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Glorious bavards
Publié le 27 septembre 2009 par BoustounePour apprécier le nouveau film de Quentin Tarantino, il convient tout d’abord de se débarrasser de toute idée préconçue. Assez maladroitement, toute la communication faite autour de Inglourious basterds (brèves, interviews, bande-annonce) laissait présager une sorte de remake des 12 salopards, ou du moins un film de guerre « à l’ancienne », prétexte à rendre hommage à tout un pan du cinéma de genre hollywoodien. Erreur, car si Tarantino invoque bien quelques grandes figures du film de guerre, parmi lesquelles la troupe de mercenaires du classique de Robert Aldrich, son film évolue dans des sphères complètement différentes.
Ceux qui s’attendaient à un déluge de combats virils risquent donc d’être surpris, voire déçus, par cet étrange objet filmique avare en action et en scènes guerrières, comme ils avaient pu l’être par la précédente réalisation du cinéaste, Boulevard de la mort, film d’horreur extrêmement bavard et anti-spectaculaire.
Il faut comprendre que le style du cinéaste a évolué au fil des films et des années. A ses débuts, Quentin Tarantino s’est forgé un style en dépoussiérant le cinéma de genre, remixant toutes ses influences cinématographiques - puisées autant dans les séries B hollywoodiennes, le cinéma bis européen et les films de genre asiatiques que dans le cinéma d’auteur pur et dur – au sein de structures narratives ludiques et complexes.
Déluge non-stop d’action violente et d’humour noir, multipliant les références et les hommages, Kill Bill volume 1 constituait en quelque sorte le point culminant de ce procédé. Après cela, et les deux autres réussites majeures que constituent Pulp fiction et Jackie Brown, il était difficile de persévérer dans cette voie cinématographique sans risquer de faire de la redite et de lasser le public. Alors Tarantino a décidé de changer radicalement sa mise en scène, de passer à un style plus calme, plus posé, et d’assumer pleinement le côté « bavard » de ses oeuvres. La rupture s’est produite avec Kill Bill volume 2, qui proposait déjà un rythme plus lent, une réalisation plus épurée et de longs passages dialogués. Boulevard de la mort franchissait encore une étape, avec une première moitié exclusivement dédiée aux échanges verbaux entre les personnages avant que l’action ne reprenne ses droits avec une scène horrifique très brutale et une seconde partie beaucoup plus folle, retrouvant véritablement l’ambiance des films « Grindhouse ».
Inglourious basterds va encore plus loin puisqu’il est composé quasi-exclusivement de longues scènes de dialogues, et autant de chapitres qui découpent le film. Mais ici, malgré quelques longueurs ça et là, le procédé n’est jamais ennuyeux. Mieux, c’est lui qui confère au récit son intensité dramatique et qui permet de générer le suspense. Car même s’il ne se passe pas grand-chose au cours de ces joutes verbales à fleurets mouchetés, il s’en dégage malgré tout une tension qui monte lentement, patiemment, parfois jusqu’à l’insoutenable, avant qu’une explosion de violence ne vienne libérer le public.
Pour preuve la première séquence, magistrale, qui met face-à-face un officier nazi et un fermier français suspecté de cacher des juifs. Le ton est d’abord courtois et badin, le gradé allemand se révélant étrangement affable, ayant même la délicate attention de parler à son interlocuteur dans sa langue, en français. Puis l’homme demande la permission de passer à l’anglais, qu’il maîtrise soit disant mieux. Subtile astuce de Tarantino pour se plier aux goûts du public américain, peu friand de VO, pense-t-on… Tout faux ! Si ruse il y a, c’est bien celle de l’officier nazi, qui cherche ainsi à éviter que les « invités » du fermier ne puissent comprendre qu’il les a débusqués. Car le bonhomme n’est pas un simple soldat. Il possède un flair infaillible et une volonté de fer, qu’il met au service de sa fonction de « chasseur de Juifs », comme il la qualifie lui-même.
Un type fascinant que ce colonel Hans Landa. Affable, cultivé, raffiné, mais aussi impitoyable, pourri jusqu’à la moëlle et corruptible le cas échéant. Fascinant et repoussant. Un des « méchants » de cinéma les plus ambigus que l’on ait vus depuis longtemps.
Là encore, le titre est un leurre. Plus que les « basterds », qui n’occupent qu’une place très secondaire dans l’intrigue, Hans Landa est le véritable personnage-clé du film. Le jury du 62ème festival de Cannes ne s’y est pas trompé en offrant à son interprète, Christoph Waltz, le prix d’interprétation masculine.
