« Monseigneur Lefebvre ? On le poussera au schisme ! » (2)

Publié le 23 septembre 2009 par Hermas

La paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours

Saint-Jean Baptiste de Nemours

            Bref, au mois de septembre je me retrouvais comme vicaire à la paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours : une très belle Basilique gothique. J’étais chargé notamment de l’aumônerie du Lycée mixte qui accueillait plus de mille élèves. Inutile de dire le désarroi des séminaristes de Sainte-Marie ! Mais ils ont maintenu le contact, malgré la distance, et sont venus me voir régulièrement. Ce qui explique la suite.

            Les paroissiens de Nemours m’ont très bien accueilli, et, très vite, des réunions de prière (avec récitation du chapelet), se sont multipliées dans des familles qui se regroupaient pour cela. Avant de prendre contact avec le Lycée, la rentrée n’était pas encore faite, j’ai reçu une visite inattendue : mon prédécesseur. Il était tout simplement venu me donner un « conseil fraternel » en me sommant de me mettre en civil, « sinon j’allais détruire tout le travail qu’il avait fait pendant des années au lycée ». Je lui ai demandé « fraternellement » de bien vouloir s’en aller, et de s’occuper de ses affaires.

            Première journée au Lycée : j’étais arrivé un peu avant l’heure dans la salle de classe qui m’était attribuée. L’heure tournait, et personne ne venait. Je pris mon chapelet et commençais à prier. Une fille d’une quinzaine d’année arrive et me déclare sans ambages : « Voilà, je vais être franche avec vous. Je viens en ambassade, envoyée par mes copains et copines. Si vous me ‘plaisez’, tous viendront. Sinon, personne ne se déplacera ».

            Je la fis asseoir, et nous avons parlé très simplement. Au bout d’une demi-heure, elle me dit : « Vous me plaisez, vous êtes ouvert, sympathique, ON viendra, toutes les classes viendront ! ». Les cours ont alors commencé, avec une affluence croissante. J’ai jugé qu’il était plus judicieux de leur demander de me poser les questions qui les préoccupaient, qui les intéressaient. Et nous avons eu de bonnes conversations, au cours desquelles j’ai pu me rendre compte ( déjà !) de leur ignorance religieuse complète !

            La glace a vite été brisée. J’attendais une question qui vint au bout de deux mois : « Pourquoi portez-vous la soutane ? ». C’était évident. J’ai expliqué. Et voici ce que me répondit la jeune fille qui était venue en ambassadrice : « Mon Père, vous nous plaisez, et vous n’êtes pas ce qu’on nous avait dit de vous. Le précédent aumônier nous avait averti qu’il allait être changé, et que son successeur serait un prêtre en soutane, aux idées arriérées, et qu’il serait bon de boycotter’ ses cours, de ne pas y assister, pour lui donner une leçon. On a vu que ce qu’il nous avait dit de vous n’était pas vrai, et, je dois vous dire que tous mes copains et copines sont contents de la manière dont vous leur présentez la religion, de la manière avec laquelle vous répondez aux questions que nous nous posons dans notre vie. Vous êtes un prêtre moderne et qui croit à ce qu’il fait. Vous nous plaisez ! ». Je n’en revenais pas !

Paroles de jeunes !

Au mois de mai 1969, il y eut un sursaut du mois de mai 1968 : le Lycée était fermé, bloqué par un piquet de grève composé d’étudiants et d’élèves. Je suis allé quand même au lycée, en garant ma voiture à l’extérieur. Devant le piquet, l’un me dit : « Nous sommes en grève, il n’y a pas de cours ». Je lui réponds : « Je ne fais pas de cours, je parle de religion, de Dieu, et je ne suis pas payé pour cela ! ». « Oui, c’est vrai, répond un autre : laisse-le entrer, lui, ce n’est pas pareil ! » Et j’ai fait cours, la seule salle de classe éclairée, des jeunes grévistes ayant même quitté le piquet de grève pour venir assister au « cours ». Un groupe de surveillance de la grève, voyant une salle de cours éclairée, se présente pour faire respecter l’ordre de grève : « Oh, excusez-vous ! Vous, ce n’est pas pareil. Et surtout, ne partez pas, car après cette heure de cours, c’est notre tour ! ».

