entreprises chinoises à gagner en productivité pour
maintenir leurs parts de marché à l’export, mais en contrepartie,
permettrait aux salariés chinois d’importer plus de biens que la Chine
ne peut produire elle-même, ce qui améliorerait l’offre à laquelle ils
ont accès et donc leur pouvoir d’achat. Les excédents commerciaux de la
Chine se seraient donc réduits, mais cela n’aurait en rien constitué un
appauvrissement pour les chinois.
Rappelons que contrairement à ce que suggère une vision superficielle
des choses, exporter, c’est s’appauvrir, car on vend en dehors du pays
le produit de son travail, généralement utile, contre de la monnaie,
qui n’a d’utilité que indirecte, alors qu’importer, c’est s’enrichir,
puisqu’on bénéficie du travail des autres, contre de la monnaie. Dans
un monde normal de libre échange, il convient toutefois que ces dits
échanges ne soient pas trop déséquilibrés, pour que
les importateurs nets ne puissent trop longtemps vivre sur la sueur des
exportateurs. Faire l’effort d’exporter ce que l’on sait
faire le mieux est donc l’indispensable contrepartie du pouvoir de
s’enrichir en important ce pour quoi les étrangers sont plus efficaces.
Mais si une nation exporte plus qu’elle n’importe vis-à-vis d’une autre
nation, sa monnaie doit prendre de la valeur par rapport à celle du
pays importateur, ce qui est une juste reconnaissance de la meilleure
contribution du travailleur exportateur à enrichir le consommateur
importateur, que l’inverse.
Mais hélas pour lui et sa population, le gouvernement chinois a choisi
une autre voie, apparemment porteuse à court terme, mais dont les
dangers se matérialisent aujourd’hui. Il a choisi de maintenir
arbitrairement un change fixe par rapport au dollar. Quelles en ont été
les conséquences ?
Conséquence des parités
fixes
L’ouvrier chinois est mal payé, car la conversion de son pays à
l’économie de marché, et encore, de marché très dirigé, est récente, et
l’on ne rattrape pas en 20 ans des siècles de modèles de développement
peu favorables, avec pour paroxysme les années Mao, qui ont coûté au
pays des millions de morts et un désastre économique parmi les plus
dramatiques, même au sein des pays communistes. Seul le cambodgien Pol
Pot a poussé le délire meurtrier plus loin encore.
Voilà donc un pays où une jeune classe d’entrepreneurs co-optés par le
parti est priée de faire du business pour sortir le pays de la
pauvreté, et où produire ne coûte rien, car les salariés y sont
dociles, intelligents, et mal payés.
Notre fabricant d’ordinateurs peut donc exporter des milliers de
petites boites qui lui rapportent 200$ chacune. Tout le monde y trouve
son compte. Le revendeur d’ordinateurs américain peut faire des marges
très correctes tout en vendant plus de petites boites beiges à 500$ que
s’il vendait du "made in USA", qui lui reviendrait 600$ pièces, et
qu’il devrait suer sang et eau pour arriver à les vendre à 800$.
Notre entrepreneur chinois doit payer ses charges en RMB. Il va donc à
sa banque, laquelle va à sa banque centrale, reçoit 200 dollars moins
les frais, et émet toujours la même quantité de RMBs.
De fait, les cours des monnaies ne se réajustent pas, et la banque
centrale chinoise accumule des dollars et met en circulation des grands
volumes de RMBs.
Ajoutons que l’ouvrier Chinois, déjà appauvri par le refus de sa banque
centrale de voir reconnaître la valeur de son travail pour
l’importateur américain, en laissant s’apprécier ses Yuans durement
gagnés, s'appauvrit
une seconde fois en se voyant refuser la possibilité d’acheter plus de
bons produits étrangers, puisque sa monnaie reste artificiellement sous
cotée.
Voilà qui serait, partout ailleurs, fortement inflationniste. En effet,
les entreprises chinoises produisent massivement pour l’exportation
(donc la chine s’appauvrit), donc la quantité de production accessible
aux chinois est insuffisante par rapport à la quantité de RMBs mise en
circulation : la politique de changes fixes est donc
inflationniste. Mais nous allons voir qu’en Chine, rien ne se passe
comme ailleurs.
