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De A à X… à peu de chose près, de l’alpha à l’oméga… Faute de mariage, Aïda ne peut visiter Xavier, son amant condamné à la prison à vie. Ce sont donc ses mots qui devront faire le lien, remplacer sa voix, ses mains, ses seins… Dans ses courriers, elle raconte tout ou presque. Sur le ton de l’amoureuse qui va retrouver son homme dans la soirée, elle dépeint les malheurs des clients de la pharmacie, les nuits sur le toit à écosser des pois, les anecdotes des voisins de palier. Chaque petit rien est, sous sa plume, matière à philosopher, et surtout, prétexte à peupler la cellule n°73, comme si envoyer une lettre revenait à ouvrir grand les fenêtres, à aérer… Alors sur les ruines de la prison envolée, se construit une pagode, futur temple des amours d’Aïda et Xavier.
John Berger est, dans son dernier opus, fidèle à lui-même : lorsqu’il écrit, fusse une histoire d’amour, il ne conte pas fleurette, il milite ; ses amants sont des activistes. Xavier est incarcéré pour terrorisme et Aïda, qui a elle-même déjà fait plusieurs séjours en prison, couvre ses activités par des parties de canasta. La force qui se dégage de ses lettres, elle la tire de leur combat, cause et justification de l’absence, des cicatrices aux poignets de son “guapo” qu’elle caresse en pensée : « nous sommes dans un futur qui a déjà commencé et qui porte nos noms » (p 43). La révolution l’a propulsée avec Xavier hors du temps et les lettres ont fini le travail commencé sur les pavés. L’éternité de cet histoire n’est-elle d’ailleurs pas signifiée par la ville de la prison dans laquelle tous deux se sont enfermés (et de laquelle ils se sont échappés) : Suse ? Sur un atlas contemporain, point de Suse, à peine quelques vestiges iraniens. En revanche, dans un livre d’histoire, ce nom abrite une prestigieuse cité de l’Empire perse archéménide. Vieille comme le monde, usée par la volonté des guérilleros et par celle des soldats qui leur font face, la révolution des deux amants n’en est pas moins urgente, moderne, les quelques mots griffonnés derrière les courriers le prouvent… Un manuel politique à lire comme un poème…
” Le luth ne ressemble à aucun autre instrument, dit-elle. Dès que tu enlaces un luth, il devient un homme ! Tu joues de l’homme, ça se sent tout de suite. Tu pinces les cordes -sept, treize ou vingt et une, au choix-, et tu pinces les cordes de sa poitrine, de son cou, de ses épaules.” (p 52)
De A à X, de John Berger, Ed de l’Olivier, février 2009, 207 p. Marie BarralArticle paru dans La Boîte à sorties le 4 mars 2009