«Je suis écrivain» clamait le jeune Bernard… Ni plasticien ni historien, pas même académicien, c’est en fait en tant qu’homme de lettres que le poète Bernard Lamarche Vadel, BLV, aborde les César, les Dietman et Joseph Buys. C’est d’ailleurs pour être écrivain dans le monde, avant que pour l’art, que le jeune homme a exercé son œil et sa plume en faveur de ceux qui étaient ou devinrent ses amis.
Car le critique ne regarde pas l’art, ne le commente pas, il le fait…. Lorsque Jean-Pierre Pincemin annonce qu’il compte couper une de ses œuvres, un tableau noir et blanc, parce qu’elle est contraire à ce qu’il fait d’habitude, le critique s’insurge : cette toile a du relief, il faut la laisser telle qu’elle. Elle le sera donc, avec dessinée au dos de toile, comme signe de la volonté de l’artiste, une paire de ciseaux. La participation du critique à la création de l’œuvre se fait aussi par la création de sens. Alors que des artistes comme Erik Dietman laissent leurs œuvres «vivre d’elles-mêmes», alors que, comme le sculpteur suédois, ils ne justifient leurs travaux que par leurs intuitions et leurs capacités (j’ai fait ces grandes sculptures par ce que «j’avais envie de les faire», parce que je pouvais les faire dit Dietman), le critique est celui à qui est assigné le rôle de dire «des conneries» (Deitman toujours). De cette mission, BLV s’en accommodera avec jouissance faisant dire à Panamarenko ce que jamais il n’avait pensé, ce que, les mains et l’esprit dans le cambouis, il ne pouvait penser : le pessimisme de son œuvre… BLV démontre à un plasticien médusé - mais pas moins amusé - combien ses sculptures d’avion « n’ont pas d’intérêt pour elles mêmes », qu’elles n’ont pas de « consistance » : elles ne peuvent être mises «sur une cheminée»…
Oeuvre de Panaramenko (non exposé, indiqué seulement pour la compréhension de l’article)
D’ailleurs, le critique apprendra à l’intéressé que son œuvre n’a pas «de destinataire», ce qui fait «toute sa modernité». Elle n’est qu’un «processus», la «métaphore d’un mouvement», «de quelque chose qu’on ne peut pas voir» : l’air… Par addition d’objets, le sculpteur s’approche en fait du néant, du non sens, une réflexion qui donne un titre à l’écrivain : « l’addition soustractive ». Pas dupe, Panamarenko conclut : «Ainsi vous êtes sûr d’avoir un bon texte !»… Cela tombe bien, en commentant les œuvres, et dans la lignée de Baudelaire ou d’Oscar Wilde qui disait que la critique est une œuvre d’art en elle-même, BLV fait de la littérature.
Tandis que «l’œuvre classique présuppose des destinataires», l’œuvre moderne «présuppose l’absence de destinataire» commente BLV. Ce public dont se « fout » Dietman évincé, la modernité en art se noue dans cette relation bilatérale critique/artiste que Bernard Lamarche Vadel investit énergiquement. Puisqu’«écrire ne suffit pas» à promouvoir les peintres qu’il aime, le critique organise trois semaines durant l’accrochage de jeunes artistes : Rémi Blanchard, Catherine Viollet, Jean-Charles Blais, Hervé di Rosa, etc… (juin 1981). Avec cette exposition intitulée Finir en beauté, BLV entame sa défense de «l’art français»…. Le critique donne «matière» matérielle aux artistes et du sens à leurs œuvres tandis que ces derniers alimentent la plume de l’écrivain et lui rendent hommage par des photographies ou des portraits moins figuratifs. Ainsi pour Yvan Salomone, BLV est une citerne nourricière, tandis que Carmelo Zagari peint le critique attaqué par la justice en enfant innocent dans une luxuriante nature.
Commentateur de la modernité en art, BLV en est aussi le chasseur… Insatiable, il passe d’un style à autre, renouvelant sans cesse le panthéon de ses artistes préférés… et l’exposition du MAMVP témoigne de cette incroyable diversité : aux intellectuelles et sobres toiles des Noël Dolla, Olivier Mosset, ou Martin barré, succèdent des œuvres pop art ou le sculptural cimetière d’Erik Dietman dans lequel tous les crânes sont, en conformistes macchabées, vers le même point tournés…
L’art mol et raide ou l’épilepsisme-sismographe pour têtes épilées, Erik, Dietman, 1985-86
La peinture cohabite avec les installations et les dessins, notamment ceux de Pierre Klossowski, «tableaux lacunaires» qui complètent les images mentales créées par les lecteurs du dessinateur-écrivain. Puis dans cette myriade d’image que BLV s’est fait une profession de «regarder», de «commenter», vient la photo : Robert Frank, Sabine Weiss, Lewis Baltz, etc…
L’appréhension de Roberte, Pierre Klossowski, 1982
La géniale exposition «L’oeil du critique» peut s’appréhender comme un cabinet de curiosité où, l’esprit flâneur, le visiteur picore ce qui le tente : César, Jean-Charles Blais, Villeglé ou des analyses des œuvres de Robert Frank (dans le texte Siderations. L’atelier photographique français). A l’inverse, elle peut - et pour ce même visiteur - être source de sens, une manière de penser l’art contemporain en un système global, système tissé par le passeur-critique.
L’exposition étant très riche, nous conseillons particulièrement de lire :
- Cesar d’un bloc
- Qu’est ce que l’art français ? (notamment pour l’introduction sur l’Art Brut)
- sur la photographie : Siderations. L’atelier photographique français
Et d’écouter :
- l’entretien avec Panamarenko
- la vidéo sur l’exposition Erik Deitman (entretien entre l’artiste et BLV)
- et l’audio dans la salle petite salle où sont exposés les photographies : conférence
Marie Barral
Dans l’oeil du critique, au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 11 av du Président Wilson, Paris 16e, Métro Alma-Marceau, RER Pont de l’Alma du mar au dim de 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à la 22h, renseignements au 01 53 67 40 80. Tarif : 5 euros, TR : 3,50 euros ,Tarif jeune (13-26ans) : 2,50 euros, gratuit pour les moins de 13 ans. Jusqu’au 6 septembre 2009.
Article paru dans La Boîte à sorties le 10 juin 2009