Vous me direz que si le patron Chinois à plein de RMBs à dépenser, il
doit en contrepartie être mis sous pression par ses salariés pour
augmenter les salaires, et que de fait, sa compétitivité va baisser,
alors que les anticipations salariales vont exercer une pression à la
hausse sur les prix à la consommation, incitant alors les patrons
chinois à augmenter la part de leur production écoulée sur le marché
intérieur, ce qui équilibrerait le système.
Et il est vrai que les chiffres d’inflation en Chine sont plus élevés
qu’en occident. Mais pas autant qu’ils le devraient.
Pourquoi ? En Chine, rien ne se passe jamais comme on
l’attend !
Soft slavery
La chine n’est pas exactement une démocratie, et le parti communiste
chinois, même s'il n' plus qu'un lointain rapport avec ce qu'il était
sous Mao, n’ a que peu à faire du bien être de l’ouvrier de base,
pourvu qu'il soit maintenu au dessus du seuil de douleur provoquant la
révolte.
Les ouvriers chinois peu qualifiés, venus massivement des campagnes
pour travailler en ville, sont soumis à un régime d’esclavage soft
décrit abondamment par Thierry Wolton (à ne pas confondre avec
Dominique Wolton), grand connaisseur des sociétés communistes, dans son
dernier opus sur la chine, "Le grand Bluff
Chinois" (2007), dont on peut trouver une
bonne recension ici.
Lorsqu’il arrive d’une campagne, l’ouvrier chinois doit d’abord obtenir
un permis de travail en ville. Ce permis a un coût forfaitaire,
représentant plusieurs mois de salaire d'ouvrier. Mais en plus, s’il
change d’employeur, il devra racheter un nouveau permis !!
Voilà qui n’incite guère les employés peu qualifiés à faire jouer la
concurrence inter-employeurs en changeant souvent d'emploi !
En revanche, ceux dont les qualifications augmentent suffisamment, ou
suffisamment entreprenants pour devenir leur propre patron, n’ont pas
se problème, car le prix du permis de travail devient négligeable par
rapport à leur revenu.
Notre vendeur d’ordinateurs va donc devoir, avec sa pluie de RMBs,
choyer ses cadres, qui vont encaisser la majeure partie des fruits de
l’exportation, va lui-même bâtir rapidement une fortune importante,
mais en contrepartie, il pourra maintenir ses salariés peu qualifiés à
un niveau de rémunération bas.
Ce modèle se révèle incroyablement inégalitaire, permettant à une
classe de super riches et un groupe important de classe "moyenne
supérieure" de se jeter dans les bras de la société de consommation, ce
qui n’est pas une mauvaise chose en soi, mais maintenant à des niveaux
de vie extrêmement faibles 75% d’une population de plus d’un milliard
trois cent millions d’individus.
Mais le riche a beau consommer tant et plus, au bout d’un moment, que
faire de tous ces RMBs ?
Une spéculation effrénée
Les chinois sont naturellement épargnants, culturellement parlant,
souvenir des années difficiles. L’épargne d’aujourd’hui est la promesse
d’une vie meilleure demain. En outre, les systèmes de retraites chinois
n’inspirent que modérément confiance à une population qui se sait
vieillissante. Alors ceux qui le peuvent mettent beaucoup d’argent de
côté, argent qu’il faut bien placer. Mais comme partout, les marchés
chinois (financiers, immobiliers, etc…) sont encadrés de nombreuses
réglementations qui tendent à empêcher les offres de s’adapter aux
demandes.
Notamment, les taux de rémunération servis aux épargnants sur livret
sont strictement limités par la loi, et tendent à être maintenus
artificiellement bas. Les banques ont donc eu à disposition pendant des
années des monceaux d’argent à prêter à des taux bas. C’est bon pour
l’investissement, me direz-vous ? Et c’est vrai qu’en première
approche, les taux d’investissement en Chine sont importants.
Mais, tout comme aux USA, les distorsions étatiques à la baisse des
taux d’intérêt accessibles aux entreprises tendent à favoriser des
projets hautement spéculatifs à la rentabilité douteuse, notamment dans
l’immobilier.
