J'ai rencontré Alexis Kossenko, dont j'avais inscrit dans mes coups de cœur 2006 le premier volume de son intégrale des concertos pour flûte de Carl Philip Emanuel Bach. Nous avons pu évoquer le deuxième volume de ce corpus, sorti en mai dernier, ainsi que son approche de la direction musicale. Il m'a également parlé de ses projets.
Vous nous avez fait découvrir les superbes concertos pour flûte de Carl Philipp Emanuel Bach chez Alpha en 2006. Le deuxième volume, clôturant cette intégrale est sorti en mai. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Alexis Kossenko : le deuxième volume comprend trois concertos (le concerto en la mineur Wq 166, celui en ré majeur Wq 13 ainsi que celui en la majeur Wq 168) qui sont tout aussi brillants et virtuoses que ceux du premier volume paru en 2006. Je pense que nous avons réussi, avec l'ensemble Arte dei Suonatori, à encore mieux affirmer les caractères de ces concertos, dont la variété est encore plus marquée que pour ceux du premier volume. CPE Bach est à la jonction de l'époque baroque et de celle dite classique. La forme concertante, au sens étymologique du terme, à savoir la confrontation du soliste et de l'orchestre, est encore plus marquée. En outre, chacun de ces concertos révèle un climat différent, avec de forts contrastes, et demande à chaque fois une posture spécifique (par exemple l'Allegro assai d'introduction du concerto en la mineur, d'un lyrisme fou, où la flûte se trouve littéralement envahie par une masse orchestrale impétueuse, ou, à l'opposé, le poignant Largo du concerto en la majeur, d'une expressivité extrême, annonçant les grands concertos classiques ou romantiques).
Vous assurez à la fois la partie soliste et la direction d'orchestre. Compte tenu de la virtuosité de ces concertos et de leur richesse de couleurs, j'imagine que prendre en charge ces deux fonctions n'était pas forcément facile.
A.K. : la flûte mène littéralement bataille contre un orchestre virtuose et tempétueux. Ceci m'a demandé un travail particulier sur la direction d'orchestre, avec le risque effectivement d'en négliger la partie soliste dont j'avais aussi la charge ! J'ai donc apporté un soin particulier à mettre en évidence ce dialogue marqué entre la flûte et l'orchestre afin de révéler toute la richesse d'écriture de ces concertos tout en veillant à ce que l'instrument soliste garde bien sa place dans le fil conducteur de chaque concerto.
Pouvez-vous nous parler plus précisément de votre collaboration étroite avec l'ensemble Arte dei suonatori, qui explique en grande partie la réussite de ces deux enregistrements ?
A.K. : en effet, je collabore depuis maintenant huit ans avec cet ensemble et ai la chance de travailler avec une équipe fidèle, d'une intégrité musicale exemplaire, refusant les facilités, les effets, pour ses concentrer sur un vrai travail de fond sur les phrasés, la couleur, la cohérence de l'interprétation. Cet ensemble polonais a non seulement un excellent niveau technique, mais aussi une intelligence, une sensibilité par rapport au répertoire baroque qui font qu'il a développé une véritable identité sonore. J'apprécie particulièrement de travailler avec cet ensemble.
Après vous être concentré sur des compositeurs allemands ou d'Europe centrale, vous avez démarré avec le même ensemble, un projet Vivaldi. Quelle est la spécificité de votre approche, sur un compositeur autant enregistré ?A.K. : les concertos enregistrés sont tous originellement écrits pour la flûte (seul le RV 430, quasiment inconnu des flûtistes, dans la copie de Christoph Graupner conservée à Darmstadt, est sujet à controverse. On s'interroge en effet sur le fait qu'il s'agisse d'une transcription due à Christoph Graupner. Pour ma part, je ne le crois pas. Je pense qu'il se réfère à une intention originale de Vivaldi, aujourd’hui oubliée. Certains concertos (3 issus de l’opus 10) sont déjà assez connus (comme le « Chardonneret »). En revanche les autres sont restés jusqu’à présent peu enregistrés. Pour ce projet, un peu comme pour les concertos de CPE Bach, notre sélection a été guidée par la volonté de révéler des œuvres dont les tonalités et la facture sont très différentes. Par rapport aux versions enregistrées jusqu'ici, notre volonté est de revenir à une plus grande simplicité et, surtout, au chant, au "cantabile", plutôt qu'à la virtuosité à tout prix qui est le penchant naturel que l'on peut avoir sur les concertos de Vivaldi. Parmi l'ensemble des pièces jouées, nous avons notamment sélectionné trois concertos de l'opus 10, dont celui en fa majeur que nous jouons pianissimo, avec les sourdines, afin de tenter de retrouver une délicatesse que nombre d'enregistrements récents sur Vivaldi nous ont peut-être fait oublier. Nous avons enfin beaucoup travaillé sur l'ornementation, l'articulation permettant au caractère chantant, spécifique de la flûte, de s'affirmer. Les concertos ont donc chacun leur personnalité et nous espérons faire découvrir un Vivaldi plus aérien, chantant et d'une belle simplicité. La sortie de ce disque est prévue en juin chez Alpha.
Quels sont vos autres enregistrements et projets, notamment les concerts ?
A.K. : tout d'abord, pour les disques, j'ai enregistré des concertos de Georg Philipp Telemann avec le Holland Baroque Society chez Channel Records (sortie prévue dans les prochaines semaines). J'ai particulièrement apprécié le travail réalisé avec cet ensemble musical sur cet enregistrement. J'ai également enregistré les concertos d'un compositeur français que l'on commence seulement à redécouvrir, Joseph Touchemoulin, contemporain de Mozart, élève de Tartini. J'ai réalisé ce disque déjà sorti sous le label Ramée, avec l'ensemble les Inventions, sous la direction du claveciniste Patrick Ayrton. Pour les concerts, je travaille, avec Arte dei suonatori cette fois, sur le répertoire français de la fin du XVIIème siècle, début du XVIIIème, notamment la musique pour ballets, ou des moments d'opéra de Rameau et Charpentier (en direction pure d'orchestre). Sinon, dans un autre registre, nous initions cette année une nouvelle série de représentation avec le pianiste Rémy Cardinale, le violoncelliste Emmanuel Balssa, et deux chanteurs avec qui j'aime particulièrement collaborer (la soprano Magali Léger et le baryton Alain Buet), sur le répertoire du XIXème siècle, avec des instruments d'époque. Le tout prochain est le 9 octobre au Temple du Foyer de l'Ame à Paris autour de Frédéric Chopin. Sinon, je continue à me produire dans le cadre de collaborations, aussi bien avec Emmanuel Krivin comme flûte solo de la Chambre Philharmonique, qu'avec Emmanuelle Haïm pour le Concert d'Astrée.
Carl Philipp Emanuel Bach - Concerti a flauto traverso oblogato - volume II - Alexis Kossenko (flûte et direction d'orchestre) - ensemble Arte dei Suonatori - label Alpha.
Coup de cœur du Poisson Rêveur.