Mann et moi, c’est une histoire compliquée, faite d’admiration et de déceptions. Admiration parfois totale, pour le souffle épique et aventurier du Dernier des Mohicans, pour le face-à-face déjà mythique de Heat. Admiration partielle, pour sons sens de la mise en scène implacable et sa direction d’acteurs remarquable dans des films tels que Révélations ou Ali.
Depuis trois films, le cinéaste américain fait un emploi systématique de caméras HD numériques
Je redoutais au plus au point la HD pour un film tel que Public Enemies. Un film de gangster retraçant les derniers mois de John Dillinger, fameux braqueur de banques, populaire auprès des foules, dans le Chicago des années 30. Le réalisme très moderne découlant de ces prises de vue semblait peu à même de s’adapter avec perfection au sujet. Pourtant rarement l’Amérique de la Grande Dépression n’avait été dépeinte avec une telle acuité visuelle, avec un tel sens de la reconstitution. Public Enemies, à n’en pas douter, respire l’Amérique années 30 à plein nez. Le discours de Mann sur le cinéma et sur le monde qui découle du film n’en est que plus fort. Ce regard posé sur une société en plein doute, en pleine crise, qui ne sait plus reconnaitre les bons des méchants, qui ne sait plus comment considérer une justice et un ordre encore plus violent que les criminels qu’elle pourchasse.
Le discours en filigrane de Mann est l’un des points forts du film, son regard éminemment moderne sur la société en crise à travers un film de gangsters des années 30 se reflétant magnifiquement dans le miroir du monde présent.
Autour du trio, les personnages passent, presque anonymes, Mann profitant de leur grand nombre pour opérer un défilé d ‘acteurs pas forcément connus, mais tous d’irréprochables gueules de cinéma que l’on prend toujours plaisir à voir (mention spéciale à Stephen Lang en impressionnant agent fédéral épaulant Bale).
Public Enemies, que Mann le veuille ou non, est une démonstration de cinéma hautement froide. Ses personnages, qui ne sont déjà par leur traitement narratif que des ombres, se voient étrangement désacralisés par la photographie inhérente au numérique, manquant à l’évidence de chatoiement feutrant. Si ce parti pris visuel peut servir d’une certaine façon le propos réflectif sur la société en crise, il creuse le manque de satisfaction que le film inspire.
Comme toutes les œuvres de Mann, Public Enemies est une œuvre virtuose, étalant un talent cinématographique éclatant, mais ne parvenant pas à s’équilibrer, à accrocher et à emporter. Mann est un cinéaste majeur qui trop souvent ne parvient pas à réaliser un film à la hauteur de son talent. Une fois encore avec celui-ci.