Pierre Falardeau n’est pas mort …

Publié le 27 septembre 2009 par Politicoblogue

Pierre Falardeau

« Nous vaincrons ». Deux mots, griffonnés d’une écriture tremblante à la va-vite sur le scénario de son film « 15 février 1839 ». 1997. Téléfilm Canada refusait de financer son projet. Une journée d’octobre, froide, au ciel laiteux, et nous étions peut-être 300 ou 400 personnes à marcher avec Pierre Falardeau.

Qu’est-ce qu’il m’avait dit exactement? Le souvenir s’est édulcoré, comme une règle de grammaire qu’on oublie mais qu’on applique sans s’en rendre compte. Était-ce: « N’arrête jamais! » Ou peut-être: « Ces hosties là me font chier ». Je ne m’en souviens plus. Mais je me rappelle du principal: Pierre Falardeau, dans toute son intégrité, passionné comme jamais, m’a donné l’impression d’un homme authentique qui ne plierait jamais l’échine devant qui que ce soit.

Or, n’était-ce pas précisément ce qu’on lui reprochait? On aimait le dépeindre comme une relique du passé, comme un homme d’un autre temps, enfermé dans une logique sectaire ou réfractaire au « nous inclusif ». Ce à quoi Falardeau répondait toujours quelque chose du genre: « Nous qui? Nous quoi? Nous, tabarnak! Ceux qui veulent! Les autres, c’est des esti d’sales et j’vas leur casser la gueule! » Ses mots choquaient, ses attaques aussi, mais il nous forçait à réfléchir, à nous questionner sérieusement. Mais peut-on réellement lui donner tort? La langue de bois du « nous inclusif » et autres réductions de la réalité, il la prenait, la trempait dans l’essence et la lançait au visage de ceux qu’il considérait trop coincés pour pouvoir s’exprimer librement. Pour Falardeau, ce n’était pas au présent de s’adapter aux diktats de l’air du temps, mais plutôt aux passionnés comme lui de forger le futur. Il croyait au pouvoir de l’action.

En fait, Falardeau, loin d’être passéiste comme certains le décrivait, adaptait son discours en fonction des événements. En 1996 ou 1997, il manifestait avec le défunt Mouvement de Libération Nationale du Québec (MLNQ), faisant la tournée des hôtels de ville de l’ouest de Montréal ou de la rive-sud pour s’en prendre aux défusionnistes, dont les plus jeunes devaient avoir soixante ans bien sonnées et leur crier toute sa haine du Canada. Mais une décennie plus tard, alors que le Canada devenait de plus en plus un concept abstrait et où on commençait à nous imposer le bilinguisme comme si c’était la panacée, il ajustait le tir: « il ne s’agit pas de savoir s’il vaut mieux parler une, deux, trois ou cinq langues, il s’agit de refuser de se faire imposer le bilinguisme pour gagner sa vie ». Falardeau, c’était aussi cela: un homme de son temps, capable de réfléchir et de sentir quels étaient les véritables enjeux du moment.

Bien sûr, il choquait. Il carburait à la polémique. Il n’hésitait pas à dénigrer ses adversaires idéologiques. Mais ses insultes n’étaient jamais gratuites, contrairement à ce que certains aimaient lui reprocher. Il pouvait résumer un trait de personnalité le dérangeant chez quelqu’un en quelques mots. Ainsi, il parlait de Monseigneur Steven Guilbault, du Père Hubert Reeves, des Cowboys mélangés, de l’autre mongol à barbiche, Suzuki, Kawasaki, Yamamoto ou quelque chose du genre venu à Montréal nous faire la morale in English only, de Patrick Lagacé, le blagueur de La Presse, de l’unifolié, un pavillon de complaisance, de Françoise David et son catalogue de bons sentiments… Il ne faisait pas semblant, pour la galerie, d’être ouvert d’esprit; il l’était réellement, c’est-à-dire qu’il n’hésitait jamais à confronter directement les idées d’autrui, à les engueuler pour une virgule, bref à faire tout ce que nous, petits Québécois habitués au « tu as ton opinion et j’ai la mienne, maintenant tenons-nous par la main et faisons une ronde » n’osions plus faire: débattre sérieusement, et permettre que de la violence d’une saine discussion puisse jaillir la vérité.

En ce sens, Falardeau était le descendant direct de Pierre Bourgault, à la différence que ce dernier cherchait réellement à convaincre ceux qui ne pensaient pas comme lui tandis que Falardeau, lui, parlait surtout aux convaincus, leur lançant le message qu’il était possible d’être soi-même, d’habiter son corps et ses idées, que nous n’avions pas à nous cacher pour avoir des convictions ou même pour être vulgaire.

En fait, le grand combat de Falardeau, ce n’était pas tant celui de la liberté, bien qu’il a utilisé ce mot à toutes les sauces tout au long de son oeuvre, mais plutôt celui de l’identité. Celui du droit d’être soi-même, d’être un Québécois parlant en joual, sacrant, un bon vivant, se battant puis se réconciliant, un francophone, un descendant des Patriotes, un fier habitant de cette Terre et réclamant le droit d’avoir son mot à dire pour le futur de ceux qui n’aspirent qu’à avoir un petit chez-eux où vivre selon leurs convictions.

À sa façon, Falardeau nous rappelait constamment l’importance de ce vieux proverbe: « Il n’y a que deux choses que nous puissions transmettre à nos enfants : des racines et des ailes ». Dans un monde où on survalorise la réussite individuelle et où on oublie l’importance des racines, Falardeau a fait du combat identitaire pour la survie du peuple francophone d’Amérique du Nord un combat vital, actuel, nécessaire. Il nous a rappelé qu’au-delà de nos petites vies individuelles, nous participons à un combat plus grand que nous-mêmes et que nous ne sommes qu’une maille dans une grande chaîne d’idées et de valeurs. Il nous a rappelé notre devoir de mémoire et de respect des valeurs et de l’identité de ceux qui nous ont précédé.

Pierre Falardeau n’est pas mort. Il vit encore, parmi nous, dans nos têtes, dans la survivance de ces valeurs et de cette identité collective qui fait de nous un peuple unique. Est-ce que « nous vaincrons »? Difficile à dire. Une chose est certaine, pourtant: s’il y avait davantage de Falardeau au Québec, nous serions assurés qu’il y aurait encore un « nous » ayant la possibilité de vaincre dans le futur.

REP – Repose en paix Pierre Falardeau. On va les avoir, les tabarnaks.

http://louisprefontaine.com/2009/09/26/pierre-falardeau-mort

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