            Quelques semaines auparavant, en revenant du Lycée, j’avais eu une surprise. Sur le palier, devant la porte de mon appartement au presbytère, quelqu’un m’attendait. C’était Mgr Ménager, l’Evêque ! Il était venu tout exprès de Meaux, en 2 CV pour me voir, pour me parler. Je le fis entrer. Mais, avant de commencer notre conversation, je lui dis : « Monseigneur, je dois tout d’abord vous poser une question : entre vous et le Père Lherbier, il y a un menteur : l’un qui m’a dit que j’allais être changé, et l’autre qui m’a dit qu’il n’en était pas question ? Qui est le menteur ? ».

« C’est vrai, me dit Mgr Ménager : je ne voulais pas vous changer, et j’ai eu tort de céder aux pressions de certains prêtres de Sainte-Marie, et le Père Lherbier aussi, c’est un faible, vous le connaissez bien. Vous y faisiez du bon travail. Selon ce que je vous avais demandé !. Vraiment je regrette ! ». Je lui demande alors la raison de sa visite qui m’honorait. Il me fit part de sa grande préoccupation à propos de mon ministère auprès des jeunes… parce que je continuais à porter la soutane. N’y avaient-il pas d’autres problèmes plus importants dans le Diocèse, au petit séminaire déjà ? Faire 200 kms aller et retour pour cela !

            La Providence est bonne : j’avais trouvé les cahiers de présence aux cours de religion, laissés par mon prédécesseur. J’avais préparé moi aussi un cahier des présences. Il y avait deux courbes opposées. L’une, descendante, tous au long des mois. L’autre ascendante, en augmentation régulière, avec une participation jamais atteinte par mon prédécesseur. Devant ces faits indéniables, Mgr Ménager ne sut que me répondre : « Je vous fais confiance, mais soyez prudent ! ».

Parole d’Evêque.

            Le Clergé du Doyenné : Je dois être bref, là aussi, car on pourrait écrire un roman, un drame plutôt. Un exemple suffit pour montrer l’accueil dont j’ai été l’objet de la part de mes « confères » dans le Sacerdoce. Il y avait chaque mois un réunion de Doyenné, le Doyen étant le Curé de ma paroisse. Puis, nous nous retrouvions au restaurant pour un dîner « amical ». Au cours du deuxième dîner, donc peu de temps après mon arrivée, le prêtres d’une paroisse voisine me dit, à table, devant tout le monde : « Tant que tu auras la soutane, la porte de mon presbytère t’est fermée ». je lui répondis : « Sois tranquille, je ne veux pas prendre ton virus progressiste ! ». Un autre renchérit, et j’ai honte pour lui, aujourd’hui encore, et il me dit en haussant la voix : « Quand je te vois habillé avec ta robe, habillé en femme, j’ai envie de coucher avec toi ! ».

Un grand silence ! Je réponds à haute voix : « Tu es un beau salaud et un gros porc ! ». Puis, je me suis levé, et suis parti.. Je n’ai plus jamais assisté à aucune de leurs réunions. Le Doyen ne m’a jamais parlé ensuite de cet incident. Je me suis dit : « Qui ne dit mot, consent ».

            Le Séminaire de Saint-Sulpice, le Petit-Séminaire Sainte Marie de Meaux, le ministère pastoral à la paroisse Saint Jean Baptiste de Nemours présentaient un point commun, que je ressentais de plus en plus vivement au plus profond de moi-même. La « théologie nouvelle » présentée par les prêtres dans les catéchismes et dans les homélies, la célébration des Saints Mystères, la perte du sens du sacré, de la nécessité de la Confession, la perte progressive et uniformément accélérée de la conscience de la nature du prêtre et du Sacerdoce, sa « laïcisation » complète par le passage de la soutane au clergyman qui n’a été qu’une étape très brève vers l’habit civil, le « sens nouveau » de la Messe, considérée comme une Assemblée, un repas fraternel, avec l’introduction de la Sainte Communion dans la main surtout, la perte, voire même le mépris des dévotions habituelles de la vie chrétienne, comme l’Adoration du Saint-Sacrement, les Processions, la récitation du Chapelet, le Mois de Marie, le Mois de Saint Joseph, le Mois du Sacré-Cœur, le Mois du Rosaire, le Chemin de Croix : en bref, tout ce qui avait sanctifié les générations et les générations qui nous précédés, tout cela était « jeté aux orties ». C’était prendre à la lettre l’Ecriture qui dit « Et voilà que je fais toutes choses nouvelles ».

