Quelle misère, n’est-ce pas, pour qui se souvient de cette bise fort amicale que le candidat de l’UMP à la présidentielle claquait aux joues ravies de la même Chabot au sortir du débat (très ennuyeux …) d’entre-deux tours l’opposant à Marie-Ségolène Royal ! On aura eu tort d’y voir un signe de connivence, et d’ailleurs, la bonne preuve, c’est qu’une fois gagné l’Élysée, Nicolas Sarkozy ne mettra pas longtemps à la mettre, Arlette, sur la touche, la trouvant, soudainement, “nulle” et “trop datée”. PPDA itou. Allez zou, du balai ! Et Nicolas Sarkozy se mit, activement, en quête de nouveaux intervieweurs de "Lui-Même".
Oui, je sais, ça peut paraître curieux, surtout dans une démocratie censée être “irréprochable”, mais vois-tu, ce ne sont pas les rédactions de Tf1 et France Télévisions qui choisissent les journalistes chargés de questionner le chef de l’État, non, c’est le chef de l’État qui s’arroge ce droit. Souverain.
Or donc, exit le PPDA et la Chabot, et place à Mâhâme Ferrari et M'sieur Pujadas, deux admirables et zélés "journalistes", de la trempe de ceusses qui ne pipent mot quand leur "maître" bafoue la présomption d’innocence (une habitude, chez lui – cf : Yvan Colonna) et ne rechignent pas à poser des questions aimablement suggérées par … L’Élysée.
Des professionnels du prompteur, en quelque sorte.
Or donc, la directrice de l’information de France 2 (dont les jours semblent comptés ..) s’est vu reprocher le manque d’émissions politiques dignes de ce nom sur le service public. La pauvrette aura protesté citant pèle-mêle “A Vous De Juger” (tu sais l’espèce de barnum ou le Cohn-Bendit et le Bayrou se sont frités lamentablement et où Mélenchon s’est plaint du manque d’émissions politiques impartiales et … dignes de ce nom sur le service public) “Mots-Croisés” (avec en meneur de “jeu”, le très néolibéral Yves-pardonnez-moi-de-vous-poser-cette-question-mais-c’est-pour-que-les-gens-qui-nous-écoutent-comprennent-bien-de-quoi-il-est-question-ce-soir-Calvi) “Les 4 Vérités” (tu es drôle, Arlette, sais-tu ?) ou encore “C Politique” (le machin inaudible et courtois qui remplace “Riposte”).
Il lui fut vertement répliqué que tout cela ne valait pas “L’Heure De Vérité”.
Ce qui n’est pas faux.
En même temps, on peut comprendre que Nicolas Sarkozy soit un nostalgique de feue l’émission de François-Henri de Virieu, tant à chacun de ses passages il y fut particulièrement bien accueilli, notamment en pleine “Balladurmania”, comme ce 8 janvier 1995 où Virieu le traita carrément de Premier ministre, alors qu’il n’était qu’un "modeste" ministre du Budget & de la Communication (et Porte-Parole du gouvernement Balladur)
Ceci étant, cette colère de Nicolas Sarkozy envers le service public pourrait passer pour anodine, sauf que, l’embêtant, c’est que ce n’est pas sa première.
Notre homme est un dangereux récidiviste.
Ainsi, le 18 mars 2007, s’estimant mal reçu par l’équipe de "France Europe Express" (dirigée par Mâhâme Ockrent), qu’il est, en outre, intolérable qu’il lui faille attendre avant de passer au maquillage (“Qui suis-je pour être traité ainsi ?” se serait-il humblement écrié) Nicolas Sarkozy “pète les plombs” et menace, devant un personnel stupéfait :
“Toute cette direction, il faut la virer. Je ne peux pas le faire maintenant, mais ils ne perdent rien pour attendre. Ça ne va pas tarder.”.
Suivra un communiqué (du genre soucieux, mais on le serait à moins) signé par la société des journalistes de France 3 (“Nous nous inquiétons que M. Sarkozy puisse afficher sans aucune gêne un tel mépris pour l’indépendance des chaînes de service public.”).
