C'était pourtant une opération de communication maîtrisée. Pour cette 125ème semaine de Sarkofrance, les équipes élyséennes avaient tout préparé: un sommet sur le climat, deux discours à l'ONU, une intervention à la télévision française mercredi, un Conseil de Sécurité jeudi, puis une conférence de presse à Pittsburgh. Sarkozy prenait de la hauteur. Mais voilà, ces vacarmes n'ont pas fait recette. A New York comme à Pittsburgh, le président français est apparu isolé. Et même là-bas, il a été rattrapé par des polémiques franco-françaises qui l'agacent. Un voyage raté.
Un agenda vide
C'était la plus longue absence présidentielle du territoire national: cinq longs jours hors de métropole. Même Laurence Ferrari, mercredi sur TF1, n'en revenait pas. A y regarder de plus près, Sarkozy n'avait pas grand chose à faire aux Etats Unis. Son agenda était désespéremment vide. A l'ONU, règlement oblige, ses deux interventions furent limitées à 15 minutes, comme pour n'importe quel des 140 autres chefs d'Etat qui se sont succédés à la tribune onusienne. L'intervention française a été à peine commentée par la presse étrangère, plus attirée par les provocations verbales du Colonel Kadhafi et du président iranien. Mardi soir, la belle fête organisée par l'ambassade de France pour Nicolas Sarkozy a fait jaser: 400 000 euros aux frais du contribuables pour quelques 4 000 invités. La rigueur n'est pas pour tout le monde. Sarkozy a profité de son temps libre pour voir son fils Louis, et son ex-épouse Cécilia, en compagnie de Carla.
Clearstream ou série noire
Tandis que Nicolas Sarkozy s'envolait pour New York, le procès de l’affaire Clearstream débutait enfin, ce lundi 21 septembre. Dominique de Villepin, qui n’a rien à perdre, s’est servi du hall du tribunal correctionnel de Paris pour fustiger l’acharnement de Nicolas Sarkozy à son encontre. Il attaque fort, et agace les supporters du président. Mardi, un autre témoignage, celui du beau-frère de Dominique de Villepin, est intervenu mercredi. Il nous apprend qu’Imad Lahoud, accompagné de la fille d’un agent proche de Sarkozy a tenté au printemps 2004 de subtiliser son carnet d’adresse électronique sur son ordinateur professionnel. On découvre aussi, grâce à un rapport de police, qu'Ihmad Lahoud a fréquenté des proches de Sarkozy, tels François Pérol (l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée devenu patrons des Banques Populaires et des Caisses d'Epargne), Nathalie Kosciusko-Morizet, actuelle secrétaire d'Etat à l'économie numérique, et Eric Woerth, le ministre du budget. Plus l’affaire se dévoile, plus on est tenté par une nouvelle hypothèse : depuis le premier jour des « révélations » sur ces comptes truqués, Sarkozy a choisi d’instrumentaliser l’affaire Clearstream à son profit. La "présumée victime" n'aurait-elle pas tenue un rôle plus important ?
Quarante-huit heures plus tard, un Sarkozy décomplexé par sa haine pour l’ancien premier ministre a confirmé l’accusation de Villepin en commettant un faux lapsus : « Au bout de deux ans d'enquête, deux juges indépendants ont estimé que les coupables devaient être traduits devant un tribunal correctionnel ». Tollé en France. Mêmes les parlementaires de l'UMP qui tenaient leurs "Journées" au Touquet n'ont pas caché leur trouble. Gérard Longuet, habitué des procès, a rappelé que "chacun est présumé innocent tant qu'il n'est pas définitivement condamné." Du pain béni pour la défense de Villepin. L'ancien premier ministre explique sur son blog que Sarkozy a eu tort, qu'il portera plainte, et que la Présidence fait pression sur des témoins. Les accusations sont graves. C'est aussi un coup porté à l'image d'un Sarkozy présidentiel. Vendredi soir, le monarque ne cache pas son agacement devant quelques journalistes qui l'interrogent sur cette polémique : "Honnêtement, j'ai été bien occupé ici par des dossiers extrêmement lourds. Je n'ai pas pu suivre toutes les péripéties de toute cette actualité qui, je suis sûr, sont passionnants".
Nausées françaises
A peine Sarkozy était il parti que Jean-François Copé lâche sa petite bombe : il a convaincu le gouvernement de soumettre les indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale aux victimes d’accidents du travail à l’impôt sur le revenu. Et François Fillon, comme Eric Woerth, acceptent bien volontiers. Mercredi, le ministre du budget explique qu'"il est assez naturel de fiscaliser de la même manière que les revenus du travail le revenu qui remplace le revenu".. Copé avait fournit la même explication… inique : "Lorsque vous êtes malade, en arrêt maladie, lorsque vous êtes au chômage vous payez des impôts et lorsque vous avez un accident du travail vous ne payez pas d'impôt. Il y a une injustice d'une situation par rapport à l'autre". Mercredi à la télévision, Sarkozy ne peut acquiescer. Le mal est fait.
