A côté d'une expression apparemment sans queue ni tête mais révélatrice d'une tendresse enfantine et inquiète, ressemblant un peu à : «Si tu meurs, j'te tue», les discussions vont bon train sur le thème «le suicide, que faut-il en penser ?». Question absurde à propos d'un tabou douloureux qui s'ouvre sur une hypocrisie crasse.
Si un cadre qui se suicide, est un fait «dérangeant», on constate que sur un ensemble avoisinant 12.000 cas sur une année (160.000 tentatives), seuls ceux qui remettent en cause la gestion des entreprises (on parle rarement des simples salariés), ou ceux décomptés dans les établissements publics carcéraux (environ 90), sont médiatiquement pris en charge.
Santé publique et gestions défaillantes sont à peu près les seuls axes qui orientent les réflexions pour une meilleure... «prévention» et «anticipation du risque» !!! Si le risque n'a pas pu être évité, encore faudra-t-il tenir compte de la difficulté à établir un lien de causalité entre suicide et travail. Du pain sur la planche en perspective pour les avocats ou les assurances chargés de déterminer les pénalités infligées ou compensations matérielles accordées à «ceux qui restent» !
Ce qui semble être le plus «gênant» c'est de ne pas pouvoir, ni oser, désigner les suicidés comme les seuls coupables d'une «mode qui choque tout le monde».
La situation des survivants est bien entendu très inconfortable et c'est à juste titre qu'en dehors de leur deuil, l'on parle de :
- taxer les entreprises dans lesquelles les salariés mettent fin à leur contrat de travail de façon radicale, et à minima de revoir les méthodes utilisées par les DRH,
- ou, concernant le système pénitentiaire, d'informer des sanctions infligées à l'Etat par les tribunaux administratifs et/ou la cour européenne des droits de l'homme pour ses conditions de détention indignes sensées être à l'origine de suicides en cascade.
Sur ce dernier point, une loi visant à sécuriser la vie dans les prisons vient d'être votée sans publicité - de façon quasi honteuse - le 22 septembre dernier. Répond-elle aux attentes de Louis Albrand, auteur d'un rapport conséquent sur le sujet ? Pas vraiment ?
Qu'en pense l'Observatoire International des Prisons ? Oserait-on l'imaginer ?
Ces questions risquent de rester sans réponse d'autant que dans le contexte actuel un suicide, serait-il militant, ne suffirait pas à changer la vie et que se poser la question du «pourquoi» pourrait passer pour être l'expression d'un terrorisme rentré.
Reste l'esthétique.
Elle est parfois moins terre à terre et mieux à même de mettre en évidence les causes profondes du refus de vivre. «Le Diable Probablement», film de Robert Bresson sorti il y a plus de trente ans, en 1977, en est un exemple. Ce qu'en disait l'auteur lui-même :
«Ce qui m'a poussé à faire ce film, c'est cette civilisation de masse où bientôt l'individu n'existera plus. (...) Cette immense entreprise de démolition où nous périrons par où nous avons cru vivre. C'est aussi la stupéfiante indifférence des gens».
«Le Diable Probablement» a été interdit aux moins de 18 ans comme pouvant encourager des tendances suicidaires.
Le sujet : Un garçon d'une vingtaine d'années, Charles, est découvert, mort, dans une allée du cimetière du Père-Lachaise. Avec ses amis, il passait de nombreuses heures en discussions sans fin sur les dangers qui menacent le monde : pollution, gaspillage des ressources naturelles, décomposition du tissu social, famine, guerre... S'inquiétant pour lui, ses amis finissent par le convaincre de consulter un psychanalyste. Mais Charles ne retient de cette rencontre qu'une seule information : dans la Rome Antique, les candidats au suicide demandaient à un esclave de les aider à mourir. Il passe à l'acte en demandant à ce qu'on lui tire deux balles dans la tête.
Transcription partielle des dialogues :
« Le monde dégrade autant celui qui donne que celui qui reçoit (...) Si mon but était l'argent et le profit, je serais respecté de tout le monde (...) Je ne peux imaginer que je serai jugé pour n'avoir pas compris ce que personne ne peut comprendre (...) Plus rien n'est politique dans ma vie, si ce n'est le refus de toutes les politiques (...) Je ne suis pas déprimé. Je veux seulement avoir le droit d'être ce que je suis. Je ne veux pas que l'on me force à ne plus vouloir, à remplacer mes non désirs par de faux désirs, calculés par des statistiques, des sondages, des calculs, des classifications américano-soviétiques super-connes. Je ne veux pas être un esclave (...) Je n'ai pas envie de mourir : je déteste la vie mais je déteste aussi la mort. »