Dans le cadre de la rédaction du Repères sur l'édition électronique que je prépare avec Marin Dacos, je tente de donner quelques exemples de modèles économiques d'édition numérique. L'éditeur de littérature scientifique Elsevier me semble intéressant à étudier. Cet exemple ne m'est pourtant pas familier. Je me permets de copier ici le passage que je compte insérer dans le livre en demandant aux lecteurs de Blogo Numericus (parmi lesquels je sais être de nombreux bibliothécaires très au fait de ces questions) de bien vouloir me signaler les erreurs que je pourrais avoir faites.
Elsevier est un bon exemple de la manière dont les entreprises dominant l'époque de l'imprimé ont su prendre le tournant du numérique, et tentent, avec difficulté, de réinventer un modèle d'affaire aussi rentable que par le passé. Fondée en 1880 à Rotterdam, la maison Elsevier a certainement su anticiper tous les tournants historiques qu'a pris le secteur des publications scientifiques : c'est d'abord, au moment de sa fondation, l'installation des revues scientifiques modernes comme support central à la communication des résultats de la recherche dans les différentes disciplines. Puis, au lendemain de la seconde guerre mondiale, du fait en particulier de l'exil depuis le début des années trente de la plupart des savants germanophones puis de l'Europe continentale entière vers les Etats-Unis, la montée en puissance de la langue anglaise comme lingua franca du monde scientifique. Dans les années 60, la société s'internationalise en s'implantant durablement aux Etats-Unis. A partir des années 80, elle entre dans le bal des fusions-acquisitions qui touchent le secteur, en avalant successivement North Holland, puis Pergamon, The Lancet, Cell Press, Academic Press, Harcourt, parmi bien d'autres, et finalement fusionner avec l'éditeur de presse professionnelle et grand public Reed pour former le groupe Reed Elsevier. Dès les années 80, Elsevier s'est intéressé à la transmission par voie électronique des articles de ses revues, vers les bibliothèques universitaires. De manière assez intéressante, il apparaît d'ailleurs que cette première expérimentation cherchait à répondre au prêt inter-bibliothèques qui, grâce à la généralisation des photocopieuses au cours de la décennie précédente, leur permettait de se répartir les abonnements aux revues. Arrivant trop tôt eu égard à la maturité des technologies de consultation sur support électronique, le projet,surnommé "Adonis" fut un échec, abandonné au bout de quelques années. Il fut suivi, dans les années 90, par le projet Tulip, un peu plus heureux, et qui déboucha en 1997, sur la mise en place d'un portail web d'accès direct à la totalité du catalogue proposé par Elsevier : Science Direct. Le service Science Direct offre aujourd'hui un accès à près de 2500 revues scientifiques, 9 millions d'articles et 6000 livres. Service à accès restreint, Science Direct s'adresse aux bibliothèques de recherche et universitaires sur souscription. Les principes de tarification adoptés par Science Direct sont d'une grande complexité, et cette complexsité est en partie due à la difficulté de gérer la transition du papier à l'électronique. Ainsi, Elsevier distingue-t-il pour son service deux systèmes différents : -un système d'abonnement, conçu comme le moyen pour une bibliothèque de continuer à acquérir les nouveaux numéros de revues dont elle possède une collection sur support papier. Dans ce cas, le prix de la licence varie en fonction du nombre de titres, des prix d'abonnements à la version papier des différents titres, mais aussi des services dont la bibliothèque veut bénéficier (droit d'archivage local, accès à des collections supplémentaires, accès aux articles sous presse) -un système d'accès, totalement indépendant du papier, qui donne droit d'accès à des « bouquets de titres », sans archivage local possible. Ici, la tarification est surtout établie en fonction du nombre d'utilisateurs déclarés et de la prévision d'usage (nombre de téléchargements) moyenne sur un an. L'éditeur a formaté son offre pour des institutions types : agences gouvernementales, petites universités, business schools, entreprises. Il doit être compris comme un « prix de gros » établi sur un nombre prévu de téléchargements d'articles, chacun d'entre eux étant d'ailleurs possible à tout internaute, sur la base d'une tarification à l'unité ( principe du « pay-per-vew »). Pour résumer, le système de tarification proposé par Elsevier balance entre une facturation sur les contenus indépendamment des usages (c'est le principe traditionnel de l'abonnement), et une facturation sur les usages de lecture, qui obéit à des principes tout différents. Le manque d'expérience de la plupart des prestataires sur ce dernier type d'offre incite à la prudence : alors que 90% des souscriptions au bouquet de revues Elsevier, se fait via Science Direct, c'est-à-dire sur support électronique, il devient de plus en plus aberrant que les tarifs des abonnement soient établis sur la base de ceux pratiqués pour la version papier. Le modèle a pourtant un énorme avantage sur tous les autres : il est pratiqué, connu depuis des décennies, et surtout...extrêmement rentable ! Ainsi pour l'année 2006, Elsevier annonçait un bénéfice de 580 millions d'euros pour un chiffre d'affaire de 2,286 milliards...