Beaucoup de riches ont du capital en excès, et la Chine ne manque pas d’épargne
mobilisable pour financer du crédit artificiellement rendu bon marché. Il en
résulte la formation de bulles. Bulles d’actifs (la
bourse de Shanghaï est connue pour sa volatilité), et surtout
une bulle immobilière qui est en train d’éclater. Car dans les grandes
cités d’affaires aussi, des immeubles pharaoniques ont été construits
massivement, et ces espaces peinent à trouver preneur (vidéo).
Selon le LA times, dans la seule ville de Pékin, il
y aurait plus de 10 millions de m2 vacants, alors que seuls
700 000m2 ont trouvé preneur en 2008. 14
ans de stocks ! A Pékin, le phénomène a été amplifié par les
jeux olympiques (vidéo).
Mais des vidéos peuvent être trouvées observent le même phénomène à
Shanghaï ou Ghuangzou,
et selon des professionnels de l’immobilier, dans plusieurs autres
villes d’affaires. Et cela laisse présumer de larges surcapacités dans
l'industrie du bâtiment et de l'équipement du bâtiment (ascenseurs,
chauffages, etc...). Rien de réjouissant.
La situation ne serait pas meilleure dans
le domaine du logement. En Chine, le sol est toujours la
propriété de l’état, et la gestion des droits à développer par cet état
favorise les bulles immobilières, selon M. Yasheng Hueng, auteur de "Capitalism
With Chinese Characteristics". Le ratio prix médian sur
revenu médian des logements "middle class" dans les grandes villes
d’affaire atteindrait un facteur 10, soit celui des grandes villes de
la côte ouest des USA avant l’éclatement de la crise, selon l’interview
de M. Cheng citée en début d’article, qui reconnaît l’existence de
cette bulle. Résultat : les ventes de logements ont chute de 40% en
2008. Mais ni le gouvernement chinois, ni l’appareil statistique du
pays, ne semblent trop expansifs sur cette bulle.
De plus, il semblerait que les investissements massifs consentis par
l’économie chinoise aient avant tout favorisé beaucoup de mal
investissements mais n'ait contribué à moderniser l’appareil
productif qu'au prix de nombreuses disparités entre secteurs. En
effet, si l’employeur peut maintenir des salaires artificiellement bas,
pourquoi trop investir dans la productivité du capital ?
Notamment, les campagnes et l’agricultures restent particulièrement
archaïques, selon de nombreux observateurs comme Guy Sorman. Selon Gavekal,
la firme de recherche financière de M. Gave, les inégalités sont
également géographiques: les échanges mondiaux des chinois reposent à 90%
sur 9 régions côtières mais laisse à la traine l'immense majorité du
territoire intérieur (22 régions sur 31).
Par contre, d'autres secteurs d'activité semblent connaître des
sur-capacités importantes: dans son interview, M. Gave évoque l'acier.
D'autres observateurs de la chine évoquent de telles surcapacités dans
toute l'industrie en Général: dans une économie tournée vers
l'exportation, la chute de la consommation des principaux clients
réduit les carnets de commande et provoque une sous utilisation de
l'appareil productif.
Quelle est l’exposition des banques chinoises à ces bulles ?
Quel effet de levier les chinois ont-ils consenti pour
maximiser le rendement de leurs capitaux investis ? Mystère,
le moins que l’on puisse dire est que l’appareil statistique chinois ne
livre pas grand-chose, du moins en anglais compréhensible. On ne sait
pas très bien si les banques chinoises sont assez solides pour
supporter des défaillances liées à des mal-investissements de grande
ampleur.
Une croissance surévaluée
?
