Boudé par
moi-même (et sûrement par d'autres) à l'époque de sa sortie en salles, en raison d'une overdose d'illusionnistes sur grand écran - Le Prestige de Nolan venait déjà de nous ébouriffer - j'avais décrété que je verrais néanmoins L'Illusionniste, en son temps, lorsque la folie abracadabra serait quelque peu retombée.
Jugeant que c'est désormais chose faite, j'ai donc accordé sa chance à Eisenheim samedi soir pour une représentation exclusive.
Alors, m'a-t-il envoûtée, ou non?
"I present you the man who has unlocked these mysteries: Eisenheim."
L'Illusionniste, c'est avant tout l'histoire d'un homme: Eisenheim (Edward
Norton). Un homme issu de la classe ouvrière d'une province autrichienne, tombé éperdument amoureux de Sophie, issue de l'aristocratie, alors qu'il n'était encore qu'un adolescent. Séparé
de sa dulcinée par les codes sociaux en vigueur au XIXème siècle (pas de mélanges des genres), Eisenheim disparait pendant près de 15 ans, dans le plus complet mystère, avant de ressurgir à
Vienne, alors en plein chaos politique, en tant qu'illusionniste. Très vite, ses tours époustouflants lui valent une renommée phénoménale, et l'on commence à croire qu'il est doué de pouvoirs
paranormaux. Adulé du peuple, qui voit en lui un véritable messager doublé d'un visionnaire, Eisenheim en vient très vite à faire de l'ombre à Leopold (Rufus
Sewell), prince héritier aspirant à prendre au plus vite la tête de l'Empire chancelant. Dés lors, c'est une véritable bataille de l'esprit qui s'engage entre les deux hommes, qui ne
luttent pas seulement pour leur réputation, mais aussi pour une femme: la fameuse Sophie (Jessica Biel).
Le premier regret vient sans
nul doute du fait que, si le film se concentre indéniablement sur le personnage d'Eisenheim, on
en sait finalement assez peu sur lui. En réalité, on n'en saura à peine plus que le spectateur assis dans la salle de spectacle, subjugué par le bonhomme, par son charisme, par ses tours
stupéfiants théâtralisés avec goût. Si le focus est fait sur lui, seul l'objectif effleure le personnage, quand toute sa psychologie est appelée à se deviner au fil de ses prestations scéniques
et de ses amours contrariés. A la différence des deux héros du Prestige chez Nolan, tous deux fortement creusés et
découverts au fur et à mesure de l'intrigue, Eisenheim gardera, lui, cette part de mystère indispensable - et frustrante - inhérante à tout grand illusionniste, enveloppé dans une aura à la
fois captivante et floue, perdu dans des silences qui sont supposés en dire long, mais dont on ne devine qu'assez peu de choses, finalement. Le personnage, construit, étoffé, et très bien campé
par Edward Norton, séduit, attise la curiosité, envoûte et stupéfait tout à la fois, se parant au fil du récit d'un pouvoir de fascination conséquent, pareil
à celui que l'on ressent dés que l'on frôle du bout des doigts une vérité venue de l'au-delà...
"Perhaps there is truth underneath illusion"
Le très gros point fort du film, c'est son ésthétique irréprochable. Dés les premiers plans d'un générique élégant à la saveur surranée, la magie opère. La photographie est de toute beauté, à
l'image des séquences de flash-back
qui s'ouvrent comme l'objectif d'un antique appareil photo, et dont les contours oscillent
comme une flamme. La reconstitution des décors, l'ambiance raffinée et subtile, contribuent à renforcer le pouvoir d'illusion du film, en donnant à voir tout autant qu'à élucider. Les scènes les
plus remarquablement réalisées sont celle des représentations de magie, véritables spectacles dans le spectacle. La mise en scène, sobre, sans fioritures, ne souffre que de quelques soubresauts
rythmiques intriguants, et de quelques coupes désordonnées, sans préjudice sur l'ensemble du fil narratif. Elle a pour elle d'être en totale harmonie avec son sujet, participant autant que son
interprète principal à l'envoûtement du spectateur, un peu comme si la caméra était complice de tous ces tours.
L'autre point fort, qui pourrait néanmoins passer pour une maladresse, est d'avoir insérer le récit dans un autre, plus historique, plus politique. L'illusion, ici, est déclinée sous bien des
formes: illusion visuelle, mentale, artistique, politique, diplomatique... Ainsi, l'émergence de complots visant à renverser l'empereur apporte une toute autre dimension aux desseins de
l'illusionniste, qui en devient alors le révélateur, le porte-parole, l'accusateur. C'est alors que la confusion émerge: qui, parmi tous ces protagonistes, manipule qui? Qui parvient réellement à
tirer le vrai du faux? Qui maîtrise réellement l'illusion, et qui en pâti? Peu à peu, les fils de l'intrigue se tissent plus finement, plus subtilement, créant une toute autre illusion...
"There's no trick they haven't seen"
Non, le coup de l'oranger, je ne le connaissais pas. Pour le reste, j'avoue m'être fait dupée par défaut. L'Illusionniste n'invente rien de follement novateur, ni n'évite les écueils malgré ses atours irréprochables. Le film se plaît à nous embrouiller, à
l'instar de l'inspecteur Uhl (Paul Giamatti), pour nous révéler finalement un truc vieux comme le monde, qui, pour le coup, laisse franchement perplexe, tant
il oublie de briller. A dire vrai, on reste sur sa faim. Alors que la mise en scène soignée et participative amorçait un tout autre dénouement, plus spectaculaire, plus glorieux, à mesure que le
drame se teintait de thriller paranormal, on se retrouve avec une conclusion convenue et balbutiante, faible point final au reste de l'oeuvre. Pourtant, l'illusion est magistrale, indéniablement.
Oui, mais...
De même, la romance principale peine à prendre son essor. La faute à un duo qui ne fonctionne que très modérément: l'association Jessica Biel/Edward Norton, à mon sens, ne colle pas, décrédibilisant ainsi une histoire qui aurait mérité un surplus de passion. Dés lors, l'illusion atteint ses limites - internes -
et se saborde elle-même, par de menus détails qui, rétrospectivement, gâte l'ensemble, un peu comme un mangeur intempestif de pop-corn pendant un tour de magie durant lequel tout le monde retient
son souffle.
Nothing is what it seems
En résumé, L'Illusionniste tient son ticket pour le panthéon des magiciens du 7ème art les plus convaincants,
mais n'obtiendra hélas pas celui des illusions les plus prestigieuses. Il manque un truc, un je ne sais quoi de plus, ou de moins, qui aurait permis à l'ensemble de se sublimer. De l'illusion au
prestige, il n'y a qu'un pas... mais il est là.
EN BREF:
*Indice de satisfaction:
*1h50 - Tchèque, américain - by Neil Burger - 2007
*Cast: Edward Norton, Jessica Biel, Paul Giamatti, Rufus Sewell
*Genre: Faux semblants
*Les + : Une mise en scène de toute beauté, une ambiance propice et prodigue, de belles trouvailles
visuelles...
*Les - : Un manque de panache, tant dans le déroulement que le final.
*Liens: Fiche film Allociné
*Crédits photos: © Metropolitan FilmExport