... c'est ce qu'a écrit Proudhon dans ses carnets après l'échec de la Révolution de 1848. L'énonciateur du célèbre "la propriété, c'est le vol" voulait ainsi exprimer son dépit devant le fait que les révolutionnaires français, soucieux de "refaire" 1789 et 1830, avaient davantage joué la Révolution qu'ils ne l'avaient faite. C'est ainsi que la France s'était couverte de clubs, de sociétés et de banquets où les protagonistes campaient les rôles de leurs glorieux aînés : Sieyès, Mirabeau, Marat, Danton, Desmoulins, Robespierre, Saint-Just, Carnot, etc. Un ridicule bien rendu par Frédéric Moreau, le héros de L'Éducation sentimentale, qui assiste incrédule aux réunions révolutionnaires où l'on propose purement et simplement d'abolir le malheur. Pour ceux que ces évocations lointaines n'émeuvent pas, les fameuses "AG", durant la crise du CPE l'an dernier, ont donné lieu au même triste spectacle, avec des syndicalistes étudiants désireux de faire la Révolution "ici, maintenant". Le doctorant en histoire toulousain Loïc Lorent, qui n'a certes pas la même plume que Flaubert mais peut-être son ironie, a bien décrit cette mascarade dans son savoureux pamphlet, Votre Jeunesse (éd. Jean-Paul Bayol).
De façon inattendue, ces souvenirs de lecture croisés ont ressurgi à la faveur de l'élimination de la France en demi-finales de la Coupe du monde de rugby par l'Angleterre. Quel rapport ? Le lien que j'ai fait entre les deux, samedi soir, tient à cette culture de l'esbrouffe qui constitue l'un des traits majeurs de notre identité nationale, que l'on accepte cette identité ou non. Après un an de matraquage médiatique et publicitaire, avec comme idée-force le fait que le ballon ovale était le seul "sport-co" qui manquait au palmarès du sport tricolore, le XV au coq est sorti piteusement, à domicile, alors qu'il avait réussi l'exploit d'éliminer le "Brésil du rugby" néo-zélandais, une semaine plus tôt. Pour être honnête, j'avais parié sur une victoire finale des Bleus ici-même, à la veille du dernier match de préparation contre le Pays de Galles, fin août.
J'ai donc malgré moi cédé au cocorico ambiant en faisant le résultat avant même que le Mondial n'ait commencé. J'aurais dû méditer, comme nombre de Français, cette phrase de l'entraîneur de lacrosse dans American Pie, film qui m'avait beaucoup fait rire à sa sortie en 1999 (j'avais 16 ans), qui traduite en français donnait : "on n'a conclu que quand on a conclu". Ce sain adage se vérifie donc en sport comme en amour... et en politique. Bernard Laporte, qui s'apprête à entrer au gouvernement -quelle idée de l'avoir nommé avant le résultat final !-, pourra peut-être le rappeler opportunément à son président d'ami (ou son ami de président) : il ne suffit pas de dire toujours et partout que l'on réforme, il faut aussi transcrire cette volonté affichée dans les faits. Il est louable, de la part de Nicolas Sarkozy, de vouloir réconcilier la politique avec la culture du résultat, après un quart de siècle d'immobilisme résigné. Mais tant que les fruits des réformes annoncées n'auront pas été récoltés, il me semble qu'une légitime prudence s'impose.
Gore à l'imposture
J'en oublierais presque d'évoquer le bouffonesque prix Nobel de la Paix attribué à Al Gore et au GIEC vendredi dernier. Alors que le jury avait logiquement récompensé les lauréats des autres disciplines, notamment en chimie avec l'Allemand Gerhardt Ertl (pour ses travaux ayant permis des applications industrielles dans les pots catalytiques et les fertilisants, domaines d'avenir), il a choisi de faire un pied-de-nez à George W. Bush en couronnant son adversaire de 2000. L'ancien vice-président de Bill Clinton avait d'ailleurs fait de son film "contre" le réchauffement climatique une machine de guerre lancée à l'assaut du locataire actuel de la Maison Blanche. En dehors de ces basses considérations politiciennes, on ne voit pas trop ce qui a pu motiver ce choix écoeurant. Al Gore ne propose en rien une voie pour lutter contre le réchauffement climatique et en dépit de la psychose régnant dans les médias, il y a des problèmes autrement plus urgents à régler, en Irak, au Darfour, en Palestine, au Liban... certes, la paix avance peu dans ces contrées, mais il eût été plus judicieux de lui donner un coup de pouce en récompensant une ONG plutôt que de célébrer ce symbole de la bonne conscience occidentale : un politicien qui ne connaît rien aux sciences et qui glose à des fins électoralistes sur un phénomène dont on ne mesure pas encore les effets. Je ne suis pas sûr qu'Alfred Nobel, industriel épris de progrès, ait créé ces prix pour faire triompher l'irrationnalité eschatologique de quelques "fin-du-mondistes" apeurés.
Roman B.