Magazine Cinéma
J’aime le cinéma dans sa diversité. J’apprécie quand un film m’émeut ou m’interroge. Mais j’aime aussi en prendre plein la tronche.
"Démineurs" (quel titre français réducteur comparé à "The Hurt Locker") de Kathryn Bigelow correspond parfaitement à ce concept. C’est un long métrage 100% action qui fait exploser les mirettes du spectateur. L’œuvre de la réalisatrice américaine tranche par son côté réaliste et n’hésite pas à nous montrer la guerre sous un jour nouveau, quitte à choquer.
Le sergent William James (Jeremy Renner), le sergent JT Sanborn (Anthony Mackie) et le soldat Owen Eldridge (Brian Geraghty) appartiennent à une unité de déminage qui procède à un nettoyage méthodique des quartiers populaires de Bagdad et de ses environs. Leur rotation de service sur le théâtre des opérations doit s’achever dans un mois. Leur quotidien est fait de tension, de peur et d’adrénaline.
"Démineurs" n’est pas un film sur la guerre en Irak à proprement parler. Le conflit n’est qu’une toile de fond, un lointain arrière plan. Le long métrage s’attache plutôt à suivre le quotidien d’une unité légère d’intervention qui exécute de très périlleuses missions de déminage. Leur but est de protéger les GI’s et les populations civiles des petits présents laissés par les factions politico-religieuses d’Irak (le mot "terroriste" n'est jamais prononcé).
Le long métrage débute par une séquence diablement gonflée et dopée par une mise en scène remarquablement efficace. Le ton est donné. La suite est à l’image de cette magnifique entame.
"Démineurs" séduit le spectateur par le côté réaliste qui se dégage pendant les 2 heures que durent le film. Les caméras collent littéralement à ces types ordinaires, anonymes qui se comportent comme des héros le temps d’un désamorçage. Les angles de caméra opportunément choisis permettent à Kathryn Bigelow de rendre compte de l’action avec flamboyance.
Les séquences de pyrotechnie ont l’air de sortir du cadre de l’écran de projection. Chaque explosion nous donne l’impression d’être unique. Le travail des artificiers est à souligner car ces moments sont grandioses et la technologie déployée ne bouffe pas le propos du film.
La réalisation de Kathryn Bigelow bénéficie d’un style épuré, simple mais efficace. De superbes ralentis sont placés avec soin. Les séquences nocturnes sont magnifiées par des noirs intenses et des jeux de lumières (feux) absolument magnifiques.
Le long métrage est de la dynamite au propre comme au figuré. L’adrénaline suinte à chaque image. L’action rebondit sans cesse et les situations stressantes se succèdent sans que le rythme du film mollisse.
La réussite de ce film est d’instaurer un climat qui tient la route jusqu’au bout. L’ambiance est pesante. L'atmosphère étouffante du travail de déminage est renforcée par des températures élevées et une nature hostile. Et ce travail de déminage doit surtout s’effectuer en territoire ennemi. Les militaires américains surveillent leurs arrières et prennent garde à chaque seconde aux snipers embusqués ici ou là.
La mayonnaise prend dés les premières secondes. Le spectateur est en arrêt devant le spectacle proposé et vibre à chaque instant. La réalisatrice nous surprend et nous amène là où nous nous sous y attendons le moins.
L’intérêt du film sur le fond est double.
Même si le long métrage est une œuvre de fiction qui mise énormément sur l’action, le défi est de nous montrer les soldats tels qu’ils sont dans leur quotidien.
Loin d’être des va-t-en-guerre, ces hommes sont des pères de familles, des fils, des frères qui risquent leur vie. Kathryn Bigelow ne théorise pas sur l’utilité de décisions politico-militaires prises par les gouvernants du "monde libre" ces 10 dernières années ou sur l’utilité de la présence occidentale (en l’occurrence américaine) en Irak. Les boys y sont. Point final. Elle sait éviter avec brio les démonstrations patriotiques souvent très tentantes pour les cinéastes américains.
Son film nous présente une galerie de portraits incontournables et originaux. Des soldats qui ont tous leurs faiblesses, leurs propres blessures et surtout leurs peurs.
La peur est au centre de "Démineurs". Soit elle paralyse, soit elle galvanise. Les militaires ont ce baromètre intérieur qui les guide. La peur agit comme un combustible. Le soldat Eldridge est persuadé chaque matin qu’il va mourir dans la journée. C'est quand même assez gonflé de bâtir une partie d'un long métrage avec un sentiment qui fait rarement bon ménage avec les valeurs traditionnelles de tout bon soldat qui se respecte.
Les mentalités sont peut être en train d'évoluer.
La guerre sous l’angle d’approche du déminage nous est présentée de manière simple comme une véritable drogue. Le sergent William James est un personnage emblématique à plus d’un titre. Il se révèle meilleur soldat que mari et père. La guerre finit par lui manquer. Sur le terrain il prend des risques inconsidérés aux yeux de ses camarades et trompe la mort à chaque seconde. Son travail prend parfois des airs de roulette russe à grande échelle. Sa désinvolture créée des tensions au sein de sa propre unité. Le soldat s’accomplit pleinement dans la tâche qui lui incombe : déminer un pays en guerre. Mais l’homme s’humanise dans une relation amicale avec un jeune irakien débrouillard surnommé "Beckam".
Jeremy Renner (remarqué dans "28 semaines plus tard" entre autres) est phénoménal dans ce rôle d’un démineur américain. Son jeu est plein de détachement et de passion à la fois. Son regard profond marque la caméra. Avec Anthony Mackie et Brian Geraghty, ils forment un trio équilibré, complémentaire dont l’osmose est parfaite. Leurs échanges fonctionnent admirablement bien.
La bonne idée de Kathryn Bigelow est d’avoir réduite la présence de trois têtes d’affiches (Guy Pearce, David Morse, et Ralph Fiennes) au minimum syndical.
"Démineurs" est un long métrage tonique, sacrément bien mis en scène qui n’hésite pas sans son propos à nous montrer la peur dans toutes ses dimensions. Loin d’être un long métrage de commande "à la gloire de…", l’œuvre tranche par son réalisme et sa tonalité innovante.
Un cocktail vraiment explosif et frappé du coin du bon sens cinématographique.
A voir.