Curieux que nos médias consacrent beaucoup de temps a la promotion d'une femme courageuse kidnappée par les FARC, sans faire mention de tous les colombiens emprisonnés par le gouvernement Uribe et dont on ne parle pas. Les FARC serait-il le problème ou plutôt la réponse aux assassinats faits par le gouvernement de Colombie depuis presque qu'un demi-siècle?
Tous les Colombiens ne s’appellent pas Ingrid
Par Paola Ramírez Orozco
EXTRAIT
Depuis la libération de Mme Ingrid Betancourt, le 2 juillet 2008, la Colombie a disparu des priorités médiatiques et des préoccupations des « people » et des hommes ou femmes politiques jusque-là passionnés par ce pays. Tout comme le sort des autres otages détenus par la guérilla et le thème de l’échange humanitaire. On a juste pu apprendre que, le 13 janvier, le président Alvaro Uribe a reçu, à Washington, des mains de son homologue américain George W. Bush — à la fin d’un mandat au bilan calamiteux —, la médaille présidentielle de la Liberté. Tout un symbole...
La « sécurité démocratique », politique musclée du président Alvaro Uribe Vélez, arrivé au pouvoir en 2002, serait-elle un mythe ? De nombreux magistrats, membres d’organisations non gouvernementales (ONG), syndicalistes, hommes ou femmes politiques, et même certains journalistes, semblent le penser. Selon M. Alirio Uribe, défenseur des droits de la personne, seuls quelques privilégiés — l’« élite », les entreprises, les multinationales — en bénéficieraient. En revanche, « tous ceux qui critiquent la politique du président ou s’opposent à son régime sont diabolisés ». Quand ils ne sont pas assassinés. En silence, car les médias sont très occupés.
Très occupés lorsqu’ils expriment une émotion légitime : « Ingrid Betancourt, otage des Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC] » (depuis le 23 février 2002) ; un soulagement partagé : « Ingrid libérée ! » (le 2 juillet 2008) ; quand ils s’emballent définitivement : « Betancourt rencontre Sarkozy », « “IB” Women World Awards 2008/2009 », « Sainte Ingrid chez le pape », « L’ex-otage rentre en Colombie », avec pour seule et unique préoccupation (non contestable au demeurant) : « No mas secuestros ! » Plus d’enlèvements ! Les FARC détiennent encore vingt-sept « prisonniers politiques », civils, militaires ou policiers, qu’elles prétendent échanger contre des guérilleros emprisonnés.
Le 28 novembre 2008, des centaines de milliers de manifestants arborant des tee-shirts blancs barrés d’un « Colombia soy yo » (« Je suis la Colombie ») ont défilé dans les principales villes du pays et capitales étrangères (Paris, Madrid, etc.). Comme en d’autres circonstances, la manifestation, qui a bénéficié d’un appui (implicite) du pouvoir colombien et (explicite) des médias nationaux et étrangers, n’a pointé du doigt qu’un seul des protagonistes du conflit colombien : la guérilla (1).
Curieusement, le 6 mars de la même année, une manifestation contre la violence d’Etat n’avait provoqué ni la présence des projecteurs ni celle des caméras. « Nous avons marché pour protester contre les fosses communes, les massacres, les assassinats, les disparitions et les déplacements de population, car l’idée qu’il fallait se montrer plus solidaire avec les otages, dont une en particulier, qu’avec les victimes de l’Etat et des paramilitaires s’était propagée », explique M. Jorge Rojas, directeur du Bureau d’étude des droits humains et du déplacement forcé (Codhes), une ONG. Tandis que M. José Obdulio Gaviria, cousin germain de Pablo Escobar (feu le baron de la drogue) et conseiller du président Uribe, qualifiait cette opération de « marche promue par les FARC », les Aguilas Negras (« Aigles noirs »), nouvelle appellation des groupes paramilitaires, proféraient des menaces de mort contre les organisateurs et les participants. Convaincues que les associations ne doivent pas faiblir « chaque fois que les paramilitaires ou le président la menacent », comme s’est exclamé un manifestant, plus de trois cent mille personnes se sont néanmoins mobilisées en Colombie.
Une semaine plus tard, six organisateurs de cette manifestation avaient été assassinés. Dix syndicalistes ont connu le même sort dans le courant du mois. Seule consolation : « Sans les appuis institutionnels, économiques et médiatiques dont la marche contre les FARC a bénéficié et à laquelle nous avons participé, témoigne un organisateur, celle du 6 mars a rompu avec l’unanimisme qu’on veut nous imposer et avec l’idée que la violence vient uniquement des guérillas. »
Hostile à tout dialogue avec l’opposition armée, le chef de l’Etat a, depuis son arrivée au pouvoir, privilégié la voie militaire. Entre 2002 et 2007, treize mille six cent trente-quatre civils sont morts, victimes de la violence politique (2). Selon le Codhes, sur les quatre millions de personnes déplacées de force depuis 1985, trois millions l’ont été sous le gouvernement de M. Uribe (3).
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Notes
1- La mobilisation a toutefois été beaucoup plus faible que lors de la précédente manifestation de soutien aux otages, le 20 juillet ; cette dernière avait rassemblé quatre millions de personnes.
2- « En Colombie, des ONG accusent l’Etat de “la plupart des violations des droits de l’homme” », Le Monde, 27 septembre 2008.
3- Quelque trois cent cinq mille personnes ont été victimes de déplacements forcés en 2007 et deux cent soixante-dix mille au cours du premier semestre 2008, cf. Amnesty International, « [Colombie. “Laissez-nous en paix !” Les civils pris pour cibles dans le conflit armé interne-http://www.amnesty.org/fr /for-media...] », Paris, 28 octobre 2008.
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