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Une des dernières grandes figures de l'ultime génération surréaliste, celle de la fin des années 40, Sarane Alexandrian est mort à Paris le 11 septembre dernier, à l'âge de 82 ans. Il était né à Badgad en 1927, à la cour du roi d'Irak Fayçal Ier, dont son père était le stomatologue attitré. Arrivé en France à l'âge de 6 ans, il y découvrit avec émerveillement les écrits de Baudelaire, Bataille et Breton. "La littérature française est une littérature féérique", déclarait-il.
En 1947, assistant à la conférence de Tristan Tzara sur "le surréalisme et l'après-guerre" à la Sorbonne, il sauva André Breton d'un public rendu furieux par les protestations de ce dernier, ce qui lui assura, à tout juste 20 ans, l'entrée dans un groupe surréaliste parisien fraîchement reconstitué. Alexandria participa ainsi à l'Exposition internationale du surréalisme (sur le thème du mythe) organisée à la galerie Maeght cette même année, publiant dans la revue Fontaine un manifeste intitulé "Poésie et objectivité" qui lui valut d'être aussitôt considéré comme "le théoricien n°2 du surréalisme".
En 1948, il fonda avec Claude Tarnaud, Alain Jouffroy et Stanislas Rodanski la revue NEON (abréviation de "N'être rien Etre tout Ouvrir l'Etre Néant"), dont le titre fut suggéré par Rodanski, et qu'Alexandrian décrira plus tard comme "le premier organe surréaliste d'après-guerre, dont l'apparition souleva quelques polémiques à l'époque, parce qu'il opposait le mythe à la réalité quotidienne, la magie à la politique, l'érotisme à la religion, et le mystère de la vie à l'épaisse grossièreté du monde". Ayant lu son manifeste "L'économie politique" dans le premier numéro de NEON, André Breton écrira à Victor Brauner : "Le texte de Sarane Alexandrian est admirable, comme toujours. Je n'ai jamais cessé d'envier sa compréhension et sa manière de le traduire." Cet état de grâce ne dura pas : la même année, suite à l'exclusion du groupe surréaliste de Roberto Matta, qui entraîna celle (tout aussi injuste) de Victor Brauner, Alexandrian protesta vivement et fut à son tour déclaré persona non grata dans le mouvement.
Dès lors, dans l'orbite marginal du surréalisme, Sarane Alexandrian ne cessa d'y tracer son sillon personnel, ayant toujours estimé qu'il fallait "aller plus loin que le surréalisme", en dépasser le cadre vite étroit d'école officielle en perte de vitesse, et tracer des perspectives philosophiques ou métaphysiques bien plus ambitieuses. Tâche accomplie dans de nombreux ouvrages, comme André Breton par lui-même (1971), Le surréalisme et le rêve (1974), Histoire de la philosophie occulte (1983), Histoire de la littérature érotique (1989). Il écrivit également ses mémoires, L'aventure en soi (1990).
Sa dernière grande aventure fut la revue Supérieur Inconnu (que Breton avait vainement tenté de lancer chez Gallimard). Lancée en 1995, cette extraordinaire revue, dernier bastion du triple motto surréaliste (liberté, poésie, amour) dut s'interrompre en 2001, pour être finalement relancée en 2005. Pour en assurer le financement, Sarane Alexandrian dut vendre en 2003 l'ensemble de ses lettres (Breton, Bataille, Char, Magritte, Gracq) et livres rares. L'une des dédicaces de ses livres portait ces mots d'André Breton : "A Sarane Alexandrian dans les tropiques du coeur sa voix que j'entends : nulle ne porte plus loin, ne sonne plus juste".
Marié au peintre Madeleine Novarina (décédée en 1991), il était l'oncle du poète et dramaturge Valère Novarina. Son dernier livre, consacré aux Peintres surréalistes, venait juste de paraître aux Etats-Unis. Son faire-part de décès porte cette belle invite : "Ni fleurs, ni couronnes, ni discours - mais les Terres fortunées du songe".