Un livre prêté comme un objet précieux, d’une personne qui m’est chère, avec comme introduction à la lecture : « Ce livre va faire écho en toi », une angine infectée carabinée, un homme parti pour la nuit et un petit d’homme dormant paisiblement à côté, et voilà un livre dévoré, le suc me coule encore sur les lèvres.
« Les cinq quartiers de l’orange » de Joanne HARRIS
Une soixantenaire revient dans son village d’enfance avec comme seul héritage un livre de recettes de cuisine tenue par sa mère. Et voilà que défile une enfance en tant de guerre, une éducation à la dure (la maman élevaient ses enfants comme son verger avec amour sans le montrer, comme on taille les arbres fruitiers pour qu’ils donnent, à maturité, le meilleur d’eux-mêmes). De la bonne cuisine comme seuls moments de répits dans l’univers familial et entrecoupé par les malaises de la mère. Le carnet de recettes apparait alors comme une véritable clef pour comprendre les histoires internes, les secrets de famille, de village et les sentiments enfouis.
Des questionnements sur l’héritage réel, les liens mère-fille, l’innocence cruelle de l’enfance, les tragédies intimes et « historiques ». Merci Astrid de m’avoir poussée à cette lecture, incisive et pertinente pour que je tente d’arrêter de me débattre avec mon passé.
« L’un de vous aurait-il ramené des oranges dans la maison ?
Nous faisions non de la tête en silence. Les oranges étaient chose rare. Il nous était parfois arrivé d’en goûter une. Nous en apercevions de temps à autre au marché d’Angers – de grosses oranges d’Espagne à la peau épaisse criblée de fossettes et d’autres coupées en deux, à la peau fine, des sanguines venues du sud qui révélaient leur chair meurtrie toute violacée. Maman passait aussi loin que possible de ces stands comme si la simple vue des oranges la révulsait. Une aimable dame, sur le marché, un jour, nous en donna une à nous partager. Maman nous interdit de pénétrer dans la maison. Il nous fallut d’abord nous laver les mains, nous brosser jusque sous les ongles, nous les enduire d’huile de mélisse et de lavande. Et même après tout cela, elle affirma déceler encore une odeur d’orange. Elle laissa les fenêtres ouvertes pendant deux jours jusqu’à ce que l’odeur eût enfin disparu. Bien sûr, les oranges qui provoquaient ses crises n’existaient que dans son imagination. Leur odeur annonçait ses migraines et, quelques heures plus tard, elle était allongée dans l’obscurité avec un mouchoir aspergé d’huile de lavande sur le visage et ses pilules à portée de sa main. J’appris plus tard qu’il s’agissait de morphine. »
Lily, attisée, nous parle de cette lecture ici et là