Article : Ghost Dog

Par Julien Peltier

Armoire à glace, armure glacée de silence aussi, une silhouette singulière rase les murs des faubourgs, sapée comme un gamin de banlieue poussé trop vite. Cet homme cheminant sur une voie presque monastique, faite d’ascèse muette et de méditation à la bougie, c’est le « ghost dog », figure furtive que Jim Jarmusch invoque dans un envoûtant récit à la marge des codes du film urbain.


Il y avait eu le Johnny Depp de « Dead man », qui dynamitait les conventions du western pour envoyer le spectateur aux confins d’un ouest sauvage transformé en cosmos onirique. En 1999, Jarmusch s’ouvre un nouvel horizon et plante une perfusion poétique dans les veines du trip de gangsters spaghetti, bousculant au passage les rengaines complaisantes du cinéma expert en verticales de béton armé. Ici les porte-flingues déjeunent sur des carreaux vichy, et derrière leur serviette constellée de sauce tomate, les caïds transpirent plus souvent qu’à leur tour la peur et la lâcheté. Les vendeurs de glaces à l’italienne sont des rastas philanthropes – saluons à cet égard l’impeccable prestation d’Isaac de Bankolé - et les tueurs à gages des samurai égarés dont seuls les battements d’ailes des pigeons grisonnants viennent troubler la solitude.