C’est la dernière exposition du Jeu de Paume à l’Hôtel de Sully, que les Monuments Historiques récupèrent; nous aurons désormais davantage d’expositions ‘hors les murs’. Cette dernière exposition (jusqu’au 27 décembre) est consacrée au travail antillais de Denise Colomb, qu’on connaît davantage comme portraitiste d’artistes. Cette grande bourgeoise, soeur du galeriste Pierre Loeb, achète son premier appareil photographique à 33 ans, en 1935, à Port-Saïd, en route pour le Viet-Nam, où son mari polytechnicien a été nommé. Il n’est sans doute pas indifférent que, dès le début, sa photographie soit placée sous le signe de l’ambiguïté coloniale, voire alors impériale.
Aimé Césaire, découvrant plus tard ses photos d’Indochine, lui demande de porter le même regard sur la Martinique. Elle fera trois séjours aux Antilles, le premier en 1948 à l’invitation de Césaire, pour le centenaire de l’abolition définitive de l’esclavage, et c’est peut-être là le premier reportage de l’histoire de la photographie sur le Tiers-Monde, mêlant exotisme et misère. Ses photographies sur les conditions de vie des Antillais (à la Martinique, mais aussi en Guadeloupe et à Haïti) mêlent l’attrait qu’elle éprouve visiblement pour la joie, la sensualité, le sens de la fête des Antillais et la découverte étonnée, voire ingénue, de leurs conditions de vie misérables. Ses photos, classiquement humanistes, montrent mais ne dénoncent pas; elles accompagnent un article très violent de Césaire dans la revue Regards en 1950, mais elles-mêmes sont plus empreintes de bons sentiments que de révolte.
Denise Colomb retourne en 1958 aux Antilles pour une commande de la Compagnie Transatlantique pour la promotion de ses croisières. Alors qu’on pourrait attendre cette fois des images touristiques banales, elle se tient encore à mi-distance de l’exotisme touristique et du reportage social sentimental, si bien que certaines des images peuvent difficilement être datées de l’un ou l’autre voyage par un oeil non averti. Elle réalise alors aussi des diapositives en couleur, qui lui serviront à animer des conférences en France; dans une de ces conférences, elle déclare “La misère s’exprime mal en couleur. Si la couleur est jolie, elle convertit une triste vérité en un décor de théâtre pour une pièce vériste; cela sonne faux”. Mais dans ces photographies couleur, rarement montrèes et projetées ici tout au fond de l’exposition, on saisit soudain, au milieu d’honnêtes images touristiques, une pose, un regard, un jeu de lumière qui, aussitôt, donnent une autre profondeur à l’image. Son troisième voyage, à 91 ans, n’est illustré ici que par quelques photos botaniques.
Cette hésitation entre photographie exotique et photographie sociale, ce balancement entre humanisme et révolution, laissent le spectateur un peu sur sa faim, même s’il admire le talent de la portraitiste; ses photos resserrées sur des enfants ou des femmes antillaises sont plus denses que ses plans larges ou ses paysages. Certaines de ses vues en plongée, avec un jeu d’ombres complexes, sont aussi des chefs d’oeuvre de composition.
Enfin, la découverte de l’exposition vient d’un accident de développement survenu en 1948, lorsqu’une craquelure de la gélatine crée un réseau aléatoire à la surface du film. On regarde alors la surface de la matière photographique tout autant que son sujet, c’est comme un voile, une cartographie, une répétition de motifs géométriques irréguliers. Parfois ceux-ci se combinent avec les motifs d’une robe créole et on ne sait plus très bien ce qui est réel et ce qui est artificiel, fruit de l’accident et de l’expérimentation.
Photos noir & blanc courtoisie du Jeu de Paume. © Ministère de la Culture - Médiathèque du Patrimoine, Dist. RMN