Pour la première fois de leur carrière, Arnaud et Jean-Marie Larrieu ne portent pas à l’écran un scénario issu de leur imagination fertile, mais adaptent une œuvre littéraire. En effet Les derniers jours du monde est tiré de deux romans de Dominique Noguez (1).
Nouveau départ ? Eh bien non, pas du tout ! Au contraire le film constitue une sorte d’aboutissement de leur style, de leurs obsessions et de leurs thématiques.
Il faut rappeler que leur cinéma a évolué au fil du temps, empruntant à chaque fois des chemins de traverse surprenants plutôt que de choisir la facilité du classicisme. Les amateurs de courts-métrages ont découvert les premiers ces cinéastes singuliers, à travers leurs petites chroniques intimistes, profondément ancrées dans le décor de leurs Pyrénées natales. Leur premier long-métrage, Un homme, un vrai se plaçait encore dans cette lignée, mais prenait le temps de développer les personnages et les liens qui les unissent. Il entamait aussi une thématique consacrée à la rencontre amoureuse.
Puis, avec Peindre ou faire l’amour, les Larrieu emmenaient leur œuvre vers des horizons plus coquins, abordant avec légèreté, humour et beaucoup de naturel un sujet plutôt sulfureux : l’échangisme. On retrouvait cette verve érotico-comique dans Le voyage aux Pyrénées, où une femme tentait de guérir de ses crises de nymphomanie. Mais cette fois, les deux frangins laissaient libre cours à leurs délires, transformant ce qui commençait comme une banale comédie de mœurs en œuvre totalement surréaliste.
Les derniers jours du monde se place très naturellement au croisement de toutes ces œuvres.
Le film se déroule dans un futur proche et, comme son titre l’indique, dans un climat apocalyptique : catastrophes naturelles en tout genre, virus exterminateurs, actes de barbarie, tensions entre états et menaces nucléaires, rien que ça ! Pourtant, les personnages principaux du film semblent subir les événements avec calme, profitant de cette ambiance délétère pour s’assumer pleinement, assouvir leurs désirs et jouir des dernières heures qu’il leur reste à vivre.
Prenez le personnage principal, Robinson Laborde (Mathieu Amalric). Un type au prénom bien trouvé, échoué, tel le héros de Daniel Defoe, sur île déserte mentale, victime d’un échec amoureux pour lequel il a sabordé son couple. Alors que la population s’affole, envisage toutes les options pour tenter de survivre au cataclysme annoncé, lui n’envisage aucunement de fuir. Sa seule préoccupation est de trouver quelques morceaux de papier pour écrire sur la passion dévorante qu’il a vécue avec Laetitia, une troublante beauté androgyne, désirable et insaisissable.
Finalement contraint à l’exil, il va essayer de retrouver la trace de celle qu’il aime, dans l’espoir de la revoir une dernière fois avant que le monde ne disparaisse à jamais. Son périple va le mener dans différentes villes du sud de la France et en Espagne, au gré des circonstances et des catastrophes. En chemin, il va rencontrer des personnages singuliers, frustrés par leurs relations passées et désireux de profiter de ces derniers jours pour connaître enfin l’amour, le vrai. Il y a Ombline (Catherine Frot), plaquée en pleine tourmente par un mari qu’elle n’aime plus depuis longtemps, qui aimerait bien revivre avec Robinson la passion amoureuse qui l’unissait au père de ce dernier, dont elle a longtemps été la maîtresse. Ou Chloé, l’ex-femme de Robinson (Karin Viard), jadis enfermée dans une vie routinière peu excitante, mais soudain prise d’érotomanie à l’approche de la fin du monde. Ou encore Théo (Sergi Lopez), le vieil ami, qui veut profiter de l’occasion pour bousculer les tabous et céder à un amour incestueux avec sa fille Iris (Chlotilde Hesme), la jeune fille désirant, elle, de connaître au moins une fois l’extase sexuelle avant de mourir…
En découle un scénario des plus curieux, maelström cinématographique où se télescopent variations sur le monde dans lequel nous vivons -de plus en plus anxiogène-, questionnements existentiels et plaisirs épicuriens, et où cohabitent comédie noire, tragédie, aventures et romance.
L’idée était audacieuse, et la façon avec laquelle les frères Larrieu la portent à l’écran, en toute liberté, l’est tout autant (2). Peut-être un peu trop pour ne pas diviser le public. Il y a fort à parier que, si certains spectateurs seront séduits par ce ton unique, mélange d’intime et d’universel, d’autres n’adhéreront pas du tout à ce long film (2h10) qui se soucie peu du rythme et de la vraisemblance, et qui empile des scènes de teneur inégale.
On peut être gêné par certains passages, où le jeu des acteurs globalement juste, prend subitement un côté un peu forcé, théâtral – cela vaut notamment pour les personnages de Karin Viard et de Catherine Frot, à la fois attachants et agaçants. Mais on sera aussi bouleversés par d’autres scènes, parfaitement maîtrisées, comme la sublime séquence finale.
En clair, il est difficile de donner un avis tranché sur un film aussi iconoclaste, aussi déroutant, qui s’ingénie à faire souffler le chaud et le froid sur son public.
Il est cependant certain qu’il s’agit d’une œuvre plus riche qu’il n’y paraît, permettant plusieurs lectures. Outre celle au premier degré, qui prône l’épicurisme pour faire face à un monde de plus en plus violent et angoissant, le film peut en effet être vu comme l’état psychologique d’un homme ébranlé par un échec amoureux (la rupture étant alors vécue comme un cataclysme, la fin d’un monde), un film surréaliste sur l’amour (les sentiments étant alors assimilés à des éléments naturels – cendres, flammes, eau…), ou encore la vie d’un homme qui défile devant ses yeux au moment de mourir, vision altérée par une construction onirique, guidée par ses pulsions primitives, sa mémoire et son subconscient.
Et quoi qu’il en soit, Les derniers jours du monde, porté par une mise en scène qui assume pleinement ses choix, ne peut pas laisser indifférent. A vous de vous faire votre propre avis…
Note :
(1) : « Les derniers jours du monde » de Dominique Noguez – ed. Robert Laffont et « Amour noir » du même auteur – coll. Folio – ed. Gallimard
(2) : On peut supposer que Dominique Noguez, amateur des œuvres de Duras et de cinéma expérimental, a apprécié cette adaptation.