Le plan de relance Chinois,
égal à 14% du PIB sur deux ans (si l’on avait eu la même chose
en France, le plan de relance aurait totalisé 220 Milliards
d’Euros ! Il a été vendu à 26, et en fait plutôt 20),
a provoqué une hausse massive des crédits au premier semestre 2009, où
les crédits émis sur 6 mois ont largement surpassé les octrois des
années entières précédentes ! Bref, la Chine pratique une
politique de fuite en avant dans le crédit. Les chiffres de croissance
annoncés (plus de 6%) sont donc sujets à caution. Selon le professeur
d'économie Michael Pettis, enseignant à Pékin, -- et présent
depuis quelques mois dans ma blogroll --, les données macro économiques
et la gouvernance des entreprises en Chine sont très perfectibles, ce
qui encourage des marchés très spéculatifs (voir
son post du 31 Août 2009, liens permanents de son blog non
fonctionnels à l'heure du bouclage), faute d'information
fiable (la spéculation n'étant rien d'autre qu'une manifestation de l'existence d'asymétries d'information):
Why did the market collapse? Forget about fundamentals. As I have argued many times before, China lacks the necessary tools that fundamental investors use (e.g. good macro data, good financial statements, a clear corporate governance framework, a stable regulatory environment, a market discount rate) and so no matter what people say, there are no fundamental investing here. There is only speculation, and the two things above all that drive the markets are those old speculator favorites, changes in underlying liquidity and government signaling".
D’ores et déjà, des annonces de sévères restrictions du crédit bancaire
ont été faites au mois d’Août, laissant
entrevoir le spectre d’un Credit Crunch. Toujours selon M.
Pettis,
RMB 300 billion is nothing to sneeze at, especially since that probably nets out a lot of bills coming due – so that new medium-and long-term investment is likely to be substantially higher. It is also worth remembering that August is normally a bad month for new lending – last year net new loans were only RMB 272 billion.
Still, after the deluge of new lending for the first half of the year, it clearly represents a significant contraction in the rate of credit expansion, and if you believe, as I do, that China’s “impressive” growth rate this year is actually a very disappointing consequence of a huge fiscal and credit stimulus, any indication that the stimulus will slow down cannot be good for sentiment."
John Makin, de l'American Enterprise institute, estime quant à lui que
la comptabilité publique chinoise fausse totalement les données du PIB
chinois, notamment en confondant accumulation de stock et ventes
réelles (document
PDF - 8 pages). Ce que confirme une fois encore M.
Pettis -- sur
son blog, chercher “14 septembre 2009” --
:
The problem is that these are not consumption growth figures. They are retail sales figures. Fair enough, you might think, but the retail sales growth rate should still be a reasonable proxy for consumption growth. It isn’t. Among lots of other noise retail sales figures include government purchases and shipments to retailers even before these shipments are sold to consumers. That makes it a very bad proxy for consumption.
Bref, l’administration de l’économie chinoise par l’état, loin de
laisser cours aux forces d’équilibre à l’œuvre dans des marchés libres,
a produit moult déséquilibres intérieurs, dont on ne sait s’ils peuvent
être supportés par un simple soubresaut d’une économie dont la tendance
haussière se maintiendrait en toute vigueur, ou si ils vont au
contraire plonger le pays en état de crise pendant plusieurs
années, avec des phases de rémission apparentes suivies de nouvelles
périodes de fièvre.
Mais ces déséquilibres intérieurs ne sont que la moitié de l’équation. Ceux qui sont apparus entre la chine et le reste du monde, et notamment les USA, ne sont pas moins redoutables.
Exporte ordinateurs contre du vent !
En 2008, patatras, le monde découvre avec stupeur que l’américain moyen achetait ses écrans plats chinois avec de la dette qu’il contractait partiellement sans contrepartie en terme de création de valeur.
L’ouvrier chinois n’a pas de chance. Car il faut reconnaître qu’il n’est pas pour grand-chose dans la bulle de crédit américaine, dont les causes sont massivement endo-américaines.
Certes, le système financier chinois, dont la banque centrale a accumulé des dollars, s’est empressé de racheter avec ces dollars des obligations du trésor américain, dont il détient 2 000 milliards (pour un PIB de 4 400), ce qui en fait le premier créancier de l’Amérique. Cela a permis à l’état américain de financer des déficits massifs à des taux longs qui sont restés raisonnables (cf. cette conférence de Marc Scitivaux), et donc de nourrir l’économie américaine de dollars bon marché. Autrement dit, non seulement l’américain s’enrichissait en important le fruit du labeur chinois, mais il récupérait à crédit les dollars par le biais de dépenses publiques dont il ne payait pas l’intégralité du financement, avec la complicité du gouvernement chinois et des banques de ce pays, que les intérêts versés par l’oncle Sam contentaient bien, quand bien même la Chine d'en bas n’en a vu qu'une partie des fruits.