Dix jours plus tard, le 28 mars 2007, Nicolas Sarkozy accorde un entretien pour le 19/20 de France 3. Là encore, il ne supporte pas de patienter une poignée de secondes dans un studio avant son passage en plateau, puis met en cause un reportage qu’il qualifie de “malhonnête” et de “quelque peu politique”. Il aurait sans doute préféré, va savoir, qu’on vantât sa campagne et lui léchât abondamment les pompes ..
“Cette campagne est-elle l’occasion de régler des comptes voire d’affaiblir la télévision publique ? Et avec quelles intentions une fois passée la période électorale ?” s’interrogeront, de concert, le SNRT-CGT, le SNJ-CGT et l’UNSA-CFTC.
On peut également y ajouter ce 30 juin 2008, toujours sur France 3, avec les fameux “off” dévoilés par le site Rue89 dont on aura dit que bon, c’était beaucoup de bruit pour pas grand chose.
Sauf que non.
Car qu’entend-on lors de ces “off” ?
Du mépris, essentiellement.
Ainsi quand Paul Nahon affirme que ma foi, la rédaction de France 3 fait bien son travail, Nicolas Sarkozy dégaine, cinglant :
“Que vous soyez content de votre travail, ça ne m’étonne pas ..”.
Charmant.
Et que penser de cette autre remarque du Président :
“Comment voulez-vous faire tourner une boutique comme France 3 ?”.
Alors comme ça, pour Nicolas Sarkozy, France 3, c’est … une boutique ! Je n’irais pas jusqu’à dire, comme l’homme politique lambda maître es-langue de bois, que “j’ai le plus profond respect pour les propriétaires de boutique, tant ils font un travail remarquable” mais comparer France 3, soit une entreprise majoritairement constituée de journalistes, à une boutique, n’est-ce pas là, la preuve d’un manque total de respect et de considération. Une marque de mépris.
Mais ce soir-là, une autre saillie du Chef de l’État m’apparaissait bien plus inquiétante :
"J'ai une haute idée du service public (....) Mais les programmes du service public ressemblent trop à ceux des chaînes privées (...) On peut faire mieux."
Ce “On” peut faire mieux, qui est-il ?
Ne traduit-il pas une volonté évidente de la part du Président de la République d’avoir, un jour, demain, la mainmise sur le service public, comme au sale bon vieux temps de l’O.R.T.F. ?
Ce qui ne serait pas soupçonnable s’il avait dit : “Vous pouvez faire mieux”.
Cette volonté à peine voilée de museler le service public est déjà entamé, avec de nouvelles règles du “jeu” pour nommer le prochain P.D.G. de France Télévisions. C’est désormais l’exécutif qui s’en chargera. Et l’on voit mal le C.S.A. et les parlementaires s’opposer à cette volonté [1].
Et quelle sera la mission de la nouvelle marionnette élyséenne ?
Elle sera de réaliser les souhaits exprimés (et rappelés ci-dessus) par Nicolas Sarkozy soit de “virer toute cette direction”. De nettoyer la “boutique”. Car, il ne faut pas croire, mais ce que dit Nicolas Sarkozy, parfois, il le fait. Plus exactement, ce n’est pas qu’il fait ce qu’il dit, comme il le prétend, c’est qu’il met à exécution ce qu’il menace.
La colère qui s’est abattue, mercredi dernier, sur Mâhâme Chabot, n’est rien d’autre que la manifestation de cette volonté, la suite logique d’un programme de démolition, mûrement pensé et réfléchi, celle de France Télévisions et avant tout, de sa rédaction. Un règlement de compte comme les affectionne Nicolas Sarkozy. Une vengeance personnelle à nos frais.
Nous sommes donc bien dans une “O.R.T.F.-isation” rampante du service public. Une mise au pas. Aux bottes du pouvoir.
Il est étonnant, voire très inquiétant, que cette nouvelle colère "sarkozienne", ne fasse pas plus de ramdam au sein de toutes les rédactions de France, n’émeuve pas plus que ça, les journalistes de ce pays. Y compris ceusses de la presse écrite. A croire qu’ils ont la mémoire courte [2]
Cela dit, le jour où cette “O.R.T.F.-isation” sera à son terme, complète, il sera bien trop tard, messieurs, pour venir pleurer l’indépendance que vous n’aurez pas su défendre.
