Le Grand Palais vient de consacrer une de ses halles à TAG, la mairie du 20e expose trois artistes majeurs de l’art urbain Mesnager, Mosko et associés, Nemo et la Maison des Métallos reçoit cet été et pour une deuxième fois Exposition 400 ml, un titre qui fait référence à la contenance standards des bombes de peintures européennes. Dans ce foisonnement, il est donc temps de se rendre aux origines du graffiti et de la peinture jouissant sur les murs, soit à la Halle Saint Pierre (Paris 18e), qui pour l’heure, et jusqu’au 28 août 2009, expose Michel Macréau.
Sans titre, Michel Macréau, 1965
Des squelettes effrayés, des mères omnipotentes et des anges sanguinolents sous des croix rouges intriguantes, le tout dans une effusion, à la peinture ou au crayon, de seins, d’os et de cordons… Voilà Michel Macréau (1935-1995) l’« hors cadre », le fils d’une mère représentante en fourrure et d’un père absent qui passait son adolescence à voguer de parents en parents ; l’homme qui après s’être fait décorateur en céramique et mari, s’installa en squatteur avec autres peintres et sculpteurs dans un château chevrotin ; le père de famille qui vivait avec les siens dans un box de voiture ; mais aussi l’artiste qui dessinait sur des sacs postaux, des draps et, à une époque où cela ne se faisait pas, sur les murs de la ville ; et le peintre qui avait abandonné le pinceau pour des douilles de pâtissiers.
C’est dans une librairie que l’adolescent à la dérive s’est converti : il tomba sur deux ouvrages, l’un sur Matisse et l’autre sur Picasso. De deux amis, le garçon n’embarqua que le premier, mais plus par manque d’argent que par volonté… il suffit de jeter un coup d’œil sur ses toiles pour le vérifier : on y retrouve les femmes picassiennes désarticulées et leurs clins d’œil nargueurs.
On y voit aussi des mères qui enfantent dans la douleur et des couples rattachés seulement par le bas du corps, ce qui, peut être, explique les amantes qui pleurent comme des boîtes à musiques déglingués… Les corps de Macréau sont sans peau, personnages de Dickens fragmentés (cf l’analyse de Siri Hustvedt) prolongement direct du monde sensible qui, naviguent (volent ou plutôt tombent) sans cesse entre l’enfer juste sous nos pieds (cf C’est loin d’ici, 1963) et un paradis à peine plus réjouissant aux vierges tentaculaires, aux anges blessés et aux Marie-Madeleines déshumanisées.
C’est loin d’ici, M. Macréau, 1963
Michel Macréau, était important dans les années 90, Basquiat l’avait présenté à la galerie Prazan Fitoussi à l’occasion de la manifestation « vingt ans après ». Aujourd’hui, le créateur est presque oublié, la belle exposition qui lui est consacrée à la Halle Saint Pierre ne dérange pas les foules. Et pourtant, avec ses têtes naïves errants dans des cimetières grinçants, sa spontanéité et sa façon de nous montrer, par l’écriture automatique, la peinture en train de se faire, Michel Macréau est effectivement un des précurseurs de la Figuration Libre (en plus d’être, et c’est lié, celui du graffiti)… Comme si, se foutant une dernière fois des cases et des institutions, préférant le cimetière des anges déchus et la pastille « Art Brut » aux étoiles de ses frères et aux signatures de Ben sur les agendas des élèves, le vagabond s’était retiré du cadre à pas feutrés après avoir pris soin d’insuffler ses idées.
La blessure de l’ange, Michel Macréau, 1987
Marie Barral
article paru dans la Boîte à sorties le 2 juin 2009