De manière générale, j’ai un peu de mal avec les grands musées. Je trouve souvent les parcours d'exposition trop dépouillés visuellement, trop commentés et les œuvres trop isolées dans leur période historique. Je ne voudrais pas remettre en question le classement chronologique et stylistique muséal, mais le mouvement de mon propre corps dans cet espace structuré auquel j'adhère trop facilement, car cela m'épuise très rapidement. Je suis constamment en train de lutter, par la pensée, contre cet espace structurant. Je m'efforce de lire les textes accompagnateurs parce qu'une exposition est une œuvre en soi. Je fais le tour des salles en prenant soin de suivre l'ordre prescrit, en faisant parfois la file derrière un tableau parce que je dois le voir LUI avant un autre, c'est ainsi. Je me comporte de la sorte parce que je reconnais le travail de conceptualisation qu'il y a derrière un tel projet; une exposition est un projet d'envergure et j'admire beaucoup le travail des commissaires. J'ai vu des expositions pour lesquelles le parcours proposé était fascinant en ce qu'il venait enrichir l'expérience de chacune des œuvres qu'il contenait. Je pense, pour donner un exemple récent, à l'exposition "Artisans du rêve" qui a lieu au Musée d'art contemporain de Baie-St-Paul. La première salle offre un parcours en forme de ruban dans l'univers textile des costumes de cirque!
La plupart des expositions laissent toutefois peu de place à l'émergence des anachronies, aux liens possibles entre les œuvres des différentes périodes historiques. C'est peut-être tout à fait volontaire. On crée des expositions thématiques, mais, malgré un thème unificateur, on retrouve l’art contemporain avec l’art contemporain, l’art Italien avec l’art Italien, l'art abstrait avec l'art abstrait et ainsi de suite.
Cette fois-ci, j’avais beaucoup de temps devant moi et, étant donné que les expositions à l'affiche au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa m'apparaissaient peu palpitantes et que je m'apprêtais à déambuler en solo, j’ai choisi de faire une visite de musée de manière tout à fait désordonnée. Je ne lisais que des bribes des textes de présentation et je négligeais volontairement les œuvres qui ne retenaient pas mon regard plus de trente secondes. Je remontais et redescendais les marches, j'empruntais la passerelle d'un bord, puis de l'autre, parfois j'attendais l’ascenseur. J'ai mis de côté la linéarité et j'ai fait comme si le musée était une sorte d'interface où tout apparaissait au même plan. Je créais moi-même les hyperliens. Je suis ainsi retournée plusieurs fois dans les mêmes salles, mais je les expérimentais pourtant différemment avec, en tête, les mémoires de l'autre salle d'avant (qui n'était jamais la même.) Un peu plus et j'enfilais mes Nike+.
Les gardiens de sécurité n’ont jamais été aussi courtois :
« Êtes-vous perdue mademoiselle...avez-vous besoin de directions? »
« Non, merci! j’essais de me perdre.. »
J’errais et, forcément, je me perdais momentanément.
« Où voulez-vous aller exactement? »
« Ça va, merci! je ne veux aller nulle part, je suis en train de me faire une expo anachronique pfff. »
J’ai admiré les esquisses de Michelange et de Raphaël, je suis remontée vers les Donald Judd, j’ai fait un tour dans la Chapelle Rideau et je me suis retrouvée plus tard face à face avec un Barnett Newman...
« May I help you? »
«No, thank you! Je m'amuse trop...»
Je me suis ensuite retrouvée devant des photos de stades de Baseball…etc. Après quelques allers et venues, j’ai sorti le petit plan du musée que j'avais pris à l'accueil ainsi qu'un crayon et j’ai marqué d'un "x" les salles déjà visitées afin de m'assurer d'avoir mis les pieds dans chacune d'entre elles.
Une petite chose a émergé, presque rien et tout à la fois. Je me suis laissée prendre par les larmes d'une femme dans un tableau du Titien, Sainte-Marie Madeleine pénitente (1560). Plus tard, une photographie d'Edward Steichen a retenu mon attention par une émotion similaire et voilà : Pathosformel! (c'est une sorte d'Eureka! pour l'histoire de l’art). J’aimerais que les images parlent d’elles-mêmes ici, mais je dois toutefois préciser que la reproduction de l'œuvre du Titien (à gauche) ne permet pas de bien voir les yeux et les joues en larmes de Sainte-Marie Madeleine. Je ne suis même pas certaine que le portrait de Mary Pickford (à droite) soit bien celui que j'ai vu au musée, mais il est très similaire en tous les cas. Les yeux sont également humides. Je crois que pour le reste de la composition, on voit suffisamment bien...
(Cliquer sur les images pour la source)
Chacune à l'autre bout du musée...Pourtant, quand l'une s'est mise à apparaître dans l'autre, il m'est alors devenu impossible de les distinguer.