La veille, Eric Besson avait théâtralisé l'inutile destruction des campements sauvages de sans-papiers en bordure de Calais. "La 'jungle' de Calais a été évacuée, mais l'afflux de désespérés ne fait que commencer" note The Daily Telegraph. Le ministre de l’identité nationale, s'efforce, sur toutes les ondes radiophoniques, de défendre cette intervention. La destruction s’est faite sans heurts et avec "délicatesse". Selon lui, elle ne visait à décourager les passeurs et non pas à interpeler des sans-papiers. Le lendemain, des migrants revenaient déjà sur les lieux, les doigts brûlés pour éviter d'être identifiés. la presse anglaise note que le durcissement des conditions d'asile en Europe , et notamment en France, en Italie et en Grèce, vise à décourager les clandestins de poser une demande.
Les bonus de Sarkozy
A New York, Nicolas Sarkozy avait réservé quelques minutes de son agenda pourtant vide à une interview televisée et enregistrée avec David Pujadas et Laurence Ferrari. la mine grave, le président s'est livré à son exercice favori, une succession de petites phrases et autres bons mots destinés à frapper les opinions et taire les critiques, sans contradiction ni relance de la part des deux journalistes. Depuis un an, le président français a tenté de divertir l'attention populaire. Parler bonus et paradis fiscaux plutôt que chômage, bouclier fiscal et relance. Mais cette fois-ci, le vacarme ne fait plus recette. Sarkozy s'empêtre dans ses mensonges : contrairement à ses dires, il n’a pas convaincu l’Europe d’imposer un plafonnement des bonus bancaires ; et ni les paradis fiscaux ni le secret bancaire n’ont été supprimés. La liste des « paradis » n’était pas exhaustive ; aucune sanction sérieuse n’a été définie ni validée contre les Etats récalcitrants ; et la compétition fiscale que se livrent les Etats existent bel et bien. Le malentendu est triple : Sarkozy veut faire croire qu’il agit, alors qu’il déclame. Et il déclame d’autant plus fort qu’il sait pertinemment qu’il ne pourra rien changer. Prenez un exemple national. Il est un sujet sur lequel il peut facilement agir : imposer aux banques françaises de cesser de recourir aux paradis fiscaux. Il pourrait ainsi demander à son ami et ancien conseiller économique François Pérol de lui fournir la liste des comptes « offshore » de la seconde banque française que ce dernier préside depuis la fusion des Caisses d’Epargne avec les Banques Populaires. L’avez-vous entendu réclamer des comptes ? Non, bien sûr.
Certains libéraux soulignent que l'absence de régulation financière a sans doute permis le redressement des marchés financiers. Les paradis fiscaux ou les bonus des traders sont des sujets marginaux dans la crise économique mondiale. Et même sur ces sujets symboliques, le monarque français surévalue ses résultats et sa détermination. Le décalage entre le fonds et la forme fut frappant. Les mesures "sans précédent" que la France s'est promise d'adopter contre les bonus ne sont qu'une pâle adaptation des recommandations de la FSA britannique de début août.
Sarkozy mal en point
Mercredi, Nicolas Sarkozy a bafouillé son ignorance devant 12 millions de Français, lors de son interview enregistrée et diffusée sur France 2 et TF1. Il attribue par erreur aux normes prudentielles une vertu régulatrice inexistante des bonus bancaires. Il se trompe sur les effets du CO2 sur la couche d'ozone. Jeudi, le président français est arrivé en retard, "pour cause de jogging" (dixit Kouchner), à la réunion du Conseil de Sécurité des Nations Unies, présidée par Barack Obama. Il a raté sa poignée de mains devant les photographes avec son homologue américain. Et Barack Obama en a profité pour imposer sa vision: plutôt que de fustiger l'Iran, il a dressé une nouvelle perspective. Le nucléaire militaire ne doit pas proliférer. Pour réduire les arsenaux nucléaires, Obama a solennellement demandé la conclusion d'un "traité de désarmement général et complet sous strict contrôle international" qui devra notamment prévoir l'interdiction de toute production de matériaux fissiles. Sarkozy est dépassé, marginalisé, écarté.
A Pittsburgh, Nicolas Sarkozy semblait mal en point, incapable de convaincre ses interlocuteurs sur le micro-sujet des bonus de traders. La régulation financière est d'ailleurs un sujet sont trop technique pour lui. Obama était préoccupé par ses propres enjeux nationaux. Et les dirigeants du G20 pensaient surtout à la croissance mondiale. Sarkozy est seul à s'acharner, sans réelle proposition, sur le cas de quelques bonus quand les autres pensaient relance économique.
Du sommet du G20 à Pittsburgh, Sarkozy reviendra avec un maigre trophée: l'un des G20 de 2011 sera déroulera en France... à quelques mois de l'élection présidentielle. Vendredi, il a tenté de faire bonne figure: "Un ordre nouveau apparaît".
En France, la réalité rattrape la fiction.
La consommation des ménages a baissé cet été. Christine Lagarde s’était réjoui d’un rebond en juin, confondant effet des soldes estivales et reprise économique. Sur un an, la chute est de 1,3% (dont 1,2% en juillet puis 1,0% en août pour les produits manufacturés). Jeudi, les chiffres du chômage sont tombés. Ils sont mauvais: 32 000 sans-emplois de plus. Jeudi encore, deux Rafales s'abiment en mer. Sarkozy avait annoncé trop vite qu'il en avait vendu 36 au Brésil il y a 15 jours. En fait, le constructeur Dassault espérait une réponse favorable de l'armée brésilienne courant octobre. Et vendredi, Dexia, la banque franco-belge sauvée de la faillite il y a à peine un an, annonce qu'elle va supprimer quelques 600 emplois supplémentaires. Dure réalité...
Ami sarkozyste, où es-tu ?