Quand internet permet de favoriser l’accès à la culture…

Publié le 26 septembre 2009 par Boustoune

  
- Bonjour Madame. Que nous vaut l’honneur de votre visite ?
- Eh bien, j’ai autoproduit et réalisé un film qui s’appelle Sita chante le blues et je voudrais savoir si vous voulez bien le distribuer en salles ou en DVD…
- Bien, nous allons voir ça… Quel genre de film, chère Madame ?
- Un film d’animation…
- Ah ! Très bien… L’animation, ça fonctionne plutôt pas mal en ce moment. Et quel est le sujet de ce film ?
- Eh bien, j’y raconte comment mon mari m’a larguée…
- Euh… oui, c’est intéressant, ça…
- Et comme c’est arrivé parce qu’il a accepté un job dans une société basée en Inde, je fais le rapprochement entre mon histoire personnelle et un épisode du « Râmâyana » (1), la légende de la déesse Sita, qui, bien que fidèle, dévouée et aimante, a été répudiée par son mari Rama…
- Hum… C’est cela oui…
- Et puis j’ai conçu tout ça comme une comédie musicale à l’ancienne, en n’utilisant que des chansons d’Annette Hanshaw, une chanteuse de jazz des années 1920…
Là, on imagine sans peine la tête des distributeurs à qui Nina Paley est venue proposer son drôle de projet. Ils ont probablement cru être piégés par une caméra cachée ou être victimes d’une blague idiote, un peu dans l’esprit de celle qu’avait lancé Nanni Moretti dans son Journal intime en annonçant le script de son prochain film, « une comédie musicale sur la vie d’un pâtissier trotskiste… » (2).
On imagine ensuite leur réaction en découvrant le film, petit bijou d’inventivité et d’audace, fort d’un scénario malin, riche d’un visuel mêlant avec panache différentes techniques d’animation (ombres chinoises, dessin classique, animation 3D, collages,…) et porté par une bande-son entraînante. Le tout étant d’une qualité tellement irréprochable que l’on a du mal à imaginer qu’il a été réalisé par la seule Nina Paley, sur un ordinateur de bureau à peine plus puissant que la moyenne !
  
- Wow ! Madame, votre film est vraiment surprenant. Je suis prêt à le distribuer…
- Bon, il faut que je vous dise, il y a juste un petit problème. Contrairement à ce que je pensais, les chansons d’Annette Hanshaw ne sont pas tombées dans le domaine public et les ayants-droit veulent 200 000 $ pour une exploitation commerciale du film…
- Ah… Euh… Bon… Euh… On vous rappellera…
Evidemment, ils n’ont jamais rappelé…
Nina Paley a du batailler pour avoir ne serait-ce que le droit de présenter son film dans les festivals internationaux, s’acquittant au passage de la coquette somme de 5000 $. Le film a été remarqué et apprécié, glanant quelques prix de prestige, comme le grand prix du festival d’Annecy en 2008 et, la même année, une mention au palmarès de la Berlinale.
Mais elle n’a trouvé personne pour exploiter le film en salles ou en DVD. Les droits d’auteur des chansons ont refroidi tous les distributeurs potentiels. Alors, en désespoir de cause, la cinéaste a négocié avec le droit de réaliser le pressage de 4999 DVD, contre une somme forfaitaire de 50 000 $ (3). Elle a aussi décidé de mettre son film gratuitement à disposition du public, via des fichiers sur internet, laissant à chacun la liberté de diffuser le film, de le commercialiser, et de l’aider à rentrer dans ses fonds par le biais de dons généreux. Avec toujours comme limitation cette histoire ubuesque de droits d’auteur sur les chansons du film (4)…
Dans son pays d’origine, aux Etats-Unis, c’est le seul moyen de voir Sita chante le blues
   
En France, le film a fini par bénéficier d’une sortie en salles, le 12 août 2009, après de longues négociations entre le distributeur Eurozoom et les ayants droits des chansons. Un véritable parcours du combattant qui mériterait bien que vous alliez voir en salle cette petite merveille atypique.
A défaut, je vous invite à le découvrir chez vous, tranquillement installé devant votre écran d’ordinateur. Une version streaming en VO sous-titrée français est accessible sur le site de Catsuka. Sinon, il est possible d’accéder au film sous différents formats, en VO anglaise, via ce lien ou via le site officiel du film, où il est également possible d’acheter le DVD (la version collector d’origine, en quantité limitée, donc, ou les versions standard, commercialisées par de petits distributeurs) et de faire des dons à Nina Paley, pour l’aider à financer ses nouveaux projets !
 
Voilà comment un petit film d’animation autoproduit devient le symbole de la libre diffusion de la culture sur le net et la preuve que les lois sur les droits d’auteur ne sont pas toujours des plus heureuses (5).
Ca risque de ne pas faire très plaisir aux partisans de la loi Hadopi, mais c’est comme ça…
Note :

(1) : « Râmâyana » de Valmiki – coll. Pléiade Bibliothèque – éd. Gallimard
(2) : Il a fini par le faire ! C’était l’un des sketches d’Aprile, la « suite » de Journal intime
(3) : Apparemment, à partir du 5000ème exemplaire vendu, la cinéaste doit payer une surtaxe, en plus des 50 000$ déjà acquittés. Encore une subtilité des accords de droits d’auteur…
(4) : Ironie de l’histoire, le problème ne concerne pas tellement les enregistrements utilisés, dont les droits sont en plein flou juridique, mais les compositions…
(5) : Le problème est ici ridicule, puisque le film aurait permis au public de (re)découvrir les chansons d’Annette Hanshaw, artiste aujourd’hui oubliée.