Sandra Moussempès publie Photogénie
des ombres peintes, aux éditions Flammarion.
Un essai sur la visibilité (ce qu’écrire
ne dit pas)
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) tient une enveloppe contenant les
pièces d’un livre sur Artaud, pantalon de toile, Clarks aux pieds, il remonter
au château après une partie de cartes au bar du village
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire), s’exprime devant ses élèves, il
semble entraîné par la phrase qu’il prononce, elle imagine bien cette voix
chaleureuse, la diction parfaite
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) est allongé sur l’herbe sèche, elle
est presque dans ses bras mais suffisamment détachée pour que leurs regards
puissent se croiser
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) revient du Brésil, accompagné d’un
ami, ils sont devant l’avion, ils ont des chapeaux « panama », des
costumes sous leurs imperméables comme dans un film noir
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) et sa fille se dévisagent
paisiblement, de cette instant naîtra la notion de mémoire balistique :
comment savoir si les morts perçoivent la vie des autres ou s’ils sont reliés
de quelque manière que ce soit à ceux qui les déplorent
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) est à Pondichéry avec à ses côtés une
princesse hindoue en sari blanc ; il y a comme fondement d’un savoir
commun la reconnaissance des lieux
…
Sur ce cliché, boyard maïs au bec, pull à col roulé (un homme semblant sourire)
est assis sur des marches d’immeuble, sa fille se tient sur ses épaules, avec
une coupe à la Stone, son père agrippe ses mollets, elle l’entoure de ses bras
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) la regarde dans un halo de lumière
pâle, toujours cette bonté pénétrante, l’œil humide à cause de la fragilité du
bleu
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) avec une femme assise sur ses genoux,
c’est le soir, il a posé sa main sur sa taille, un peu en retrait avec toujours
ce sourire lointain, ces pensées ailleurs, vers quelque chose d’angélique
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) est assis à la grande table du
château, il joue aux échecs, avec devant lui des verres bleus qui renvoient la
lumière sur le bois et le sol, en haut à droite de la photo la porte donne sur
la chambre de sa fille
…
Sur ce cliché (un homme semblant sourire) est allongé dans l’herbe sèche, il
dort profondément comme il savait le faire, n’importe où pour quelques minutes,
elle chatouille son visage avec un brin d’herbe, c’est l’été 76, il semble
ailleurs, encore ce demi-sourire dans un rêve, semblant lui dire « tout ça
est un grand labyrinthe »
…
Sur ce cliché, table à tréteaux, mus épais blanchis à la chaux, cette maison du
sud appartient aux adolescents, pour quelque temps encore, l’absence d’ (un
homme semblant sourire) emplit tout l’espace
…
Sur ce cliché opaque (un homme semblant sourire) est un bébé potelé qui possède
une dimension cosmique pour la future petite fille que je fus, suspendue à son
cou.
Sandra Moussempès, Photogénie des ombres
peintes, Flammarion, 2009, p. 53.
Sandra Moussempès dans Poezibao :
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