Il existe près des écluses, un bas quartier de bohémiens
Dont la belle jeunesse s'use à démêler le tien du mien
En bandes on s'y rend en voiture, ordinairement au mois d'août.
Ils disent la bonne aventure pour des piments et du vin doux.
On passe la nuit claire à boire, on danse en frappant dans ses mains.
On n'a pas le temps de le croire, il fait grand jour et c'est demain
On revient d'une seule traite, gai, sans un sou, vaguement gris
Avec des fleurs plein les charrettes, son destin dans la paume écrit.
J’ai pris la main d’ une éphémère qui m'a suivi dans ma maison.
Elle avait les yeux d'outremer elle en montrait la déraison.
Elle avait la marche légère et de longues jambes de faon
J'aimais déjà les étrangères quand j'étais un petit enfant.
Celle-ci parla vite vite de l'odeur des magnolias
Sa robe tomba tout de suite quand ma hâte la délia
En ce temps-là j'étais crédule un mot m'était promission.
Et je prenais les campanules pour les fleurs de la passion.
A chaque fois tout recommence toute musique me séduit
Et la plus banale romance m'est l'éternelle poésie.
Nous avions joué de notre âme un long jour une courte nuit
Puis au matin bonsoir madame l'amour s'achève avec la pluie.
L’étrangère de Louis Aragon (Exposition d'art américain, à Giverny, jusqu'au 31 octobre 2009)