Le nouveau monopole du cœur
Publié le 26 septembre 2009 par Sylvainrakotoarison
Vétéran de la vie politique, l’académicien français s’est tourné vers les arts et les lettres pour occuper sa retraite.
J’allume la télévision au hasard vers onze heures du soir ce vendredi 25 septembre 2009, et j’atterris sur France 2 et une émission de
Franz-Olivier Giesbert.
Je reconnais très vite le chuintement de l’invité principal. Le corps grand mais vieilli, courbé, un
peu étriqué dans son costume, les cernes aux yeux, les rides du visage, Valéry Giscard d’Estaing avait pris
sa tenue de vieillard. Il a quatre-vingt-trois ans et demi, ce n’est plus tout jeune.
Mais l’intellect, l’esprit, il est toujours aussi alerte, aussi pétillant, aussi intelligent. Le sourire se veut charmeur, les yeux un peu plissés
pour amadouer. Je l’ai rencontré plusieurs fois il y a déjà longtemps, et l’aspect charmeur ne m’avait pas vraiment marqué. Au contraire, intelligence certes, mais j’avais ressenti plutôt une
certaine froideur.
Ancien Président de la République, ce n’est pas rien. Il partage cette bizarrerie de la nation avec Jacques Chirac, mais lui, depuis vingt-huit ans et demi déjà. Qui
s’en souvient des personnes de moins de quarante ans ?
Aidé de l’animateur-journaliste, VGE ne peut faire que dans le nombrilisme, le retour sur lui.
Le 19 mai 1981 ? le jour de son allocution d’au revoir, la chaise vide ? Giscard regrette d’avoir mis si longtemps à sortir de sa salle,
laissant un fauteuil vide beaucoup trop longtemps. Pas de mise en scène, une maladresse de réalisateur. Pour le prouver, il rappelle que son message était de souhaiter la réussite de son
successeur vainqueur. Un message qu’il réécrirait à l’identique maintenant encore.
Mais Valéry n’est pas là pour la politique. Il est là comme académicien, écrivain, romancier.
J’entends alors VGE dire à Franz-Olivier Giesbert qu’il lit très lentement, seulement quatre pages par jour. Pour mieux retenir. J’apprécie ce
détail. Moi aussi, je lis lentement. J’adore savourer mes lectures. Je préfère sucer le chocolat, le laisser fondre sur le palais alors que d’autres le croquent, adeptes sans doute de la
lecture rapide. VGE a toujours lu quotidiennement. Pour s’endormir. Il lit en ce moment deux livres en parallèle : une biographie de Louis XIII et un livre anticlérical de la sœur de
François Ier
L’objet de l’émission arrive : son nouveau livre. Il va
bientôt sortir et certains ont déjà pu en lire quelques bribes, mais l’effervescence de sa future parution,
qui risque de porter ombrage éditorial à deux autres vétérans, Jacques Chirac et Édouard Balladur, a excité les esprits.
L’ancien Président s’amuse plus que se fâche de ceux qui le critiquent sans l’avoir lu. Effectivement. Il faut l’avoir lu avant d’en parler.
C’est son deuxième roman. On se souvient qu’il avait avoué chez Bernard Pivot qu’il aurait voulu être Maupassant. Ses ambitions littéraires
sont-elles à la hauteur de sa trajectoire politique ? Pas sûr. Il aura sans doute un problème de postérité après sa disparition. On lui reconnaîtra sans doute des innovations majeures en
politique. Mais en littérature ? Sûrement pas.
Le livre n’est pas grivois, selon lui, mais il raconte l’amour entre un Président français et une princesse britannique. Valéry Giscard d’Estaing
explique qu’il s’était beaucoup plu en compagnie de Lady Diana. Un feeling qui passait : lui le vieux
déjà, elle la jeune d’une beauté exceptionnelle (plus belle que prévue). Parmi les dialogues qu’il a eus avec elle, l’envie d’écrire un amour entre deux personnages importants, un de chaque
pays.
Sa princesse à lui, donc, c’est bien Lady Di. Il n’y a aucun
doute dessus. Mais le Président qu’il raconte, ce n’est pas lui. Le décor, il le connaît bien, il le décrit car il y était : l’Élysée, Rambouillet etc. mais le personnage, ce n’est pas
lui ; il n’est pas veuf, il n’a pas été réélu (la blessure de sa vie), et aussi, il n’est pas doux dans les relations humaines. Petit défaut qui pourrait faire preuve de fausse modestie
mais qui n’est qu’un argument supplémentaire pour convaincre son interlocuteur.
Valéry Giscard d’Estaing présente ce héros présidentiel comme l’archétype du Président français de la fin du XXe siècle. Originaire de Normandie (pourquoi pas ?), de famille bourgeoise, la bourgeoisie
notariale, et ayant fait une carrière politique classique. Et, pour bien se différencier, il cite une personnalité qui aurait pu se rapprocher de son personnage, à savoir Jean Lecanuet (lui
aussi à la postérité oubliée). En suivant bien sa présentation, la figure de Jacques Chirac me paraîtrait tout aussi convaincante, finalement…
Il est évident qu’il n’y a eu aucune aventure amoureuse entre Valéry Giscard d’Estaing et Lady Diana. Tout au plus une amitié et une complicité qui
ont rendu leurs rencontres agréables. Il le confirme, c’est un roman, rien n’est vrai, c’est une fiction.
Mais alors, pourquoi ces rumeurs sur des relations amoureuses ? Cela pourrait servir l’éditeur, la vente de son bouquin, mais cela ne semble
pas vraiment servir son auteur, cela au contraire risque de ternir l’image d’un homme politique de grande envergure qui, coincé entre De Gaulle et Mitterrand, rêve d’avoir marqué l’Histoire de
son empreinte (ce qui l’a encouragé à travailler sur le Traité constitutionnel européen).
L’impression qu’il m’en reste, c’est que des personnages politiques de ce niveau, il n’en reste peut-être plus beaucoup dans la classe politique
actuelle.
Et pourtant, en 1974, lorsqu’à quarante-huit ans, il est
arrivé au pouvoir, Valéry Giscard d’Estaing a choqué les observateurs par son comportement désacralisé autant que Nicolas Sarkozy ne les choque avec ses propres
transgressions depuis 2007 : abandon de l’habit officiel sur la photographie, visite chez les
Français, petit-déjeuner avec les éboueurs, séquence de plage devant les journalistes… Vous vous
rappelez ? il avait appelé cela… la décrispation de la vie politique française.
Cela ne lui a finalement pas beaucoup réussi.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (26 septembre 2009)
Pour aller plus loin :
La rentrée littéraire de Valéry Giscard d’Estaing.
La retraite post-présidentielle.
Deux anciens Présidents de la République.
L’âge du capitaine.
La fonction présidentielle selon Nicolas Sarkozy.
Les transgressions présidentielles.
Lady Di reçue par Giscard.
Postérité de Jacques Chirac.
Maillot de bain.
Photo officielle révolutionnaire.