Ces derniers mois, plusieurs champions ont fait leur réapparition sur les terrains, les routes, les stades et les salles. C’est l’occasion pour moi de vous exposer une petite réflexion sur les tenants et aboutissants de ces retours. Je m’appuierai plus précisément sur les cas suivants : Lance Armstrong, les cousines belges Kim Clijsters et Justine Hénin, du retour avorté de Michael Schumacher et mes deux chouchous, Anatoli Karpov et Garri Kasparov.
Dans la vie d’un sportif, le moment où il met fin à sa carrière est particulièrement éprouvant. C’est la fin d’une époque, d’une jeunesse aussi et le début dans la « vraie vie » commence souvent loin du sport de haut niveau pratiqué et loin aussi d’un star-system qu’on a parfois brûlé.
S’arrêter c’est dur.
Nous connaissons tous les différents motifs qui peuvent pousser un sportif à mettre fin à sa carrière. Je ne les détaillerai pas mais je les cite quand même : les blessures, la motivation, les résultats et les performances décevantes, plus rarement le mal-être dans le milieu sportif, l’envie de voir autre chose et pour les femmes j’ajouterai l’envie de mener une « vraie vie de femme », avec le désir de maternité.
Septuple champion du monde, Schumacher n’avait plus rien à prouver. L’âge aidant, il a décidé de laisser sa place mais pas de quitter la F1.
Pour Armstrong sans doute l’usure mentale a joué et l’envie de rester invaincu ont conduit à sa retraite en 2005. Le « quadruple vainqueur du Tour » (pour moi puisque j’ai exclu les Tour 1999 à 2001 où il aurait dû être déclassé puis non convié) a tellement écrasé la « concurrence » qu’il ne pouvait plus se battre que contre lui-même. Mais il a choisi le moment de partir, avec la belle campagne de publicité qui s’accompagne.
Pour Kim Clijsters, c’est l’envie de vivre tout simplement hors de ce monde particulier qu’est le tennis. Comme Lindsay Davenport, elle est devenue maman, épanouie.
Justine Hénin a invoqué l’usure mentale de la joueuse professionnelle. C’est vrai qu’un joueur de tennis mène un rythme de fou et autant que le physique, la capacité à jouer presque 11 mois sur 12 est fondamentale pour gagner un tournoi.
Pour Garri Kasparov et Anatoli Karpov, le temps a fait son œuvre. Kasparov s’est mis à chercher d’autres défis et Karpov a perdu l’envie de travailler régulièrement dans les années 1990. Kasparov a annoncé sa retraite en 2005 mais continue à disputer des exhibitions. Karpov s’est retiré plus discrètement, faisant comme Kasparov, avant de reprendre la compétition sérieuse avec bien peu de succès.
Des retours fracassants.
Annoncé il y a un an, le retour d’Armstrong était l’attraction d’un sport cycliste qui cherche désespérément à faire parler de lui en bien. L’Américain revenait pour le plaisir, pas pour l’argent puisqu’il reversait ses gains à son association Livestrong, dont on doute de la transparence (c’est une organisation américaine spécialisée dans l’étude des ONG qui ne lui donne qu’une étoile sur quatre ; on n’est pas rioplatense comme ça). D’autres pensent, et ce n’est pas incompatible, que c’est plus pour se lancer dans la campagne pour devenir gouverneur du Texas. Les résultats de son retour après plus de trois ans d’absence sont clairs : une troisième place au Tour de France, une douzième au Giro, malgré une fracture de la clavicule. Armstrong ne s’est jamais arrêté de s’entraîner même s’il l’a fait avec moins de précision industrielle qu’à ses grandes années.
Annoncée au mois de juillet, Kim Clijsters a fait très fort en raflant l’US Open sans coup férir. Moment d’émotion que de voir une mère triompher dans l’antre new-yorkaise. Clijsters avait peut-être envie de se donner un nouveau défi.
Quant à Justine Hénin, elle a sans doute retrouvé la vitalité morale pour mener une nouvelle carrière. Elle dit avoir été marquée par la victoire de Federer à Roland-Garros mais certainement par le retour victorieux de sa compatriote et rivale.