            Ce que je ressentais, en conséquence, c’était que, pour un prêtre « catholique », il n’était pas possible, il n’était plus possible de rester en France, non pas à cause des fidèles, mais en raison du rejet fait par les prêtres et par les religieuses, de tout ce qui leur semblait être « d’avant LE Concile ».

Et ce que je ressentais alors, me fut confirmé quelques années plus tard (j’anticipe), en 1974 : J’avais quitté Ecône, convaincu depuis le mois de novembre 1972 que Monseigneur Lefebvre, malgré lui (? cf. ci-dessous), en arriverait à consacrer des Evêques. Et, mon départ avait été aussi le début du départ de plusieurs séminaristes d’Ecône, pour les mêmes raisons. Avec cette différence : j’étais prêtre. Ils n’étaient que séminaristes et, séminaristes d’Ecône, ils n’étaient rien. En effet, après avoir pris contact avec mon Evêque, Mgr Louis Kuehn, Evêque de Meaux, successeur de Mgr Ménager, pour lui dire que le temps était venu pour moi de reprendre un ministère pastoral dans mon Diocèse d’incardination, même une simple paroisse de campagne de 500 habitants, j’obtins cette réponse : « Il n’en est pas question : vous y feriez un pèlerinage d’intégristes » !

Mgr Louis Kuehn

            J’ouvre une petite parenthèse, intéressante : l’Evêque de Meaux refusait de me donner un ministère dans « mon » Diocèse. Mais, le 25 mars 1979 (j’étais alors à Rome depuis 1974, cf. ci-dessous), le Pape Jean Paul II fit une visite Pastorale à la Paroisse de Sainte Croix en Jérusalem, paroisse où les séminaristes sortis d’Ecône et moi-même étions hébergés. Son Excellence Mgr Martin, alors Préfet de la Maison Pontificale (le futur Cardinal Jacques Martin), qui m’honorait de son amitié, et protégeait ces jeunes, nous fit placer devant la porte de la Sacristie, pour être sûrs que nous rencontrions le Saint-Père, car nous n’avions pas été prévus dans la programme des rencontres avec le Saint-Père !

            Et pour cause lors du déjeuner au Vatican, en préparation à la visite à la Basilique de Sainte Croix en Jérusalem, le Pape Jean Paul II avait interrogé le Curé de la paroisse, le Père Paolo, Cistercien sur le groupe « d’intégristes » qui se trouvaient en pension au Couvent Cistercien (qui me l’a raconté ensuite) : « ON » avait mis en garde le Saint-Père contre les anciens séminaristes d’Ecône, les « transfuges », et contre le prêtre qui les accompagnait, ancien Directeur d’Ecône, et qui célébrait chaque matin la Messe de Saint Pie V pour eux dans la Chapelle des Reliques de la Sainte Croix (devant l’écriteau en trois langues, vu par la Sainte Vierge) : il fallait se méfier d’eux, car ils ne pouvaient qu’être contre le Concile en désobéissant ainsi au Pape !

            Et de fait, pendant la Messe, le Saint-Père nous dévisagea avec son regard scrutateur, mais bienveillant, se demandant certainement où était la vérité.

            Avant la Messe, étant donné que le groupe des séminaristes assurait les chants en grégorien, et que nous devions recevoir la Sainte Communion des mains mêmes du Saint-Père, Monseigneur Noë, alors Maître des Cérémonies Pontificales, s’adressa à nous à ce sujet, en nous disant qu’il « était interdit de faire la génuflexion avant de recevoir la Sainte Communion ». Devenu Cardinal, puis Archiprêtre de la Basilique Saint-Pierre, il interdisait toute célébration privée de la Messe de Saint Pie V même aux prêtres qui avaient l’indult ou le « celebret » ! (à suivre)

Mgr Jacques Masson