Parole à l’accusation et au procureur BHL. L’écrivain philosophe s’est une nouvelle fois enflammé sur les ondes d’Europe 1.”Le scandale est dans le fait que cet homme de 76 ans qui a vu se construire le ghetto de Cracovie, qui a souffert de la violence et de la terreur stalinienne, qui a traversé les pires horreurs du siècle(…) se retrouve à dormir en prison“. “La Suisse abrite des criminels autrement plus sérieux que Roman Polanski et vient maintenant arrêter Roman Polanski qui a commis, peut-être, cette erreur de jeunesse, il y a 30 ans. Que la Suisse se souvienne plutôt de son beau passé. La Suisse a été un pays d’asile, a été un pays refuge”.”Les hommes changent, 30 ans c’est une vie. (…) 30 ans après, un homme a changé“, a conclu Bernard-Henri Lévy.
Quand on a dit ça, on s’est certes fait plaisir mais après ? L’émotion doit-elle l’emporter sur la raison ? Comme le relève Sylvain Besson, correspondant en France du quotidien Genèvois Le Temps : “C’est sans conteste en France, où il réside, que l’arrestation de Roman Polanski passe le plus mal. Son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a écrit lundi à Hillary Clinton, de concert avec la Pologne, pour demander la libération du cinéaste. Après être intervenu dès dimanche auprès de Berne, pour s’assurer que «les droits de Monsieur Polanski soient pleinement respectés», il a qualifié hier d’«un peu sinistre» et «pas très joli» le procédé utilisé pour appréhender le cinéaste. «Un homme d’un tel talent, reconnu dans le monde entier, reconnu surtout dans le pays qui l’arrête, tout ça n’est pas sympathique», a conclu Bernard Kouchner.” Et voilà une affaire de droit commun muée en affaire d’Etat.
Étrange France à la justice chaotique, inféodée au pouvoir politique qui vient revendiquer pour ses célébrités l’immunité à vie. La logorrhée de certains chroniqueurs est affligeante. Jean-Pierre Elkabbach d’Europe 1 qui sait de quoi il parle en matière d’indépendance n’a pas hésité à parler de Suisse “à la botte des Etats-Unis“. Idem pour France 2 évoquant un pays “dans ses petits souliers“. Guy Carlier, “humoriste” auxrondeurs trompeuses a décrit la procureure helvète comme “une femme raide, raide comme la justice, raide comme une Suisse allemande“.
Les autorités helvétiques se sont livréesà un exercice d’explication voué à l’échec face à des interlocuteurs qui ne veulent rien entendre. La conseillère fédérale Doris Leuthard a pourtant été claire.”Pour nous, c’est une affaire procédurale. Il n’y a aucune autre possibilité: une personne visée par un mandat d’arrêt international doit être arrêtée. Qu’elle soit célèbre, inconnue, riche ou pauvre, cela ne joue aucun rôle.”
Coup de pied de l’âne, Doris Leuthard rappelle que la suite de la procédure est entre les mains de la justice américaine. Et que la Suisse s’est bornée à assumer un rôle secondaire, celui d’un “Etat où la police fonctionne”.
C’est bien toute la différence avec la France. En Suisse, l’esprit légaliste imprègne l’Office fédéral de la justice et à aucun instant la Confédération n’a envisager manquer à ses devoirs envers les Etats-Unis. Très peu des demandes d’entraide judiciaire et d’extradition formulées par les États-Unis présenté à la Suisse sont rejetées. Le traité qui lie la Suisse à ce pays est très rigide. C’est l’un des seuls, avec l’Allemagne, qui prévoit notamment que le délai de prescription à prendre en considération est celui de l’Etat requérant.
La position française selon laquelle les autorités suisse auraient du avertir le cinéaste du risque encouru est scabreuse. L’avocat de Roman Polanski, Hervé Temime, admet d’ailleurs que la Suisse devait exécuter le mandat d’arrêt visant son client et évoque simplement un problème de forme.“Là où je suis d’accord avec les Suisses, c’est qu’ils devaient exécuter le mandat d’arrêt. Les conditions d’exécution – attendre qu’il soit convié à un festival pour l’arrêter – sont en revanche d’une élégance discutable.”
L’écume des vagues est souvent trompeuse. Les agitations de la jet set apparaissent en décalage avec une majorité de l’opinion qui refuse de voir renier principe fondamental de toute démocratie selon lequel la loi est la même pour tous. Malheureusement pour lui et quel que soit son génie, Roman Polanski est devenu à cet égard tout un symbole.
Notamment à l’égard de bien des Français qui assistent à la reprise en main par le pouvoir exécutif du parquet et donc à un renforcement dans l’opportunité des poursuites. Ce que résumait déjà Jean de la Fontaine lorsqu’il écrivait “Selon que vous soyez puissant ou misérable, les juges de la cour vous rendront blanc ou noir“. Et ce n’est pas la tentative discréte de certains parlementaires de supprimer, via un cavalier législatif, l’inéligibilité automatique d’élus corrompus qui aménera un peu plus de sérénnité dans un contexte social trés tendu.