Quant aux deux K, ils avaient l’occasion de célébrer, un peu à la façon Key Largo (ou la scène de la cuisine des Tontons Flingueurs si vous préférez) la grande époque des Echecs qu’ils incarnent. A Valence, avec l’aide d’un milliardaire oriental du Golfe, tout allait bien.
Anatoli Karpov (gauche) et Garri Kasparov à droite lors du tirage au sort des couleurs pour le match exhibition à Valence la semaine dernière.
En ce qui concerne Schumacher, l’accident de Felipe Massa a évidemment provoqué les choses. N’ayant pas de pilote forcément disponible, Ferrari a tenté de relancer l’ancien champion du monde mais devant l’opposition d’autres écuries et aussi parce que Schumacher avait beaucoup de difficultés à tenir, on a finalement fait appel à Luca Badoer, le mémorable pilote essayeur italien.
Quelles conséquences ?
Le retour de ces champions fait parler, même jaser. Mais pas au même point mais avec de nombreuses interrogations.
Le cyclisme
Armstrong parti, c’était sans doute enfin le temps d’essayer d’effacer les années noires du dopage dans le cyclisme. Le « parrain » désigné de retour, c’était un retour en arrière phénoménal. L’affaire des oreillettes l’a encore montré. Le chef a ses réseaux bien établis. Avec en plus le retour de suspension des Basso, Vinokourov et autres, le calendrier n’était pas idéal pour donner une image bien plus positive du cyclisme. Les maladroits commentateurs et analystes du Tour diront ce qu’ils veulent : les affluences sur les routes sont moins grandes pour l’épreuve reine du sport français (Ben oui, à force d’insister sur le nombreux public en Suisse et en Espagne, on a clairement sous-entendu le contraire en France !).
Que penser alors pour un Contador, pas blanc-bleu dans les affaires de dopage, mais pour qui on a inconsciemment pris parti en raison du retour du « parrain » ? Sa victoire dans le Tour est méritée mais éclipsée par la performance du vieux. Et les bons résultats acquis sur la route montrent que sa marge de supériorité n’a pas totalement disparu. Dominateur tactiquement (ou comment piéger les naïfs Schleck), il a pu arracher une troisième place sur le podium au nez et à la barbe de coureurs bien plus jeunes mais dont on se demande quel est le niveau réel.
Le tennis.
La victoire de Kim Clijsters à l’US Open est à ce titre encore plus démonstrative. Un mois après son retour officiel, la Belge remporte un tournoi du Grand Chelem. Facile non ? Mais que penser alors du niveau du tennis féminin ? On le sait, il est bien bas. Il n’y a pas de meneuse dans le circuit. Ce n’est pas un mal en soi mais avoir une numéro une mondiale (la séduisante Dinara Safina) échouer dans tous les tournois du Grand Chelem est quand même assez effarant. Au moins cela nous rappelle la grande époque des sabordages d’Amélie Mauresmo à Roland-Garros, même si Amélie a raflé deux majeurs.
D’autre part, ce tennis féminin n’en finit plus d’être insipide. Des écarts énormes entre les 3-4 premières et la 8-9 ème joueuse (6-2 6-2 par exemple), aucun suspens, un jeu de piètre qualité surtout dans sa variété. Pour s’intéresser, on se résout à les transformer en jolies bimbos et souhaiter le retour de Maria Sharapova (question de goût) au plus haut niveau. Que valent donc les Russes, les Serbes ? Que valent les Williams qui jouent quand elles en ont envie et qui pourraient certainement encore dominer la planète tennis (surtout Serena) ?
Kim Clijsters à l'US Open. Elle a suivi la voie de Lindsay Davenport, dernière maman à gagner un tournoi majeur.
Avec le retour de Justine Hénin, les autres joueuses pourront apprécier leur médiocrité par rapport à celle qui a été meilleure joueuse au monde il y a encore un an et demi. On attend peut-être le retour de Mary Pierce. Hénin risque de retrouver les sommets assez vite.
Ceci dit, les deux Belges ne sont pas des « vieilles » : certes elles n’ont pas 22-23 ans mais ne sont pas trentenaires non plus. Elles conservent encore une fraîcheur physique, une capacité de récupération qui peut leur permettre de régner pendant un petit moment. Jusqu’à ce que l’usure l’emporte à nouveau. Mais elles pourraient nous offrir un de ces duels mémorables qui relanceraient provisoirement l’intérêt du tennis féminin.
