A chaque fois qu’un spécialiste parle ou écrit, s’il s’emporte dans sa technocratie et nous bombarde de mots savants ou incompréhensibles pour le commun des mortels, c’est de la «bullshit»! Le jargon technique, lorsqu’il est présenté au public ne sert qu’à l’hypnotiser ou pire, à le tromper. Dans l’art de créer des documents remplis de mots vides de sens, il n’y a pas que les vérificateurs généraux qui ont du talent. Les financières sont les championnes de la foutaise. Elles peuvent aussi présenter des documents de 170 pages dont seulement 2 paragraphes ont de l’importance.
On entend parfois dire que les Canadiens et particulièrement les Québécois sont des analphabètes financiers. Faux! On ne leur parle simplement pas leur langue. On nous noie dans un océan de phrases creuses qui ne mènent nulle part. Hier, malgré mes 14 ans dans l’industrie, je m’arrachais les yeux dans un document d’une compagnie d’assurance. Je cherchais juste à savoir si le capital d’un investisseur dans un tel produit de placement était garanti ou non.
Après 15 minutes de recherche, j’ai finalement trouvé que le capital investi est garanti à 75% à l’échéance du contrat. Ah bon! Mais, c’est quand l’échéance? Nouvelle recherche. 5 minutes plus tard, je saisis: «Les contrats de polices stipulés de rentes variables seront habituellement à maturité au 100e anniversaire du titulaire». Simonac! Ça ne vous tentait pas de l’écrire simplement? Comme: à 100 ans, si t’es toujours en vie, on va te redonner 75% de ton argent! Pourquoi appeler un chat: Felis silvestris catus quand on peut l’appeler CHAT! …Et se faire comprendre!
Pour des raisons de marketing, ils ne le peuvent tout simplement pas. Dire les choses simplement, tout en passant des messages légaux et avertissements serait rébarbatif et limiterait les ventes. Alors, on demande aux avocats de pondre une brique illisible qui va aller directement dans le bac à recyclage! Pis, remarquez que parce que le contentieux a fait rédiger à grands frais les termes du contrat, les frais d’administration gonflent outrageusement la facture finale. Tout ça, dans le but de ne pas bien se faire comprendre… mais de fournir les avis légaux! Comprenez-vous? Bullshit!
Dans le mensuel Finance et Investissement, le journaliste Jean-Francois Parent a soulevé des passages de l’ouvrage «Why business people speak like idiots (Tantor Media éditeur, 2005). On y souligne que l’habitude «d’utiliser des phrases obscures dans un jargon difficilement compréhensible repose sur l’idée qu’il ne faut rien promettre, et surtout ne rien dire clairement.»
Parent soulève de son côté que nos institutions pimentent leurs rapports de mots à la mode… sans qu’on parvienne à saisir le message:
«Prenez » Stratégie » et l’adjectif qui en dérive. Ainsi, dans le rapport annuel du Mouvement Desjardins, les jeunes sont un enjeu stratégique, alors que le développement stratégique du Mouvement passe par les caisses et qu’un plan stratégique, une réflexion stratégique et un développement stratégique sont à l’étude.
La Banque Nationale n’est pas en reste. Dans son rapport annuel, on lit qu’elle a obtenu des conseils stratégiques, qu’un bureau d’initiatives stratégiques s’occupe des orientations stratégiques culminant dans des acquisitions stratégiques et permettant de s’en tenir au plan stratégique, qui aura un impact stratégique.»
Brian Fugere, Chelsea Hardaway, et Jon Warshawsky sont les auteurs de Why business people speak like idiots. Ils sont maintenant partis en mission, avec le but avoué de combattre la bullshit sous toutes ses formes. L’abus de jargon technique dans les documents destinés au public est une plaie sociale et il faut l’éliminer. C’est pourquoi ils ont créé le «BullShit Detector» et l’indice composite de Bullshit. Vous pouvez même télécharger le logiciel gratuit Bullfighter.
Partant du principe qu’un lecteur ne se rappelle qu’environ 12 mots par phrase. Les rédacteurs de rapports et de manuels qui cherchent à tromper le public garnissent plutôt les leurs de plus de 25 mots. Fugere, Hardaway et Warshawsky ont donc créé un outil de détection de l’obscurité des communications. En intégrant le nombre de mots complexes, la longueur des phrases et leur clarté, on obtient un pointage. Plus le résultat s’approche de 10, plus facile en sera la compréhension par une vaste majorité.
Jean-François Parent a eu la bonne idée de tester les documents de fonds de placement de nos grandes financières. Très peu s’approchent de 5. On remarque que les prospectus des fonds d’obligations de la BMO, de Manuvie et d’Industrielle-Alliance affichent un médiocre résultat de 3,6. Mais, on ne peut que se surprendre de constater que même des documents de l’AMF ne parviennent pas à dépasser la note de 4 sur 10!
Protégeons l’investisseur…sans se faire comprendre!