Magazine Beaux Arts
Photo : Paule Mackrous, Entrée du Symposium
Entre ses montagnes et ses plages à perte de vue lors des marées basses, la petite ville de Baie-Saint-Paul fait éclore, à chaque année, l'un des événements des plus significatifs en art contemporain au Québec. En effet, le Symposium international d'art contemporain de Baie-Saint-Paul se démarque encore cette année par le choix judicieux des artistes en résidence et par son thème (commissaire Martin Dufrasne) qui met le doigt sur une tendance grandissante en art contemporain : le fantastique et le merveilleux. Le Symposium qui porte le titre Incroyables et merveilleuses accueille ainsi des artistes d'ici et d'ailleurs dont l'atelier est installé dans l'arena de la municipalité pendant un mois (31 juillet-30 août). Je préfère y aller vers la fin de l'été pour voir le travail accompli et l'atelier en bordel! Il suffit de franchir le tapis vert en gazon synthétique...
Photo : Paule Mackrous, Enseigne du Symposium
Dès l'entrée, un tableau nous donne l'heure juste sur les artistes : présents/en congé. C'est toujours chouette de pouvoir parler avec eux. Tout de même étrange que le Symposium engage des guides pour faire le tour de l'arena : les artistes sont là, en train de confectionner leurs œuvres tout de même! L'art contemporain intimide, il n'y a pas de doute. J'avoue que j'hésite toujours un peu avant de pénétrer les espaces d'atelier bien qu'ils fassent partie de l'exposition. J'ai demandé à l'un des artistes s'il pouvait réellement travailler avec tout ce brouhaha, il m'a répondu que la plupart d'entre eux commençait à travailler lorsque l'arena fermait ses portes et que les artistes travaillaient ainsi jusqu'à 1 heure du matin. Pas reposant comme résidence!
Photo : Paule Mackrous, Tableau à l'entrée du Symposium
Je ne vais pas passer au peigne fin l'ensemble de l'exposition-atelier qui coïncide parfaitement avec ma thématique, ce serait beaucoup trop long pour un billet de blog. De manière générale, il faut dire que l'exposition est très bien ficelée. Les artistes travaillent tous, à leur manière, et pour reprendre les mots du commissaire, avec "des métaphores [...] pour entrevoir, à travers un miroir déformant, les paradoxes et les contradictions que recèlent le réel." Les petites estampes aux allures d'enluminures persanes de Larissa Bates pouvaient, de prime abord, contraster avec les œuvres gore du projet M'eat Me de Jérome Ruby, mais à y voir de plus près, l'imaginaire subversif était aussi percutant dans les miniatures que dans les sculptures sanglantes.
Photos : Paule Mackrous, dans l'ordre, Erik Jerezano, Valérie Blass et Shary Boyle
J'étais heureuse de constater, en regardant les œuvres, que les artistes sélectionnés faisaient dans l'esthétique du Lowbrow! Je suis abonnée à la revue Juxtapoz depuis un moment et j'adore regarder les images de Lowbrow Art. Ce qui est surtout intéressant, c'est que cette forme d'art, que l'on ne fait malheureusement pas connaître dans nos chères institutions universitaires , aussi appelée néo-surréaliste, cherche délibérément à s'éloigner du mainstream en art contemporain. Hé bien, attachez-vous parce que le Lowbrow est en train de devenir mainstream!! Les artistes de Lowbrow travaillent avec beaucoup de références en culture populaire, mais rarement dans une optique réflexive sur l'histoire de l'art. Au Symposium, on retrouve cet étrange mélange dans lequel il y a de quoi rassasier le fan du dessin finement détaillé du Lowbrow, mais aussi l'historien d'art aguerri qui veut des références. L'arena de Baie-Saint-Paul s'est transformé en un étrange lieu où se côtoient toutes sortes de créatures hybrides créées avec des techniques diverses comme le pochoir, le fusain, la gouache, l'estampe, le poil synthétique (oui, c'est devenu une technique!) et j'en passe!
Depuis quelque années, je remarque qu'il est aussi fascinant de scruter du regard les moindres recoins des ateliers que de regarder les œuvres...
Photo : Paule Mackrous, Fragment d'atelier d'artiste
Les références et inspirations sont mises à disposition des spectateurs, d'autres sont dissimulées, ce qui montrent bien que l'atelier est plus "contrôlé" qu'à l'habitude. Ainsi, Yanick Pouliot disposait d'un livre sur le mobilier ancien ainsi que d'un autre sur l'érotisme en art bien en vue sur la table. Les revues porno qui, elles aussi, inspiraient son travail pour les formes humaines, étaient plutôt enfouies sous une pile de papiers!
Photos : Sébastien Courchesne-O'neill, dans l'ordre : Murale de Bayrol Jiménez (à effacer), Atlelier de Jiménez
Bayrol Jiménez invitait carrément les spectateurs à venir effacer son dessin qui, de toute évidence, a dû lui prendre un temps considérable à confectionner! Malgré la petite affiche qui prescrivait au spectateur de faire disparaître ce que je considérais un chef-d'œuvre, j'effaçais très poliment en prenant soin de suivre des contours pour créer des zones de lumière dans les visages ou sur les formes en général.
Photo : Paule Mackrous, Rue Saint-Paul (Baie-Saint-Paul)
Ce qui est étonnant à Baie-Saint-Paul, c'est la démarcation entre les galeries commerciales de peinture de création ou de paysage et l'art dit contemporain, c'est-à-dire, subventionné (je l'écris avec un brin d'humour, je sais que "contemporain" ne veut pas dire "subventionné", mais c'est tout comme). La rupture se fait au croisement des rues Saint-Paul, berceau des petites galeries commerciales, et Antoine-Fafard, sur laquelle on retrouve le musée d'art contemporain. Deux univers se côtoient sans vraiment se rencontrer.
Photos : Paule Mackrous, dans l'ordre : intérieur de la Maison-galerie Allard, Yanick Pouliot (pochoir), Mobilier dans l'atelier de Yanick Pouliot
Alors que je constatais le mobilier genre Louis XV qui ornait l'une de ces galeries de peinture de création de la rue Saint-Paul, j'avais le souvenir très récent (1 heure plus tôt) du Symposium et des œuvres que Yanick Pouliot était en train de confectionner. Je me suis dit que c'était là, dans le traitement prodigué à ces meubles antiques, que résidait la plus belle métaphore de la scission entre les deux univers. Alors que Yanick Pouliot critique toutes les valeurs bourgeoises reliées à ce mobilier en le transformant en silhouette et en le confondant avec des formes anthropomorphiques dans des positions érotiques, le galeriste met en valeur ce mobilier au milieu des tableaux dispendieux. L'un critique la bourgeoisie, l'autre la vit et en vit, juste à côté.
Après une ballade dans l'arena où l'on se "moque des conventions" , pour reprendre les mots du commissaire du Symposium, on se sent tout drôle de marcher sur la rue Saint-Paul.