Les Échecs.
L’événement échiquéen depuis la mort de Bobby Fischer en janvier 2008 a été ce jubilé des deux K. Entretemps, il y a eu un championnat du monde (Anand-Kramnik à Bonn en octobre 2008), une finale de candidats pour le championnat 2010 (Topalov-Kamsky en février dernier), un Grand Prix FIDE (où 4 des 5 meilleurs mondiaux sont absents) répartis sur 6 tournois. Euh, vous en avez entendu parler ? Non. Ce sont bien nos deux vétérans (58 ans pour Karpov, 46 pour Kasparov) qui ont fait la Une, même de France 2 (avec le propos qui a scandalisé de Marie Drucker qui a traité les Echecs de ringards, mais pas autant que son oncle), même d’un quotidien de Catalogne Nord mais pas La Provence (je vous rassure).
Kasparov a bien raison en affirmant que le développement du jeu est un échec. Karpov n’a pas complètement tort en déclarant que lui et Kasparov sont presque aussi connus que Maradona, Pelé ou Michael Jordan (il exagère légèrement quand même). Mais deux anciens qui disputent un match sans enjeu particulier, dont le niveau est assez médiocre pour le haut niveau (la faute à Karpov et sa gestion de son temps de réflexion), ça fait parler.
Il y a d’excellents joueurs aujourd’hui mais qui n’ont pas le charisme d’un Kasparov ; ils n’ont pas non plus ce contexte politique favorable qui a fait du duel des deux K un duel de légende (voir mes articles dessus et à venir).
En somme, le jeu stagne depuis la retraite de Kasparov.
La formule 1.
Pour beaucoup, le retour de Schumi était une bonne chose, pour relancer l’intérêt d’une discipline qui se perd dans les histoires d’espionnage, de coups fourrés et foireux et de règlements confus. Pas pour moi. Déjà ce sport est devenu franchement inintéressant, tant la technologie est prédominante dans les résultats d’un champion. Mais aussi parce que Schumacher c’est le temps des magouilles de Ferrari (sans doute un relent d’anti-schumacherite, né un soir de juillet 1982 et qui se poursuit contre un cycliste « honnête » mais pris plusieurs fois au contrôle anti-dopage) et l’impression qu’on faisait tout pour que l’écurie italienne gagne. Les consignes de Todt pour faire arrêter Barichello pour permettre à l’Allemand de gagner, etc. L’attentat contre Jacques Villeneuve au Grand Prix d’Europe 1987, qui a lamentablement échoué,m’a dégoûté de regarder la F1. dont la bassesse n’était plus à démontrer pour moi. La sanction qui a suivi est largement risible quand on voit ce qu’on inflige actuellement à d’autres écuries. Qu’il en revienne pas c’est bien mais la Formule 1 a une attitude paradoxale : d’un côté on déplore l’absence d’un champion dominateur, on déplore aussi l’absence d’un leader et on trouve inintéressant la lutte du championnat des pilotes. Assez amusant ce sport qui n’a plus beaucoup de valeurs sportives et morales positives.
Le Baron Rouge, Michael Schumacher, à l'essai dans la Ferrari en juillet 2009. Ses essais n'auront pas durer longtemps. Un retour au volant pour 2010 ne serait pas totalement écarté, sauf si Alonso ne vient pas évidemment !
Quoiqu’il en soit, tous ces sports sont malades : le tennis féminin n’engendre pas la passion, le cyclisme est malade de son dopage industriel et les Echecs d’une sous-médiatisation et d’une image ringardisée et surtout intello. La Formule 1 a perdu une grande partie de sa crédibilité avec ses querelles internes à base de gros sous. Ces retours ont néanmoins le mérite d’en faire parler mais posent le question du niveau de l’actuelle génération et ils ne font leur promotion qu’à court terme. Le sport comme la société doivent évoluer vers l’avant, dans ces cas-là ce sont des reculs. C’est inquiétant d’en arriver là.
Et encore, je n’ai pas parlé de Jeannie Longo, la meilleure cycliste française alors qu’elle est cinquantenaire.
Je vous invite à la réaction.