Beaucoup croient que le premier long-métrage de Park Chan-Wook est JSA en 2000. Le réalisateur en avait pourtant déjà signé deux dans les années 90, The Moon is the Sun’s Dream en 1992 puis Trio en 1997, qui avaient tous deux été programmés en juillet 2006 à Paris dans le cadre du coup de projecteur sur le nouveau cinéma coréen. Leur peu de renommée n’est pas si étonnante, à la vue de la qualité approximative des films, mous du genou et visuellement assez laids. Le premier est un film de gangster banal à souhait, le second, tout de même plus vif et intéressant, est le parcours comico-criminel d’un saxophoniste, un simplet et une mère célibataire. Ces deux premiers films ne laissaient en rien supposer que le cinéma de Park Chan-Wook allait faire l’effet d’une bombe dans la décennie suivante.
Park Chan-Wook est né avec ce troisième film, pionnier de l’impact du nouveau cinéma coréen, devenu le plus grand succès de l’histoire du box-office local (au moment de sa sortie, mais il a depuis été battu à son tour par plus d’un film…) avant de faire le bonheur des festivals à travers le monde, dont celui de Deauville. Alliant l’efficacité d’un suspense tendu et l’émotion d’un drame poignant, JSA prend pour cadre la fameuse DMZ, ce bout de terre séparant Corée du Nord et Corée du Sud. Une enquêtrice de l’ONU y mène les investigations concernant la mort étrange de deux gardes-frontières, l’un du Nord, l’autre du Sud. Park Chan-Wook, tout en maîtrise dans son unité de lieu, dessine avec finesse le malaise entre les nations sœurs ennemies, et l’étrange sentiment qui unit les deux peuples, sous couvert d’un suspense haletant et déchirant.
Après le triomphe JSA, Park Chan-Wook change radicalement de ton, en initiant ce qui allait devenir sa fameuse « trilogie de la vengeance ». Reconduisant en tête d’affiche Song Kang-Ho, en passe de devenir le plus grand acteur du pays, le cinéaste nous entraîne ici non pas dans un polar comme on a voulu nous le faire croire, mais dans un pur drame social. Déstabilisant à souhait, Sympathy for Mr Vengeance, ou l’histoire d’un kidnapping tournant au désastre et entraînant des conséquences incontrôlables, est d’une noirceur inimaginable. L’amertume de JSA ne pouvait laisser présager un film aussi sombre où se mêlent pègre, trafic d’organes, violence et mort. Une peinture déprimante mais profondément marquante de la société coréenne.
A la noirceur de Mr Vengeance, Park Chan-Wook surenchérit dès l’année suivante, décuplant sa virtuosité scénaristique, son sens aigu de la mise en scène, et sa remarquable direction d’acteur. Oldboy fut la bombe de l’année. Ce film qui vous attrape, vous retourne, vous meurtri, vous laisse K.O. mais immensément admiratif. Là où Mr Vengeance collait au drame social sans artifice, Oldboy s’écarte du réalisme pour s’envoler vers les cimes d’une improbabilité fascinante. Vers une violence autant psychologique que physique, qui trouve son salut dans un lyrisme renversant. Un homme est kidnappé et séquestré pendant quinze ans, sans explication. Puis relâché, sans plus d’explication. Sa recherche du « pourquoi » l’entraîne dans un dédale qui le choquera autant que nous. Le chef-d’œuvre de Park Chan-Wook, Grand Prix au Festival de Cannes.
Il eût été un exploit que le cinéaste puisse poursuivre avec une œuvre d’une intensité égale à Oldboy. Si le volet final de sa trilogie de la vengeance n’a pu réussir cet exploit, il n’en demeure pas moins un très bon film. La « lady vengeance » du titre a purgé une peine de 13 années en prison pour un meurtre d’enfant qu’elle n’a pas commis. Mais toutes ces années sous les verrous lui ont permis d’élaborer le plan de sa vengeance, à l’encontre de l’homme qu’elle sait être l’auteur du crime. Moins intense et inattendu que les deux autres volets, Lady Vengeance parvient tout de même à confirmer l’implacable technique de Park, et son souci de placer le spectateur dans un malaise indéniable face à une problématique qui met à mal la morale. Malgré la baisse de régime après Oldboy, Park Chan-Wook semblait promis à un avenir radieux.
La surprise fût de taille lorsque le réalisateur annonça ce projet : une comédie loufoque interprétée par Rain, l’idole des filles de tout le continent asiatique (voire au-delà…) de par sa carrière dans les dramas télévisés et ses performances de chanteur emblématique de la K-Pop. Après avoir espéré que Je suis un cyborg cachait quelque chose de grandiose, il a fallu accepter la réalité : le film est une incartade douce, barrée, et mineure d’un cinéaste exprimant plus facilement son talent dans la noirceur que dans la légèreté. Bourré de trouvailles visuelles, Je suis un cyborg ne laisse pas pour autant un souvenir impérissable. Heureusement, Park Chan-Wook annonçât rapidement son projet suivant : un film de vampires…
Sur le papier, le huitième long-métrage de Park Chan-Wook semblait promis à un impact à la hauteur de la réputation du cinéaste. Un pitch alléchant : un prêtre sert de cobaye (volontaire) dans un laboratoire de recherche pour développer un vaccin contre un terrible virus. L’expérimentation tourne mal, le prêtre décède… avant de revenir à la vie, insensible aux blessures, puissant, et flanqué d’un goût prononcé pour le sang de ses concitoyens. Thirst est pourtant le film le plus décevant de Park Chan-Wook (exception faite de ses deux premiers essais). Après un départ intriguant et prometteur, c’est la débandade. La promesse d’une réflexion passionnante sur le rapport d’un prêtre à sa propre morale, sa foi, ses doutes, ses pulsions premières qui reprennent le dessus, est vite diluée dans un film trop long (2h13 au compteur, il semble en durer 3), trop éparpillé, vadrouillant scénaristiquement dans tous les sens pour ne finalement retomber que bien tard sur ses pieds.Le personnage du prêtre est bientôt effacé par celui de la femme qui fait l’objet de son attention sexuelle, un personnage extravagant, parfois passionnant, mais prenant trop le pas sur l’intrigue. Park Chan-Wook n’en a pas pour autant perdu sa virtuosité de mise en scène, nous offrant aux deux tiers du film une séquence somptueuse de délectation vampirique échangée, qui aurait fait une superbe séquence finale. Prix du Jury au Festival de Cannes 2009, tout de même (étrange)...
Après un tel ratage, Park Chan-Wook ne peut que repartir vers un niveau qu’il a quitté il y a trop longtemps, l’excellence.