Aux USA, la pratique généralisée du crédit hypothécaire rechargeable, la distorsion du marché du crédit et du marché foncier par les gouvernements, et une banque centrale victime du syndrome (décrit par Hayek) du planificateur dépassé par les signaux contradictoires, ont fait le reste. Les dollars qui ont servi à payer les consoles de jeux et les fauteuils en cuir made in China étaient en partie fondés sur du vent, et non de la création de valeur réelle.
Et les banques chinoises (la banque centrale, surtout) se retrouvent avec tout ce papier sur les bras ! Avec comme perspective de le voir perdre une grande partie de sa valeur par rapport aux monnaies flottantes, et par rapport aux matières premières libellées en dollars !
Peter Schiff, le financier proche de Ron Paul, qui avait prévu la forme que prendrait la crise dès 2005, synthétise ainsi avec son inimitable talent pédagogique l'escroquerie dont ont été victimes les chinois dans son ouvrage, "crash proof":
Let’s suppose six castaways are stranded on a desert island, five Asians and one American. Their problem is hunger.So they sit down and divide labor as follows: One Asian will do the hunting, another will fish, the third will scrounge for vegetation, the fourth will cook dinner, and the fifth will gather firewood and tend the fire. The sixth, the American, is given the job of eating.
So five Asians work all day to feed one American, who spends his day sunning himself on the beach. The American is employed in the equivalent of the service sector, operating a tanning salon that has one customer: himself. At the end of the day, the five Asians present a painstakingly prepared feast to the American, who sits at the head of a special table built by the Asians specifically for this purpose.
Now the American is practical enough to know that if the Asians are going to continue providing banquets they must also be fed, so he allows them just enough scraps from his table to sustain them for the following day’s labor.
Modern-day economists would have you look at the situation just described and believe that the American is the lone engine of growth driving the island’s economy; that without the American and his ravenous appetite, the Asians on the island would all be unemployed.
The reality, of course, is that the American is not the engine of growth, but the caboose, and the best thing the Asians could do would be to vote the American off the island—decoupling the caboose from the gravy train. Without the American to consume most of their food, they’d have a lot more to eat themselves. Then the Asians could spend less time working on food-related tasks and devote more time to leisure or to satisfying other needs that now go unfulfilled because so many of their scarce resources are devoted to feeding the American.
Ah, you say, but that analogy is flawed because in the real world the United States does pay for its “food” and Asians do receive value in exchange for their effort.
Okay, then let’s assume the American on the island pays for his food the same way real-world Americans pay, by issuing IOUs. At the end of each meal, the Asians present the American with a bill, which he pays by issuing IOUs claiming to represent future payments of food.
The castaways all know that the IOUs can never be collected, since the American not only produces no food to back them up, but also lacks the means and the intention of ever providing any. But the Asians accept them anyway, each day adding to the accumulation of worthless IOUs. Are the Asians any better off as a result of this accumulation? Are they any less hungry? Of course not.
Bref, les banques chinoises, et notamment la banque centrale, risquent
de devoir admettre que la monnaie qui a servi à financer
l’accroissement de la richesse de la Chine d’en haut et du train de vie
de l’américain moyen ne vaut pas tout à fait autant qu’ils ne le
croyaient. Par conséquent, elles vont devoir enregistrer des pertes
massives sur les produits du trésor US qu’ils détiennent… Et entériner
ainsi le vol de valeur et de richesse dont leur peuple a été victime,
en espérant que celui ci ne comprenne pas trop l'économie...
La Banque centrale chinoise sur le fil du rasoir
La réaction des autorités chinoises est très pragmatique : ils annoncent qu'ils ne couperont pas le robinet des achats de bons du trésor pour les bons venus à échéance, afin de ne pas provoquer de panique, mais ils ajoutent que leurs réserves additionnelles de change seront investies dans d’autres devises et commodités, dont ils moduleront les achats de façon à ne pas provoquer une trop grande disruption dans les cours.
