Depuis que les Grecs nous l’avaient enseigné, nous avions donné l’impression d’avoir compris. Avec force et talent, Montesquieu nous l’avait rappelé : dans une démocratie digne de ce nom, la justice doit être indépendante ! Nul ne doit y souffrir la moindre pression du pouvoir sur les juges, et tout prévenu doit être présumé innocent ! Des décennies durant, la leçon a porté ses fruits. Rares sont les chefs d’État français qui ont osé porter atteinte à cette règle sacrée de notre République.
Mais voilà…
Un mot présidentiel récent nous a confirmé, si besoin était, que nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle des décisions des serviteurs de l’État dictées par l’homme que le suffrage universel a placé à la tête du pays. Notre Président nous a parlé posément de « coupables », et non de « prévenus » avant même que le tribunal ait pu entendre toutes les parties (dont il est), avant même que le dossier ait pu être examiné de façon contradictoire par les magistrats. Et ce n’est pas l’écran de fumée « lapsus » propagé par une partie de l’opinion qui changera quoi que ce soit à cette réalité terrifiante : l’un des fondements essentiels de notre vie démocratique est sérieusement bousculé, voire méprisé.
Lapsus… écran de fumée ?
Comment imaginer, en effet, qu’à ce niveau de responsabilités, un mot puisse être employé involontairement pour un autre ? Comment croire que, dans la prise de parole publique du chef de l’État, un mot puisse se substituer à un autre ? Surtout quand il s’agit, derrière le mot, de notions aussi fondamentales ! Si tel était le cas, nous pourrions tout craindre des prises de parole présidentielles en conseil des ministres, en discours officiels à des tribunes internationales, en cours de négociations diplomatiques ! Croire, aujourd’hui, au « lapsus » interdirait d’accorder quelque crédit que ce soit à quelque déclaration que ce soit ! La crédibilité de la parole de la France serait gravement remise en cause !
Curieusement, le même jour, la télévision publique en prenait pour son grade sous prétexte qu’elle ne fait pas suffisamment la part belle aux orateurs de la majorité présidentielle, qu’elle ne donnerait pas assez de volume à la voix de son maître !
Et ces déclarations concernant notre vie française intérieure ont été faites depuis… les États-Unis, en présence de nombreux autres chefs d’État et responsables politiques internationaux qui se sont sans doute bien amusés d’une telle confusion des genres. Peut-être ceux-là ont-ils pris aussi pour « lapsus » les mots présidentiels français à la tribune de l’ONU : « bonus… paradis fiscaux… justice sociale… refondation du capitalisme… écologie… »
De cette affaire qui ébranle gravement les principes vitaux de notre République, nous pouvons retenir que la fonction présidentielle, parce qu’elle porte la parole du Peuple de France, doit être parfaitement maîtrisée, qu’elle ne saurait souffrir de pulsions strictement personnelles, et qu’elle impose le choix drastique entre parler vrai et respectueux des Institutions et… propos de comptoir au Café du Commerce !
Nous pouvons nous remémorer aussi la définition que donnait Freud du « lapsus » :
Émergence de désirs inconscients !
Désir… vous avez dit « désir ? »
Lapsus… J’ai honte !