Ils calculent mal leur coup qui implique une retraite rapide, le conducteur de tram s'énerve et enguirlande un gamin, celui-ci panique et s'enfuit sans voir que le feu est passé au vert, il se fait écraser par une voiture.
C'est ensuite que le roman prend son ampleur. Perruchoud suit le conducteur de tram, Julius, qu'on va tenir pour responsable de cette mort. Le chauffard fautif, qui roulait trop vite, plus malin et plus socialement armé pour se défendre, s'en tire facilement: il commandite plusieurs études de spécialistes sur l'affaire et elle se contredisent évidemment, ce qui le met hors cause.
Mais Julius est un être modeste, qui va subir les contre-coups de la mort du gosse comme dans une tragédie grecque, impuissant face au destin qui lui fait perdre son travail, qui l'accuse d'avoir tenté d'acheter la mère du gosse alors qu'il voulait simplement l'aider, qui le met dans les pires ennuis alors que finalement, il n'est coupable que d'une engueulade somme toute bien naturelle, ce que le non-lieu final de la justice reconnaîtra.
Perruchoud déploie autour de cette histoire toute une société, celle des petites gens, pour qui il éprouve une sympathie sincère. Il expose leurs relations, leurs manières de communiquer, leur désarroi, leur impuissance aussi face à des forces qui les dépassent.
Son roman, servi par un métier solide (ce qui est prometteur, Non-lieu étant son deuxième livre publié), est une étude réaliste en même temps qu'un constat sur notre société. Plus particulièrement sur la tendance actuelle de toujours chercher un coupable pour chaque catastrophe, et de déverser sur ce bouc émissaire la hargne générale...
Michaël Perruchoud, Non-lieu, L'Age d'Homme, Poche suisse