Magazine Culture
Samedi dernier, je quittais l'Armitière pleine de mots, charmée par la langue que j'avais entendu pendant près d'une heure.
J'ai pris Une année étrangère dans les mains... Chaque fois que j'ai posé le livre pour vaquer à mes occupations, je gardais en moi tous les maux de Laura et les mots de Brigitte Giraud.
Laura quitte la France pour le nord de l'Allemagne en tant que jeune fille au pair. Ebranlée par un drame familial, elle part à la conquête d'elle-même.
Cette histoire m'a parlé, j'ai utilisé le langage de Laura pendant près d'un an... Et pourtant, j'étais fille au pair,ici, en France. On oublie jamais vraiment cette impression initiale d'être un corps étranger au sein d'une organisation familiale bien souvent désorganisée.
"Je me demande qui sont ces gens qui vivent au ralenti, sans exigences et sans règles apparentes, et qui m'obligent à tout modifier en moi, mon rythme, mon énergie, mon jugement."
J'ai souri à maintes reprises en lisant ce livre car comme Laura, j'ai découvert l'album seventeen seconds des Cure durant cette année au pair même si je connaissais les Cure avant. La narratrice décrit mot pout mot ce que je ressentais
"[...] pourtant, ce qu'exprime Robert Smith dont les mots anglais ne m'arrivent que par intermittence - calling my name, somebody else, lost in a forest-, son timbre lancinant, ses hésitations, sont si étrangement familiers qu'il semble avoir mis en musique mon exact état, prolongé chacun de ses membres, incarné la densité de mon trouble de fille qui n'en finit pas d'avoir dix-sept ans."
à la seule exception que j'avais 18 ans.
J'ai souvent eu les larmes aux yeux par la force du ressenti, par la tension constante que nous impose l'auteur.
Ce que va vivre Laura n'a rien de facile, elle patauge, elle tatônne, elle semble perdue et pourtant!
Vous pourriez vous demander à quoi bon lire ce livre si ce ne sont que les aventures d'une ado en crise?
... mais ne vous le demandez pas, lisez, lisez juste...
Le flot est tellement dense, tellement puissant que l'on se met en apnée.
L'écriture de Brigitte Giraud est précise, une sorte de joyau qu'on aurait travaillé jusqu'à la perfection.
Rien n'est dû au hasard, le non-sens n'a pas sa place. L'adverbe, celui qui nuance ou qui accentue.
L'omniprésence du questionnement autour du langage, de la langue, de sa place dans la vie, de la place du mot, rendent compte de certaines obsessions de l'auteur.
A lire de toute urgence, pas de dose homéopathique, il faut abuser de cette langue.
A défaut de trouver la place idéale de Laura, Brigitte Giraud a su trouver celle de chacun de ses mots.