Et ce n’est pas sur Internet que vous la (re)trouverez.
Internet n’aura jamais la puissance de feu meurtrier, dévastateur, d’un JT de Tf1 ou de France 2.
Internet c’est une illusion. La télévision, elle, c’est une réalité.
Il ne faudrait pas laisser cette réalité "tomber" dans les mains du pouvoir.
[1] Est-il possible de croire, de penser une seule seconde, que les parlementaires de la majorité ne valideraient pas le candidat proposé par l’Élysée pour le poste de P.D.G. de France Télévisions ?
Prenons (c'est une image ...) Hervé Morin, par exemple. Au temps où il était président du groupe UDF à l’Assemblée. Lorsque, le 24 janvier 2007, le président de la République, Jacques Chirac, nomma Michel Boyon au C.S.A. (en remplacement de Dominique Baudis), et le président du Sénat, Christian Poncelet, Alain Méar (en remplacement de Philippe Levrier), ce bon Hervé Morin protesta vivement. Il voyait dans ces deux nominations “tout ce qu’on déteste”, la “République des copains”.
Et il avait raison.
Car Boyon était l’ancien Directeur de Cabinet de ... Jean-Pierre Raffarin (du temps où il était Premier ministre de J. Chirac) et Mear, l’ex Directeur de Cabinet de .. Christian Poncelet.
Seulement voilà, depuis que Morin a fait allégeance à Nicolas Sarkozy, il ne s’offusque plus quand le pouvoir place des “copains”. Notamment dans les médias. Ainsi, quand le 22 mai 2007, Laurent Solly, l’ex-conseiller de Nicolas Sarkozy à Bercy puis à l’Intérieur, devenu par la suite son Directeur adjoint de campagne (présidentielle) est parachuté à Tf1 par l’Élysée en tant que Directeur Général adjoint, eh bien, Hervé Morin, il la ferme.
Comme tous les autres parlementaires de la majorité.
Alors pourquoi voulez-vous qu’ils l’ouvrent demain, d’autant plus à l’approche d’échéances électorales ou le seul but est de conserver son siège au Parlement ?
[2] Oui, les journalistes de la presse écrite ont vraiment la mémoire courte. A commencer par ceusses de Libération. Ont-ils déjà oublié, qu’en mars 2007, eux aussi, furent “menacés” par Nicolas Sarkozy, qui, en outre, qualifia leur quotidien de “journal de merde” ?
Rafraichissons leur petite mémoire avec la dépêche suivante :
ISF : Nicolas Sarkozy pique une colère contre Libération
NOUVELOBS.COM | 09.03.2007 | 12:10
Selon une source interne à la rédaction en chef de Libération confirmant une information du site internet de l’Express, Nicolas Sarkozy aurait téléphoné à Édouard de Rothschild pour lui faire part de son mécontentement après la Une de Libération le 1er mars.
Le quotidien, revenant sur les informations du Canard Enchaîné sur la déclaration d'ISF de Nicolas Sarkozy, titrait ainsi:
"Impôt sur la fortune de Sarkozy : le soupçon".
Le candidat UMP à la présidentielle aurait pris son téléphone pour dire directement à Édouard de Rothschild, actionnaire majoritaire du quotidien ce qu'il pensait du journal, le qualifiant de "sectaire de gauche".
Nicolas Sarkozy aurait expliqué que "cela empêcherait sans doute le quotidien de trouver des gens pour le financer".
Contactée par nouvelobs.com, une source interne à la rédaction en chef, qui souhaite garder l'anonymat, indique que le PDG, Laurent Joffrin, aurait confirmé l'information en conférence de rédaction mercredi 7 mars.
L'échange entre Édouard de Rothschild et Nicolas Sarkozy aurait été "musclé". Le candidat de l'UMP se laissant même aller à employer des termes "grossiers", qualifiant, paraît-il Libération de "journal de merde".
D'après une autre source interne au journal, le coup de téléphone aurait "beaucoup fait rire Édouard de Rothschild".
Édifiant, non ?
Inquiétant, surtout.