Il éclipse un peu les autres acteurs, pourtant tous très bons, de la sexy Diane Krüger, bel ersatz de Mata Hari, à l’excellent Michael Fassbender en officier anglais. Et même Brad Pitt ne peut rivaliser, malgré sa réjouissante performance en chef des « inglourious basterds », Aldo Raine. Une figure cartoonesque de brute épaisse affublée d’un l’inénarrable accent texan…
Certains grinceront sans doute un peu des dents en comparant le côté frustre et violent des hommes du lieutenant Raine et le charisme du colonel Landa. Une façon pour Tarantino de donner quelques coups de griffes provocateurs à ses concitoyens, en vantant une fois de plus le charme de la « Vieille Europe » et ses « petites différences ». Mais QT n’a pas viré sa cuti pour autant (rhô, le vieux jeu de mots…). Il entend bien faire triompher le camp des « gentils » et s’offre quand même un personnage positif en la personne de Shosanna Dreyfus, incarné par Mélanie Laurent, une jeune femme juive, qui a de justesse échappé aux griffes de Landa dans la fameuse séquence d’ouverture, et qui entend bien faire payer aux nazis la disparition des membres de sa famille.
Tarantino en fait une héroïne vengeresse dans la lignée de la mariée de Kill Bill, une femme à la fois vulnérable et déterminée, prête à tout pour épancher sa soif de revanche. Un parfait contrepoint à l’impitoyable officier nazi, d’autant plus attachante pour le cinéaste qu’elle est française (elle dit d’ailleurs à un moment du film « je suis française. Ici, nous respectons les réalisateurs… ») et qu’elle exerce la profession de… gérante d’un cinéma !
Ceci nous amène à parler du véritable sujet du film, qui est bel et bien le pouvoir du cinéma. Quentin Tarantino ne se contente plus de balancer ses références pour le seul plaisir du clin d’œil aux films qui le font vibrer, il revisite les techniques des maîtres du cinéma, essayant de décortiquer les mécanismes qui font qu’une scène fonctionne ou non, de jouer sur les cadrages, sur les éclairages, sur les effets de montage. Il avait déjà commencé à y travailler dans Boulevard de la mort, en s’intéressant notamment à Hitchcock et en reprenant l’astuce de Psychose, suivre de près un personnage que l’on pense central avant de le faire disparaître brutalement.
Il s’intéresse ici aux rouages du western, notamment les westerns européens de Sergio Leone (il a d’ailleurs longtemps espéré faire signer à Ennio Morricone, le compositeur-fétiche de Leone, la BO de son long-métrage) ou des œuvres comme La porte du Paradis de Michael Cimino, film auquel fait beaucoup penser la séquence inaugurale. Assemblages savants de plans fixes et d’inserts jouant sur l’étirement du temps et les silences, ce sont ces artifices de mise en scène qui permettent à Tarantino d’instaurer cette incroyable tension qui irrigue l’intégralité du récit, avec en point culminant de l’utilisation la formidable scène du bar, mettant face à face les basterds et un groupe de soldats nazis perspicaces. Il utilise aussi quelques ficelles du cinéma impressionniste, empruntant à Fritz Lang mais aussi à Henri-George Clouzot, qui s’en est beaucoup inspiré pour Le corbeau (un des films projetés par Shosanna dans son cinéma…).
La méthode fonctionne à merveille, chaque plan étant un petit bijou de mise en scène et de maîtrise du langage cinématographique.
Le film traite aussi du pouvoir manipulateur des images, évoquant, par le biais du personnage joué par Daniel Brühl, les œuvres de propagandes commanditées par Goebbels ou les films de Leni Riefenstahl. Le film dans le film, « la fierté de la nation » a été mis en image par Eli Roth – qui incarne également un des basterds dans le film, et pas des moindres… - et s’inspire beaucoup du Cuirassé Potemkine, autre film de propagande célèbre, russe celui-là…
A ce cinéma de propagande, Tarantino oppose un cinéma en totale liberté, osant mixer les genres, les références, brasser les cultures et les ethnies, recycler des musiques d’époques différentes, de styles différents et surtout, ayant l’audace de réinventer l’Histoire. Car oui, autant le dire tout de suite aux férus de véracité historique et à ceux qui ont l’habitude de chercher la petite bête dans les films, ce film n’est pas du tout pour eux ! Quentin Tarantino prend en effet quelques libertés avec les événements marquants de la seconde guerre mondiale et sa conception du débarquement est pour le moins euh… surprenante !
Pour résumer, Inglourious basterds n’est probablement pas une leçon d’histoire très académique, mais c’est assurément une sacrée leçon de cinéma, à découvrir sans appréhension dans toutes les bonnes salles obscures!
Note :