Mal Tiempo est le nouveau roman de l’écrivain voyageur David Fauquemberg. Cette fois-ci, nous sommes à Cuba, l’île que l’on pénètre si difficilement. Pour aller au cœur de sa chaleur, de ses habitants et de son inertie, il sera question de boxe. Un sport que l’on compare volontiers à la vie : seul sur un ring, nous livrons un combat et seul l’orgueil nous en donne l’envie.
Pourtant, l’auteur nous avertit : empruntant les mots de la poétesse fascinée par la boxe, Joyce Carol Oates, il ne veut pas faire de son roman une métaphore filée de la vie : « La vie, elle, est comme la boxe (…) Mais la boxe est comme la boxe. » dit la poétesse Joyce Carol Oates. Ce ne sera pas le cas dans Mal Tiempo qui ressemble plus à une chronique sportive mais n’en est pas moins un roman psychologique. Peu importe, laquelle est la métaphore de l’autre, la boxe et la vie ont des points communs, « inquiétants ».
La métaphore semble bien inutile pour les boxeurs qui ne vivent que pour cela : leur entraînement est à ce point prenant et les privations exigées sont telles (alcool, filles) qu’elles empêchent une vie ailleurs. La boxe est la vie des boxeurs. Cela est encore plus vrai pour les boxeurs Cubains : amateurs s’entraînant comme des pros, ils veulent gagner même si cela ne leur permet pas d’accéder à une vie meilleure.
Deux boxeurs apparemment opposés : d’un côté, le champion, le talentueux et débutant Yoangel Corto, le Cubain qui aime son île et ne peut en sortir ; de l’autre, le narrateur, trente ans, abandonne le sport sans avoir vraiment réussi à percer, européen, il préfère s'enfermer sur une île, ne sachant pas vraiment comment quitter définitivement la boxe, il suit le prodige Yoangel Corto. Il sait que la boxe est le plus important dans sa vie : « J’avais tourné le dos au plus fort de ma vie. » (p.214).
On se demande aussi qu’elles sont les motivations de Yoangel Corto ; les privations sont telles et les gains de la victoire si pauvres pour les boxeurs cubains. Il n’est pas possible de ne boxer pour rien, de monter seul sur le ring. C’est pourtant dans cet esprit que Yoangel Corto boxe : il ne se bat que pour lui, il ne retire aucune fierté de ses victoires, se laisse difficilement prendre la main par l’arbitre signifiant ainsi sa victoire. Yoangel Corto est seul sur le ring comme il a pu et l’est dans la vie, abandonné par ses parents, moqué et blessé pour cela. Le but de Yoangel, là où il rejoint le narrateur réside dans cette phrase : « Corto était son propre juge, d’un geste, il récusait les autres. Il s’était libéré de l’opinion des hommes. C’était la seule issue, je le comprenais à présent. » (p.275). Il a choisi sa défaite.
L’insulaire Cuba
Pourquoi les boxeurs cubains sont-il les plus forts alors qu’ils boxent dans les plus mauvaises conditions et une perspective bien restreinte ? Cuba, l’île où l’on célèbre encore une révolution qui n’a pas eu lieu : tous les boxeurs sont noirs, les plus pauvres, ceux à qui ne s’offrent pas d’autres perspectives, comme c'est le cas de l’équipe américaine ! Les étrangers sont constamment surveillés, les fonctionnaires doivent savoir où ils résident et pourquoi ils séjournent sur l’île. Quant aux Cubains, ils sont contrôlés car l’on veut éviter la moindre interaction avec les étrangers. A plusieurs reprises, l’on mesure la contrainte que représente l’Etat, imposant une inertie au pays, un manque de perspective à ses habitants. Alors les Cubains se réconfortent comme ils peuvent constatant tout de même que ce n’était pas mieux avant : « La vie n’est pas facile… Mais c’était pire avant » (p.41).
Ce manque de perspective, le sentiment de ne pouvoir s’échapper est à coup sûr renforcer par le fait que Cuba soit une île. Yoangel ne veut pas forcément partir mais de voir le continent pour la première fois, il réalise qu’il est enfermé chez lui. C’est aussi l’image de l’historien cubain pour qui le temps ne passe pas : l’Histoire est terminée (la révolution, les idéologies) mais eux continuent à vivre sans que rien ne se passe.
"Mal Tiempo", David Fauquemberg, Fayard, 18.90€