Ceci dit, certains observateurs
particulièrement bien placés estiment que les chinois, quand bien même
ils le voudraient, ne pourront pas se dégager si facilement de leurs
excédents de dollars en dehors d'achat de bons du trésor
US. S'ils
essaient d'échanger significativement leurs futurs excédents en dollars
contre d'autres devises, ou de l'or, ils provoquent aussitôt un
déséquilbre de marché qui rend ces achats non rentables. L'achat direct
d'actifs américains autres (entreprises, etc...) est incertain dans un
contexte de formation d'une bulle de dette étatique. Ils ne peuvent
donc avancer que sur la pointe des pieds.
Mais en outre, s'ils coupent trop brutalement le robinet aux
américains, ils risquent d'être obligés de réévaluer brutalement leur
monnaie par rapport à un dollar en difficulté, ce qui serait
catastrophique pour une économie tournée pour un temps encore assez
long vers l'exportation. Sans parler de risques de guerre
protectionniste que pourrait engager l'administration Obama par pure
démagogie. Si demain, la Chine ne vend plus aux américains, ce n'est
pas grave pour les américains qui achèteront plus au Brésil ou au
Mexique, mais ennuyeux pour l'économie chinoise qui dépend beaucoup de
ses exportations, quand bien même la progression de son marché
intérieur est significative. Bref, la Chine, pour l'instant, dépend
plus des USA que les USA ne dépendent de la Chine.
Leur "chance" toute relative, par rapport à cette affaire, est que le volume de leur commerce extérieur avec les USA est en forte contraction: les ménages américains ont beaucoup baissé leur consommation, donc leurs importations. Les nouveaux excédents à placer seront donc moins élevés que par le passé. Il est donc plausible que les chinois puissent mettre la tactique évoquée par M. Cheng en application, mais très progressivement, en essayant de ménager tous les équilbres en jeu. Pas simple.
Sans doute les déclarations de M. Cheng sont elles plus un message envoyé aux américains ("ne jouez pas aux inconscients avec la valeur du billet vert"), qu'une annonce ferme de désengagement de la dette du trésor.
Bref, les chinois se sont exposés à de mauvais investissements, et tentent désormais de limiter les dégâts en douceur. Mais en ont-ils le temps ? Bien malin qui peut le prévoir.
Rien ne sert de vouloir tricher avec les mécanismes du marché.
Tout cela ne serait pas arrivé si le gouvernement chinois avait accepté de voir sa monnaie fluctuer au gré des variations de ses excédents commerciaux, et si la petite main de la chaîne n°18 de l’usine de fabrication de Jeans du quai 5 du port de canton avait pu négocier en meilleure position sa juste part des profits engendrés par les exportations, celle déterminée par les forces du marché libre.
S’il est une loi à retenir de cette crise, elle pourrait s’énoncer ainsi : Trichez avec le marché libre, tentez de le plier à votre volonté politique, et vous serez toujours encore plus fortement exposé à la loi des conséquences inattendues, qui, à la proportion de la Chine, prennent l’allure d’une loi de Murphy au carré.
Car rappelez-vous : les entrepreneurs chinois n’ont pas modernisé autant qu’ils l’auraient pu leur appareil de production, puisqu’ils pouvaient maintenir leurs salaires assez bas. Ils travaillaient et travaillent encore sur un modèle de production de très gros volumes avec des marges faibles.
De fait, lorsque la consommation s’est effondrée aux USA, que les bateaux fantômes sont restés à quai faute de commandes à transporter, ces entrepreneurs n’ont pu s’adapter en douveur à un choc d’une telle rapidité : Les licenciements et les faillites ont été nombreuses, et la Chine a vu son chômage s’accroître de 20 millions d’unités (!) depuis le début de la crise, selon les propres termes de M. Cheng Siwei. Là bas, la loi des grands nombres (la population active est estimée entre 700 et 800 millions...) transforme vite 2 à 3% en pourcentage en un problème majeur d’adaptation de l’économie.
