Après un séjour de plusieurs années à Paris, Loubiov Andreevna (Dominique Valadié) revient en
Si gaies soient-elles, ces retrouvailles risquent d’être bien furtives : la généreuse Loubiov a dépensé toute sa fortune auprès de son profiteur de mari ; elle rentre au pays couverte de dettes, avec pour seule perspective la vente de la propriété. La cession d’un domaine qui fut, à son apogée, un point de ralliement pour toute la contrée, en attriste bien d’autres qu’elle : ses parents, ses voisins et tous les moujiks (personnes de basse classe sociale en Russie) qui y vivent. Lophakine (Jérôme Kircher), fils et arrière petit fils de paysan devenu, par son seul labeur, très riche marchand, y est tellement attaché qu’il soumet à la propriétaire ses idées : pourquoi ne pas couper les cerisiers, implanter des logements pour les estivants et, ainsi, gagner de l’argent ?
Lophakine est un homme travailleur, expérimenté et intelligent ; sa proposition semble tenir bon mais les nobles à qui elle s’adresse n’entendent rien à ce verbiage financier. Ou plutôt ils ne font pas l’effort de le comprendre : jusqu’au bout la Cerisaie doit rester ce qu’elle a toujours été, un voluptueux lieu de vie où l’on disserte philosophie en dansant toute la nuit, où l’on profite des jardins auprès des siens… ni plus ni moins… La vendre serait mettre définitivement fin à une classe sociale, l’aristocratie terrienne, et à un siècle, le XIXème. Si professeurs et intellectuels paraîssent souhaiter les libertés qu’annoncent ce boulversement, les laquais, par la voie de Firs, s’en effraient : la servitude volontaire vaut sûrement mieux que le désordre…. La révolution pointe…
Le suicide que narre Anton Tchekhov dans sa dernière scène pièce (1904), Alain Françon le met en scène avec une élégance toute aristocratique. Ses décors d’un réalisme simple cachent une technique habile ; ils sont mis en valeur d’une manière presque spirituelle : par un bain de lumière dans lequel les comédiens évoluent avec une grâce naturelle. Jean-Paul Roussillon en laquais octogénaire, a l’air, tel un Molière, de succomber sur scène tandis que Dominique Valadié incarne Loubiov avec une fraîcheur que ne saurait lui autoriser l’âge du personnage signifiant ainsi un insouciant mode de vie. Au milieu de toute cette clarté, les tours de magie de l’exentrique gouvernante (Irina Dalle) rappellent le sujet en scène : l’illusion… L’illusion d’une classe épicurienne comme celle de la Révolution…
La Cerisaie, d’Anton Tchekhov, au théâtre de la Colline, jusqu’au 10 mai 2009, du mercredi au samedi 20h30, mardi 19h30, dim 15h30, relâche lundi, 27 euros, 19 euros le mardi, 13 euros pour les moins de 30 ans. 15 rue Malte Brun, Paris 20e, Métro Gambetta. 01 44 62 52 52. Pour réserver en ligne : http://www.3emeacte.com/colline/Seances.aspx?manif=00000000-0000-0000-0134-000000000077
Marie Barral
Article paru le 30 mars dans la boite à sorties