Dernier livre de la sélection du mois pour le Prix des lectrices de Elle 2010, cette fois dans la catégorie document : « L'intranquille » de Gérard Garouste (l'artiste peintre-sculpteur-graveur-illustrateur internationalement reconnu dont les œuvres sont exposés dans les plus grands musées du monde) co-écrit avec Judith Perrignon (journaliste et écrivain).
Le livre est sous-titré « Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou ». Fils. Peintre. Fou. Ces trois mots représentent le cercle vicieux de son enfermement même si la peinture en est, parfois, l'espace de liberté. La folie d'un fils né au lendemain de la guerre dont le père, collaborateur ayant spolié des biens juifs, était qualifié de « psychopathe » par la médecine. Un père antisémite et misanthrope. Un père qui écrivit à la date de l'arrivée des Allemands, en juin 40 : « Enfin libre ! ». Un père violent qui posait le revolver sur sa table. « Un salopard qui m'aimait » selon les termes de Gérard Garouste.
Comment exprimer la douleur indicible, supporter l'insoutenable si ce n'est en se réfugiant dans l'art et la folie ? Même si la seconde empêchait le premier de s'exprimer, sans doute l'a-t-elle aussi nourri, contribuant à ses œuvres « intranquilles ».
Gérard Garouste, par l'écriture vive, rythmée, précise de Judith Perignon, livre un récit sobre et sincère, sans concessions, pudique et paradoxalement lucide sur la folie, l'art et sur ce qui a guidé l'une et l'autre. Il décrit sa folie sans emphase et sans lyrisme, ce qui en est que plus troublant. Il nous montre l'envers gris du décor en tombant le masque. La folie : finalement masque de la honte. La folie : échappatoire de cet intranquille prisonnier de sa famille, de son passé, lui qui se sentait libre, enfin, dans l'univers pourtant carcéral du pensionnat, là où il noua des amitiés indéfectibles notamment avec Ribes et Modiano.
Par son parcours il interroge l'art et la folie : qu'est-ce qui guide l'artiste ? Qu'est-ce qui conduit à la folie ? Qu'est-ce qui les relie, les dissocie ? Qu'est-ce qui influence un artiste ? Le conduit à s'exprimer ? Lui voulait « peindre ce qu'on ne dit pas ». Crier ainsi sa douleur dans le silence. Son récit apporte un nouvel éclairage à ses œuvres et donnera envie à ceux qui en ignoraient tout de les connaître. Il explique aussi ses influences pas forcément picturales (la Bible, Cervantès, Dante, Saint-Augustin) et son parcours (sa rencontre avec le galeriste New Yorlais Leo Castelli, ses fresques pour l'Elysée, ses décors pour Le Palace...). Il rend un hommage implicite à sa femme Elisabeth et lève le voile sur certains mystères originels de ses toiles.
Un autoportrait poignant qui est aussi une réflexion sur l'art, sur les ravages de l'enfance lorsqu'elle est douloureuse, silencieuse, assombrie par les secrets de famille et par l'ombre dévastatrice d'un père. Un fils, un peintre, un fou qui nous plonge dans les méandres de son intranquillité, éclairant ainsi son œuvre parfois sombre et une attitude parfois étrange, peut-être un premier pas vers la guérison...