Or, malgré son apparente conversion au marché, l’économie chinoise est encore loin d’être libérale (cf. L’ouvrage de Huan Yasheng). On a vu que le marché du travail était perverti par de mauvaises incitations. Mais en outre, ne devient pas entrepreneur qui veut, et moult secteurs d’activités sont encore corsetés par l’état. Le droit de propriété est une inclusion récente du droit chinois, et dans les campagnes, la terre reste souvent propriété de l’état, ce qui empêche l’agriculture de faire tous les progrès qu’elle pourrait espérer dans un environnement plus libre. Les politiques économiques tendent encore, souvent par réflexe, à favoriser les entreprises nationalisées sur le secteur réellement privé, même si celui ci a pris une importance considérable dans l'économie chinoise en moins de 20 ans.
Ceci dit, il semblerait que le
gouvernement chinois ait pris la mesure du problème et tente de
"profiter de la crise", comme aurait pu le dire Tim Geithner, pour
moderniser des pans entiers de son économie encore très dépendants de
l'état. Services financiers, marchés de capitaux, la liste de mesures
prises pour moderniser ces secteurs dans les derniers mois, est
impressionnante. Mais comme pour toute décision politique, elle ne
produira ses effets que progressivement, quand des milliers d'agents
économiques se seront adaptés à la nouvelle donne.
Tout dépendra des progrès du droit chinois vers la rule of law
Bref, on se demande bien où la Chine créera les emplois nécessaires à l’absorption des chocs de l'ampleur de ceux qu'elle vient de subir, surtout s’ils viennent à se répéter, ce que l'on ne peut exclure. Elle ne peut en tout cas plus se contenter d'être l'atelier du monde occidental: le modèle chinois, fondé sur l'exportation au profit d'une classe minoritaire, sans enrichissement palpable des trois quarts de sa population, n'est pas viable quand le reste du monde doit purger d'énormes excès de dettes issues sans création de valeur en contrepartie.
Le relais de croissance de la Chine est donc chez elle et dans le bassin pan-asiatique, et la bonne nouvelle, c'est que le pouvoir chinois le sait. Si le gouvernement libéralise réellement son droit, et notamment son droit de propriété, son droit économique et son droit du travail, cela permettra alors de faire fructifier pour le meilleur la formidable épargne des chinois, permettant de substituer à la demande étrangère atone pour quelques années un boom du marché intérieur et du marché pan-asiatique en train de se constituer. Une convertibilité du RMB sur un marché de devises flottant serait de ce point de vue un signe positif, quoique insuffisant.Il conviendra d'observer si la prévision de Charles Gave sur ce point se matérialise dans les 3 à 5 ans.
Mais le gouvernement chinois a-t-il la moindre velléité d’abandonner une part importante de son contrôle sur sa population ? C'est sans doute là le point le plus crucial qui déterminera la trajectoire future de la Chine. Et là, bien malin celui qui peut prévoir, et rien ne dit que le Parti communiste chinois marche d'un seul pas quant à la réponse à cette question. Si elle est positive, alors, passée une phase de difficile restructurations pour purger les erreurs des années récentes, l'avenir sera rose. Sinon, il sera bien plus chaotique.
Quant à ce que l'avenir de la Chine réserve au reste du monde, mon pronostic à court terme va dans le sens de celui de M. Siwei: "Mr Cheng said China had lost 20m jobs as a result of the crisis and advised the West not to over-estimate the role that his country can play in global recovery". A plus long terme, la présence d'une zone de forte croissance de plus de 3 milliards d'âmes sera une opportunité pour le monde, à condition que les dernières stupidités protectionnistes de l'Europe et des USA (la taxe carbone aux frontières, le Waxman Markey Bill et les campagnes "buy american") ne soient que des paroles en l'air et ne deviennent pas des politiques réellement mises en oeuvre. L'hypothèque protectionniste serait la pire des voies à choisir pour le monde occcidental.
Rien ne sert de se raccrocher à de faux espoirs. Quel que soit son destin, la croissance de la Chine ne sera pas la locomotive de la reprise économique du monde occidental. C'est en nous mêmes que nous devons rechercher les ressources nécessaires à notre sortie de crise.
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