Embarquement pour chimères par Francine Courchesne

Publié le 30 juillet 2009 par Paule @patty0green

Photographie : Franchine Courchesne
Si vous passez dans les alentours de Québec pendant vos vacances, je vous suggère de visiter un petit site de Land Art tout à fait charmant qui se trouve à proximité de la capitale. En effet, plusieurs artistes ont façonné le paysage du parc Riverain de la rivière Boyer à Saint-Charles. Le soir du vernissage, les œuvres étaient sculptées par un éclairage spécial (comme en témoigne la photographie ci-dessus). Une petite pancarte, toute modeste et qui donne l'impression que vous êtes les premiers à avoir découvert le site, se trouve à l'entrée du parc. Mais faites vite, car la nature y engouffre rapidement les interventions humaines!

Photographie : Paule Mackrous
Je m'attarderai ici à l'œuvre de Francine Courchesne Embarquement pour chimères, cette "flottille de trois bateaux transportant des cargaisons légères et éphémères" prête à quitter la rive pour les méandres de votre imagination.
Le Land Art permet au phénomène extraordinaire de l'absence de frontière entre l'art et la vie de prendre son ampleur. Le paysage est toujours dans l'œil humain. Il est déjà, en quelque sorte, un acte de représentation. Œuvrer à même le paysage, c'est travailler l'illusion de paysage jusqu'à la faire éclore. Dès l'instant où l'on prend conscience qu'il y eut, là où nous nous trouvons, une intervention humaine, on cherche partout la main humaine, jusqu'à l'apercevoir même là où, en réalité, elle n'a rien effleuré. Je crois qu'on cherche surtout une forme d'harmonie et "harmonie" rime avec "signification". L'interprétation devient rapidement surdéterminée et ponctuée d'étrangetés, un peu à la manière des personnages de Cosmos de Gombrovitch. En tant que visiteur du site, nous devenons de tels personnages circulant dans un espace-temps fictif.
Si, avec (et non devant) une œuvre comme Embarquement pour chimères, on arrive soudainement à saisir l'emprise de l'imaginaire sur nos perceptions quotidiennes, on comprend aussi combien la belle contamination est impossible à délimiter. On regarde déjà la rivière comme s'il s'agissait d'une ligne de fuite et les arbres dans une perspective euclidienne. Je crois que, dans la pratique de toutes formes d'art, il faut savoir reconnaître les espaces en creux parce qu'ils sont aussi importants sinon plus, que les figures...Francine a travaillé avec la rivière, les arbres et la terre et ils ont travaillé avec elle, l'œuvre se situe dans cette rencontre. Comme je connais l'artiste, j'ai préféré lui laisser parler de son œuvre plutôt que d'y poser mes mots plus longuement.
Photographie : Paule Mackrous (texte de Francine Courchesne)
Entrevue avec Francine Courchesne :
PM : Francine, peux-tu me parler un peu du titre de ton oeuvre?
FC : Le titre vient de l'idée de départ qui était de travailler avec la rivière, le mouvement, quelque chose qui va vers. L'eau qui coule a un mouvement qui est très important. Pour moi, ce mouvement est lié à l'imaginaire, les rêves, les envies, les aspirations. Idéalement, j'aurais même mis les bateaux dans l'eau. Les cargaisons sont des riens, ce ne sont pas des choses définies. Il n'y a rien d'important là-dedans, l'important c'est que ça parte. "Laisser-aller "est pour moi une preuve d'amour parfaite. Il y a également, dans le titre, un clin d'œil à l'œuvre Embarquement pour Cythère de l'artiste Antoine Watteau.
Antoine Watteau, Embarquement pour Cithère, 1717
PM : Raconte-moi un peu la manière dont tu as conçu ton œuvre, ta rencontre avec le site, les idées de départ, la réalisation...
FC : La rencontre avec le site a été vraiment magique, ce site est extraordinaire. La rivière qui rencontre le terrain, qui en fait le tour, le transforme en un lieu secret, privilégié. Il faut aller à la découverte de ce site parce qu'il est caché. On ne s'attend pas à trouver un tel lieu dans ce coin-là. J'ai choisi mon site méticuleusement, je tenais à travailler avec l'eau. Mon idée première était donc le travail avec l'eau, mais aussi l'idée de barque. Je ne savais pas ce que je ferais après. Je ne voulais pas le savoir non plus. Je voulais simplement avoir quelques balises pour commencer le travail. Je crois beaucoup à la magie de la rencontre avec les éléments de la nature, j'appelle cette rencontre un "état de miracle". Il faut prendre le risque de s'aventurer et d'essayer. Je crois énormément à ça, mais il faut avoir quelque chose à proposer et laisser les éléments travailler avec soi. Ce projet a été, en ce sens, au-delà de mes espérances.
PM : Comment vit-on la disparition progressive de son œuvre de Land Art?
FC : Je n'ai pas vraiment de problème avec ça. Quand une œuvre est finie, je m'en désintéresse. Quand je finis quelque chose, je suis prête à passer à autre chose. Spécifiquement dans le cas du Land Art, ce sont des œuvres éphémères et elles sont faites dans ce sens là. La nature reprend ses droits. Tous les changements qui vont avec le temps et la nature sont intéressants. Je fais mon bout et après je laisse les choses aller. J'ai fait des décors de théâtre quand j'étais jeune, j'aimais ça parce qu'après on les défait et je passe à autre chose. Le moment de création était super, le vernissage aussi et après, ça continue autrement!

Photographies (1) Francine Courchesne, (2) Paule Mackrous, (3) Francine Courchesne
St-Charles : le Land Art, c'est là que ça se passe :