LIRE EN GERMANIE ( suite )

Par Abarguillet

Un moment de lecture avec la famille Mann

Je ne pouvais passer par l’Allemagne sans faire référence à la famille Mann, Thomas et Heinrich les deux frères et Klaus le fils de Thomas) qui a tellement marqué la littérature allemande dans la première moitié du XX° siècle quand elle était encore très brillante malgré les conditions très difficiles qu’elle subissait. J’ai eu la chance de croiser ces trois auteurs au cours de mes lectures et, même si elles sont déjà anciennes, elles restent comme trois moments importants dans ma construction intellectuelle, culturelle et humaniste. Si Thomas a mis un certain temps a affiché son opposition au régime dictatorial, son frère et son fils ont embouché les trompettes de la révolte beaucoup plus prestement et j’ai eu la chance de faire des lectures qui ne laissent aucune ambigüité à ce sujet. Pour évoquer ces monstres de la littérature germanique, j’ai choisi Erich Maria Remarque que j’ai découvert quand j’étais adolescent et qui m’est revenu très clairement en mémoire quand j’ai lu, il y a quelques années, « Le feu » de Barbusse. C’était là aussi pour l’adolescent que j’étais alors une lecture fondatrice de ma conscience.

 

A l’Ouest rien de nouveau

Erich Maria Remarque

Encore un livre sur la guerre, sur l’atrocité de la guerre, non, peut-être pas, mais plutôt le livre sur la guerre, celle de 1914-1918, vue du côté allemand, qui vaudra bien des ennuis à son auteur quand les va-t-en-guerre reprendront du poil de la bête et rêveront à nouveau d’en découdre.

Remarque plonge ses lecteurs au cœur de la plus grande boucherie que l’humanité a connu sans aucune complaisance. Pas une seule goutte de sang n’est épargnée, aucun morceau de tripes sortant d’un ventre perforé n’est passé sous silence, pas plus que les débris de chair sanguinolents ou les bouts de membres détachés des corps. Toute l’horreur de la guerre au corps à corps, ou à coups de canons, est étalée minutieusement, exposée intentionnellement pour bien montrer tout ce que cette guerre absurde a coûté à l’humanité.

Et plus loin encore, au creux de l’horreur même, le héros, du roman raconte comment il a assassiné son premier ennemi et tout le temps qu’il a passé à côté de lui pendant qu’il agonisait et que lui aussi souffrait et agonisait dans ce trou.

Que dire après avoir lu ce livre ? Que la guerre existe encore et qu'elle existera toujours ? Que l'homme décidément est profondément mauvais ? Ou peut-être comme le craignait Henri Barbusse - dont "Le feu" est moins célèbre que le livre de Remarque mais tout aussi puissant et éloquent sur le sujet - qu'on ne peut pas décrire l'inconcevable, que les hommes ne sont pas aptes à admettre l'horreur quand elle dépasse un certain degré ce qui facilite bien la tâche et le succès des révisionnistes ou autres négationnistes de tout poil..

Les Buddenbrook de Thomas Mann  ( 1875 - 1955 )

Mon premier contact avec les Buddenbrook ne fut pas fameux car c’est un extrait de la toute fin de ce roman que je devais présenter à l’oral du baccalauréat mais comme j’avais fait l’impasse sur cette matière … Tout cela n’est que de l’histoire très ancienne qui m’a fait sourire quand j’ai lu, beaucoup plus tard, ce vaste roman de Thomas Mann qui lui valut sans doute une bonne partie de son Prix Nobel de littérature.

Ce roman, c’est la saga d’une famille commerçante sur les rives de la Baltique, à Lübeck, de 1800 à 1875, depuis la création de la maison de commerce jusqu’à son déclin et même sa déchéance Thomas Mann y définit le schéma de la vie des grandes maisons d’affaires : le père fondateur, le fils développeur et les petits-fils qui ruinent tout le travail accompli par leurs devanciers. Ce grand classique de la littérature allemande est peut-être aussi une façon pour Thomas Mann d’évoquer tous les changements qui affectent l’Allemagne au début du siècle dernier et d’exprimer les inquiétudes qu’il ressent face à la montée de nouvelles forces.

Le sujet de l’empereur de Heinrich Mann  ( 1871 - 1950 )

Ce roman écrit dès 1914, mais publié seulement en 1918, après le conflit mondial, met en scène un bourgeois allemand, parfait sujet de l’empereur, qui se plie à toutes les exigences du pouvoir et en rajoute même pour se faire bien voir et en tirer quelques profits qui lui permettront de pavaner en société. Ce bourgeois est l’incarnation de la puissance soumise au pouvoir impérial et porteuse du nationalisme allemand. Ce qui m’a le plus frappé dans cette lecture est de constaté que, dès 1914, Heinrich Mann dressait déjà le portrait de cette bourgeoisie allemande qui allait soutenir Hitler pour en tirer des profits conséquents et pour satisfaire son orgueil nationaliste. Une grande œuvre lucide et visionnaire qui fut, évidemment, fort critiqué par de nombreux concitoyens et n’obtint pas le succès qu’elle méritait. Beaucoup plus tard, Martin Walser peindra, lui aussi, cette société allemande de l’avant 1939 avec ses aspirations et ses ambitions peu scrupuleuses et il recevra, lui aussi, du bois vert et pourtant … c’était en 1998 !

Mephisto de Klaus Mann  ( 1906 - 1949 )

Klaus Mann est le fils de Thomas Mann et contrairement à son père, il a rapidement dénoncé le régime nationaliste, a quitté l’Allemagne dès 1933 et fut déchu de la nationalité allemande en 1935. Mais, il eut de gros problèmes avec la drogue et il finit par se suicider en 1949. Son œuvre littéraire ne connut la notoriété qu’après sa mort, et même un peu plus tard, car, notamment dans « Mephisto » il présente les Allemands comme les survivants ne souhaitaient pas qu’on les considère. « Mephisto », c’est l’histoire d’un acteur profondément égoïste qui ne pense qu’à sa réussite, avec en toile de fond la montée en puissance du national socialisme. Et, cet acteur imbu de lui-même restera dans le camp des nazis pour conserver son aura comme de nombreux Allemands qui n’ont pas osé s’opposer à Hitler pour conserver leur confort ou ne pas s’exposer. L’héritage de son père était trop lourd pour Klaus et il fallut que l’histoire fasse son œuvre et que celle du père vieillissent un peu pour qu’on découvre celle du fils, plus sensuelle, pas mal écorchée, et quelque peu incertaine, comme lui qui chercha la fuite dans la drogue et des pratiques sexuelles plutôt marginales.