Jane Goodall est une célèbre primatologue, de renomée internationale. Elle est également messager de la Paix pour les Nations Unies. Ses recherches sur les chimpanzés en liberté
ont permis de redéfinir la notion d'humanité, et son enracinement profond avec la nature et le monde animal. Dans l'album de Reporters sans frontières sur le thème de la nature, Jane
Goodall a accordé une interview que je trouve magnifique, raison pour laquelle je la mets sur mon blog.
Je me souviens de cette première nuit comme si c'était hier. Je me revois assise là, sur ce promontoire rocheux, la vallée en contrebas, le ciel au-dessus de ma tête. Le chant
des oiseaux, l'odeur d'herbes desséchées au soleil, celle de la terre aride, le parfum lourd de fruits trop mûrs. J'étais à ma place, chez moi.
Avant mon arrivée, les chimpanzés n'avaient jamais croisé de primates blancs de mon espèce. Timides, il fuyaient à ma vue. David Greybeard fut le premier chimpanzé à s'enhardir,
m'autorisant parfois à le suivre. Je n'oublierai jamais le jour où, assise auprès de lui dans la forêt, alors qu'il faisait la sieste, j'ai cueilli un fruit bien rouge. Je le lui ai tendu,
il a détourné la tête. J'ai rapproché ma main. Il s'est tourné vers moi, m'a regardée droit dans les yeux. Il a pris le fruit et l'a laissé tomber. Puis il m'a serré la main de ses doigts chauds
et soyeux. Son message était clair : "J'apprécie ton geste, mais je n'ai pas envie de ce fruit". Nous avions communiqué. Pour la première fois, un échange avait eu lieu entre un être humain et un
primate dans une langue très ancienne, un langage d'avant la parole. A cet instant précis nos deux mondes s'étaient rejoints. Je commençais à entrer dans son univers.
C'était en 1960, j'avais vingt-six ans. Je débutais ma recherche en Tanzanie, à Gombé, au-dessus du lac Tanganyka. Je m'immergeais dans l'étude de leur vie en liberté. Aujourd'hui, il ne fait
plus de doute que nos ressemblances avec les chimpanzés sont biologiques, émotionnelles et intellectuelles. Nous appartenons à une même famille et nous pouvons en être fiers. Pourtant, des
millions d'individus ignorent encore à quel point, nous, les êtres humains, sommes proches du monde animal, que nous en faisons partie intégrante.
Ce sont ces années-là, à Gombé, qui m'ont faite telle que je suis aujourd'hui. J'y ai connu la paix de l'âme qui me soutient encore à ce jour. J'ai quitté la station de recherche en 1986,
après un colloque intitulé "comprendre les chimpanzés". J'étais venue en scientifique, j'en ai émergé militante. Ce jour-là, j'ai pris la mesure de la souffrance des chimpanzés et réalisé
la vitesse de la destruction de leurs forêts à travers le continent africain. Comment rester à Gombé comme si de rien n'était ? Depuis, je voyage près de trois cents jours par an pour
plaider leur cause. Les chimpanzés étaient près de deux millions il y a un siècle, ils sont à peine deux cent mille aujourd'hui. Chassés par les trafiquants d'animaux, pour le commerce ou pour
leur chair. Arrachés à leurs forêts natales, convoyés dans des conditions abominables, suppliciés au nom de la recherche médicale.
Et il n'y a pas que les animaux sauvages et la nature qui souffrent sous le joug des hommes. L'humanité souffre elle aussi. Des millions d'individus vivent dans une pauvreté intolérable, des
millions d'êtres humains meurent de faim. Les épidémies font rage, les "réfugiés de l'environnement" se dispersent à travers le monde. Il serait facile de se laisser submerger par le
désespoir.
En dépit de tout cela, j'ai quatre raisons d'espérer. La première est notre cerveau extraordinaire. Notre intelligence. Nous sommes une espèce qui sait résoudre les problèmes.
Ma deuxième raison d'espérer est que la nature est extraordinairement résiliente. Il y a quelques années, je me suis rendue à Nagasaki. Les scientifiques avaient prédit que rien n'y pousserait
pendant trente ans. Un jeune arbre a miraculeusement survécu à la bombe atomique. Craquelé et fissuré, tout noir à l'intérieur. Mais chaque année, ses feuilles repoussent. J'en garde toujours une
avec moi, comme un symbole d'espoir.
Ma troisième raison d'espèrer est la nature si pleine de ressources de l'esprit humain. Partout, je rencontre des individus exceptionnels, mes véritables héros. Ils ont le courage de leurs
convictions et représentent les vraies valeurs humaines, l'honnêteté, le courage et la détermination.
L'immense énergie, l'enthousiasme, l'engagement d'un nombre grandissant de jeunes (*) partout dans le monde sont ma quatrième raison d'espérer. Ils changent les attitudes sans armes ni
explosifs. Par le respect, la connaissance, le dialogue. Le respect de toutes les formes de vie et de tous les hommes, quels que soient leur culture, leur pays ou leur religion.
N'oubliez jamais que chaque individu compte, que chacun a un rôle à jouer. Nous nous sentons impuissants devant l'immensité des problèmes de notre époque : "je ne suis qu'un individu isolé parmi
plus de six milliards !" Mais les plus infimes actions, multipliées par six milliards, font une sacrée différence !
Si chacun de ces six milliards d'hommes décide d'agir, le monde peut changer en une nuit.
(*) C'est pour cela que j'ai fondé Roots & Shoots, un mouvement qui encourage les jeunes à agir pour un monde meilleur. Ils engagent toute leur énergie dans des projets pour sauver des
hommes, des animaux et l'environnement. En Tanzanie, ils étaient dix-huit lycéens en 1991, ils sont aujourd'hui plus de 7 500 groupes, actifs dans plus de 80 pays, de la maternelle à
l'université.
www.rootsandshoots.org
Source : 100 photos de nature pour la liberté de la presse - Reporters sans frontière. L'association se bat pour faire libérer les journalistes de toutes nationalités emprisonnés dans le monde,
dont le seul crime est de défendre la liberté d'information et d'expression.
A voir aussi : www.janegoodall.fr